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Le nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants est présenté ce mardi à Marseille par plusieurs ministres, dont celui de l’Intérieur, Christophe Castaner. Pour marquer la rupture avec certaines dérives, un nouvel outil est créé.
Plus d’un an après avoir été annoncé en fanfare par Emmanuel Macron et reporté maintes fois depuis, le nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants est présenté ce mardi à Marseille par Christophe Castaner et Laurent Nuñez. Un cadre emblématique, tant la ville, avec ses règlements de compte incessants et son trafic à ciel ouvert, incarne l’ampleur du problème.
Signe de l’unité désormais affichée sur le sujet, le tandem de Beauvau sera entouré de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et du ministre de l’Action et des Comptes publiques, Gérald Darmanin, qui a aussi la haute main sur les douanes. Officiellement, l’objectif de ce plan est de décloisonner les différents services antidrogue et de mieux partager le renseignement opérationnel, principale limite du dispositif actuel. Officieusement, il s’agit surtout d’en finir avec les scandales qui ont secoué ces dernières années l’Office des stups, visé par plusieurs enquêtes judiciaires. Place Beauvau, on y voit aussi une façon de reprendre la main sur un sujet politiquement porteur. « Je souhaite être un ministre de la lutte contre les stupéfiants, c’est la menace mère, a prévenu Christophe Castaner dans un récent entretien à la Voix du Nord. Il nous faut être beaucoup plus offensif. »
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De fait, la tâche est titanesque. Le chiffre d’affaires du trafic de drogue en France pèse au bas mot 3,5 milliards d’euros, pour un coût social en termes de répercussions estimé à 8 milliards. Au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), on dresse un constat alarmant de la situation : une offre de plus en plus importante, une consommation qui augmente sur tous les indicateurs, et un accroissement de la pureté des produits.
Seuls motifs de réconfort : la tendance «baissière» des règlements de compte (77 en 2018, contre 117 en 2015) et l’augmentation sensible des saisies (115 tonnes de cannabis en 2018, record de la décennie). « On n’a jamais autant arrêté de trafiquants et démanteler de trafics », se félicite un commissaire, tout en rappelant la nécessité de supprimer les « concurrences stériles » entre services. « La clé, c’est notre capacité à travailler ensemble. »
Un nouvel Office antistupéfiants
Pour marquer la rupture avec les dérives passées, il fallait un symbole fort : après un demi-siècle d’existence, l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis) disparaît pour être remplacé par l’Office antistupéfiants (Ofast), acronyme dont la proximité avec «go fast» a manifestement amusé ses concepteurs. Pour Beauvau, au-delà du ripolinage, cette nouvelle structure d’élite doit être à la lutte antidrogue ce qu’est la DGSI à la lutte antiterroriste : un chef de file ayant vocation à centraliser l’ensemble des informations au niveau national.
En contrepartie, l’Ofast s’engage à analyser et diffuser le renseignement vers l’ensemble des services partenaires et l’autorité judiciaire. Composée pour partie de gendarmes, l’Office antistups sera dirigé par la contrôleuse générale Stéphanie Cherbonnier, actuellement conseillère judiciaire auprès du DGPN. Après un long bras de fer, la chancellerie a obtenu que son adjoint soit issu de ses propres rangs, une garantie destinée à restaurer la confiance entre policiers et magistrats, fortement éprouvée ces dernières années par les crises successives. Le poste devrait échoir à l’actuel procureur de Bayonne, Samuel Vuelta Simon.
« La présence d’un magistrat au sein du nouvel office est un vrai gage de confiance qui va permettre de renouer des liens distendus avec certaines juridictions spécialisées, notamment à Paris », explique-t-on place Vendôme. Cette légitimité renforcée devrait aussi permettre à l’Ofast de jouer pleinement son rôle au plan international, en renforçant la collaboration avec les pays voisins et les grands organismes comme Interpol, alors qu’un tiers des groupes criminels européens sont liés au trafic de drogue.
Mieux encadrer les livraisons surveillées
Ce plan constitue le prolongement d’une évolution législative récente. La loi de programmation et de réforme de la justice de mars prévoit en effet de nouveaux moyens de lutte contre le trafic de drogue, et clarifie notamment le cadre des livraisons surveillées. Très prisée des enquêteurs, cette technique spéciale permet, sous le contrôle d’un magistrat, de laisser circuler de la drogue afin d’identifier les filières de revente, en différant les opérations d’interpellations et de saisies. Mais son utilisation extensive a entraîné des dérives systémiques. Ainsi, pendant des années, les opérations Myrmidons, pilotées par l’Ocrtis, reposaient sur des livraisons surveillées sans procédure judiciaire préalable. Seul le parquet entrant était informé d’un passage de marchandise, parfois par un simple coup de fil et sans aucune indication sur la quantité transportée.
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Désormais, le nouveau texte stipule qu’une livraison surveillée doit être nécessairement adossée à une procédure judiciaire préexistante. Il s’agit notamment d’en finir avec le « forum shopping », pratique qui permet aux services d’enquête de se tourner vers les juridictions les moins regardantes en fonction des dossiers à monter. Par un effet pervers du système, les policiers pouvaient ainsi se voir refuser des affaires à Lyon ou Paris, puis les faire valider à Nancy ou Bordeaux. Pour combler cette faille, la nouvelle loi confère une compétence nationale à la Juridiction interrégionale spécialisée de Paris pour les affaires de «très grande complexité». Conséquence : toutes les demandes de livraison surveillée passeront désormais par la capitale, au moins à titre informatif. La juridiction parisienne aura la possibilité de faire valoir son droit d’évocation, afin de se saisir des dossiers les plus complexes en fonction de critères qui restent à définir. Un groupe de travail présidé par François Molins, procureur général près la Cour de cassation, vient de rendre un rapport sur le sujet à la garde des Sceaux. Fruit d’une cinquantaine d’auditions couvrant l’ensemble de la chaîne pénale en matière de stupéfiants, le document devrait servir de base à un prochain décret d’application.
Renforcer le renseignement
En écho à ce nouveau dispositif national, le plan Stups reposera localement sur le déploiement de cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants, dont la mission sera de croiser, analyser et partager les renseignements recueillis par l’ensemble des services de police, afin d’enrichir les enquêtes en cours ou d’en ouvrir de nouvelles. Inspiré de la stratégie mise en place à Marseille à partir de 2015, puis étendue en 2018 dans le cadre de la mise en place de la Police de sécurité du quotidien, le dispositif vise principalement les Quartiers de reconquête républicaine fortement touchés par le trafic. Les polices municipales, les bailleurs sociaux et les sociétés de transports urbains seront invités à participer à ce « pilotage renforcé », en transmettant des renseignements sur les trafics. Afin d’associer la population, une plateforme nationale de signalement doit également voir le jour.
Au sein de ces zones sensibles, des cellules de lutte contre les trafics, présidées par le préfet et le procureur, en lien avec les services de police, de douanes et de gendarmerie, seront chargées de définir des stratégies d’actions et d’établir une cartographie des réseaux de criminalités, en identifiant des « cibles d’intérêt prioritaire ». Un dispositif qui vise à mieux partager l’information entre les multiples entités chargées de lutter contre les trafics (Office central, directions régionales de police judiciaire, sûretés départementales, douanes, sections et brigades de recherche de gendarmerie), peu promptes à communiquer entre elles.
Reste le grand absent du nouveau plan stups : les informateurs. Au cœur de la plupart des scandales qui ont secoué ces dernières années les services antidrogue, leur gestion reste l’objet de nombreuses controverses entre magistrats et enquêteurs, les premiers reprochant aux seconds de leur dissimuler le véritable rôle de leurs sources dans les affaires.
« Le recours aux informateurs doit être connu des magistrats lorsque nous leur présentons des dossiers », tranche-t-on au ministère de l’Intérieur, où on rappelle qu’une nouvelle charte de gestion des sources a été récemment adoptée par la Direction centrale de la police judiciaire, avec un « formalisme extrêmement lourd». « Sans indics, pas de démantèlement de trafic, insiste un haut responsable policier. Mais il est inenvisageable que ces indics soient des trafiquants plus gros que ceux qu’ils permettent de démanteler. »
Source : Libération