Les organisations de marins-pêcheurs et la gendarmerie du Finistère viennent de signer une convention pour sensibiliser à la consommation de drogue et d’alcool.
Le 16 août 2020 | Par Nora Moreau
C’est un sujet presque tabou en Bretagne, région la plus maritime de France, et quand on l’évoque, c’est à demi-mot : la question de l’addiction aux drogues dures et à l’alcool dans le milieu de la pêche. Le Comité des pêches du Finistère (CDPMEM29) vient de signer avec la gendarmerie du département une convention visant à sensibiliser les jeunes générations en formation, mais aussi les personnels déjà actifs. Une façon pour les professionnels de la pêche de réduire le risque d’accidents et d’éviter de stigmatiser le milieu. Pour les autorités, c’est aussi une manière de lever le voile sur un phénomène de société où se « démocratise » de plus en plus la consommation de stupéfiants.
« C’est de la bonne, elle arrive tout droit de Santa-Marta, celle-là. » La scène se passe près d’un bistrot de Douarnenez (Finistère), où une fête bat son plein. Quand on lui demande comment il s’est procuré le pochon de cocaïne qu’il prétend détenir, Tim (le prénom a été changé), 35 ans, marin-pêcheur qui revient d’une campagne de plusieurs semaines en pêche au large, ne s’en cache pas : « C’est par un pote de Paris. Rien à voir avec le boulot. Non, au boulot, on ne déconne pas avec ça. Quand je prends ce genre de trucs, c’est vraiment à terre, avec mes potes. »
Face à ces comportements, Patrick Andro, élu aux Comités régional et national des pêches, également référent opérationnel pour la sécurité, la formation et le bien-être à bord pour le CDPMEM29, essaie de sensibiliser. Assis à la terrasse d’un café du Guilvinec, cet ancien marin-pêcheur constate depuis des années cette évolution au sein de sa profession, pas plus épargnée que d’autres. Avec Virginie Lagarde, chargée de mission en sécurité et environnement pour le Comité des pêches du Finistère (CDPMEM29), il s’est emparé de ce dossier polémique sur les addictions dans le milieu des gens de mer. « Quand il y a des problèmes, on les règle en interne, ajoute Patrick Andro. Pour autant, il faut que patrons-pêcheurs et armateurs puissent réagir. »
Prévenir plutôt que punir
Il y a deux, ans, Patrick Andro a rencontré lors d’un salon dédié aux métiers de la mer le colonel Nicolas Duvinage, commandant du groupement de gendarmerie du Finistère. « Il m’a présenté la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) du Finistère, on a évoqué ce sujet. C’est grâce à ce tout nouveau partenariat qu’a pu mettre en place une convention, la toute première du genre en France, signée le mardi 21 juillet à Quimper, qui rallie le plus d’acteurs possible afin de prévenir ces comportements dangereux, qui nuisent à la santé comme à la vigilance à bord, mais aussi d’apporter des solutions. »
Pour le colonel Duvinage, cette convention est claire : « Nous sommes sur un volet prévention. Il est important de le préciser car cette convention n’a pas pour but, à notre niveau, de chercher à obtenir des renseignements sur de quelconques trafics autour du milieu de la pêche. L’autre point que nous souhaitons mettre en avant, c’est qu’il n’y a pas plus de consommation de stupéfiants que dans d’autres corps de métiers – industrie, agro-alimentaire, BTP ou autres… Des corps de métier avec qui on aimerait avoir ce même type de projet commun ».
Herbe, cocaïne, alcool et… téléphone portable
La nature des stupéfiants consommés est variée : de l’herbe à l’héroïne en passant par la méthadone, la résine de cannabis, la cocaïne… Mais il y a aussi l’alcool, les médicaments (antidouleur, psychotropes, etc.) et un autre « distracteur » qui inquiète de plus en plus, le smartphone. « Les écrans sont aussi un fléau, note Patrick Andro. Les marins dorment moins bien, sont moins vigilants, c’est la porte ouverte aux accidents de mer, souvent dramatiques. »
La convention a également été signée par le lycée maritime du Guilvinec. « On voit les comportements évoluer partout, glisse Virginie Lagarde. Ce n’est pas le monde de la pêche qui évolue, mais la société en général, qui voit croître une proposition et une consommation de substances illicites de plus en plus nombreuses. Maintenant, les jeunes commencent de plus en plus tôt et de plus en plus fort. »
» Ludovic Le Lay a déjà dû se séparer de salariés drogués ou alcooliques. »
Aux yeux des gendarmes comme du Comité des pêches, cette convention pourrait aussi permettre de porter un autre regard sur les métiers de la pêche, souvent stigmatisés. « La seule différence avec les autres corps de métier, c’est notre interdépendance : s’il y a un problème à bord, ça affecte tout le monde. A bord, on a autant la responsabilité de soi que des autres. On vit ensemble, sur des durées plus ou moins longues – et c’est aussi pour cela qu’il est important que ce soit la profession qui porte les autres. »
L’idée séduit déjà les patrons-pêcheurs. Ludovic Le Lay, 37 ans, gérant de l’armement bigouden Hent ar Bugale – l’un des plus importants en Finistère avec 37 marins pour 6 navires de pêche au large -, doit parfois faire face à des situations complexes liées à des addictions à bord. « La convention signée récemment nous a intéressés car nous avons forcément eu des expériences dans ce domaine, raconte le trentenaire, originaire de Loctudy (Finistère). Le lien avec les accidents de mer et la sécurité n’est pas négligeable. »
Solidaires avant tout
Au sein de cet armement comme des autres, qui pêche baudroies, raies, cardines, merlus, eglefins, plie, langoustines, cabillauds, saint-Pierre, merlans et soles environ deux cent soixante-dix jours de mer par an, ce problème d’addiction et de consommation de produits stupéfiants s’est déjà révélé chez quelques salariés. « Méthadone, cocaïne, héroïne, et bien sûr, l’alcool. » « L’objectif pour nous, poursuit Ludovic Le Lay, c’est d’essayer d’accompagner les marins en proposant des supports (outils de prévention, des contacts de personnes ou de professionnels vers qui se tourner) pour remédier à la situation, tant pour la santé du marin que pour la sécurité de tous à bord. »
Le Bigouden l’avoue, il a parfois dû se séparer de marins. Mais l’optique est aujourd’hui de ramener ceux qui traversent ce problème d’addiction à se reprendre en main. « C’est difficile, et pas que chez nous, mais il faut essayer… et surtout le vouloir. »