Depuis mars 2021, une expérimentation est en cours sur la prescription du cannabis médical au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Entretien avec le Professeur Nicolas Authier, psychiatre, qui pilote le test sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Tout d’abord, qu’est-ce que le cannabis médical ?
Le cannabis médical rassemble les produits issus du cannabis pouvant être prescrits par des médecins, dispensés par des pharmaciens, et qui sont de qualité pharmaceutique. Il peut contenir du THC (substance psychoactive) et du CBD.
En France, le cannabis médical est illégal. Il ne peut être prescrit que dans le cadre de l’expérimentation en cours. Il existe cependant un médicament à base de cannabis, l’Epidyolex, qui, lui, est légal. Il a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM), délivrée par l’Agence européenne du médicament (EMA). Il est prescrit et remboursé pour des cas d’épilepsies pharmacorésistantes rares.
Où en est l’expérimentation en cours ?
Elle se passe bien. Le dispositif est fonctionnel. Plus de 2 400 patients ont été traités dont environ 1 500 toujours inclus. Scientifiquement, le bilan est majoritairement positif. Environ deux tiers des patients sont satisfaits des traitements. Dans certains cas, comme pour les douleurs neuropathiques, jusqu’à 40 % des personnes jugent d’une amélioration « importante » de leur état de santé.
Par ailleurs, les données de pharmacovigilance (surveillance d’effet indésirable) sont rassurantes. Nous n’avons pas identifié de cas de dépendance aux médicaments, comme nous aurions pu le redouter.
Quand sera-t-elle terminée ?
Elle a commencé en mars 2021 et devait durer deux ans, pour se terminer en mars 2023. Un nombre maximum de 3 000 patients en traitement avait été autorisé. Pour permettre à l’ensemble des personnes sur le territoire français d’accéder aux traitements. On devrait les atteindre courant 2023.
Ce numerus clausus permet aussi de recevoir gracieusement les traitements pendant la durée de l’expérimentation. Cependant, atteindre ce palier n’est pas une condition sine qua non. On ne mène pas un essai clinique. Nous avons restreint les tests à cinq grandes indications (épilepsies sévères et pharmacorésistantes, cancers, douleurs neuropathiques, soins palliatifs, spasticités douloureuses des pathologies du système nerveux central).
Quelles sont les difficultés rencontrées ?
Des patients ont quitté l’expérimentation, car les médicaments étaient inefficaces ou à cause d’effets indésirables (somnolence, anxiété, troubles digestifs…) Cela arrive avec tous les médicaments. Ce n’est pas spécifique au cannabis.
La principale problématique : c’est le relais de prescription auprès des médecins généralistes – en grande partie liée aux contraintes de l’expérimentation elle-même – qui leur demande d’effectuer une formation, le plus souvent, pour traiter un seul patient. Ce frein sera rapidement levé si les médicaments reçoivent une AMM à l’issue du processus.
Que manque-t-il pour passer à l’étape de la légalisation ?
D’abord, il faut dire que l’expérimentation a commencé en pleine crise du Covid. Nous avons réussi à mobiliser l’hôpital et c’est une bonne chose. Ensuite, il y a un temps pour tout. L’objectif principal de déterminer les conditions d’accès à ces médicaments est validé. Désormais, il faut travailler le réglementaire. En décembre dernier, la Direction générale de la santé (DGS) a mis en place un groupe de travail. Pour préciser le statut que pourraient recevoir les médicaments à base de cannabis et leur modalité de remboursement par la Sécurité sociale.
Si tout se passe bien, les travaux seront bouclés avant l’été. La légalisation pourrait ensuite être débattue au Parlement, dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
En cas de légalisation, la France serait elle prête à produire des médicaments à base de cannabis ?
Pour l’instant, non. L’ensemble des médicaments testés dans le cadre de l’expérimentation proviennent de l’étranger. Cependant, nous avons tout intérêt à développer une filière qui nous permette d’être autonomes.