Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 29 janvier : un débat de société qui s’est, à nouveau, frayé un chemin dans l’actualité : faut-il légaliser le cannabis ?
Le revoilà ! L’éternel débat sur la légalisation du cannabis ! Après un rapport de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme, fin 2016, qui recommandait la dépénalisation ; après un rapport de l’Assemblée nationale en 2021, qui défendait la légalisation sous contrôle de l’État ; c’est désormais au tour du Conseil économique, social et environnemental de prôner une commercialisation encadrée, dans un avis rendu public cette semaine.
L’occasion de nous arrêter sur cette controverse qui ne cesse de refleurir, en commençant, peut-être, par faire le point sur la position officielle du gouvernement. En l’occurrence, elle est avant tout incarnée par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. En avril 2021, il déclare sur LCI : « Je voudrais dire à tous les parents, les éducateurs, les médecins qui essaient de raisonner les plus jeunes d’entre nous, de ne pas tomber dans cette merde, que la drogue pourrit la vie et sème la mort. »
Un discours que l’on pourrait qualifier de relativement rudimentaire, mais qui est, en fait, assez conforme avec la position traditionnelle de la droite sur cette question. Voici ce que répondaient Nicolas Dupont-Aignan, Éric Zemmour et Valérie Pécresse lors de la dernière présidentielle, quand le site Konbini leur demandait ce qu’ils pensaient de la légalisation : « Je suis contre, disait Nicolas Dupont-Aignan, tout simplement parce que ce n’est pas bon pour la santé. » « C’est très mauvais pour la mémoire, pour le QI. Cela crée parfois des états dépressifs, donc vraiment je pense que c’est très néfaste« , ajoutait Éric Zemmour. Valérie Pécresse se déclarait également « contre la légalisation du cannabis, parce que le cannabis est toxique pour la santé. »
« La drogue, c’est mal » : une position dont, aujourd’hui, personne ne disconvient. Les risques du cannabis sont bien connus, notamment pour les adolescents et les jeunes adultes. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Voici par exemple ce que disait le candidat écologiste à la présidentielle de 2002, Noël Mamère, sur France 3 : « Le cannabis est beaucoup moins dangereux que l’alcool et le tabac. Je ne vois pas pourquoi on laisse encore le cannabis enfermé dans le territoire des tabous. »
Le cannabis qui ne serait pas dangereux : aujourd’hui, plus personne ne dirait cela, en tout cas pas publiquement.
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Pourquoi vouloir le légaliser ?
Tout d’abord pour une raison pratique : on ne parvient pas à l’interdire ! La France est le pays d’Europe qui compte, de très loin, le plus grand nombre de consommateurs de cannabis. Un phénomène en constante augmentation – si l’on excepte une toute petite inflexion en 2021. Et ce, malgré une politique toujours plus sévère : le nombre d’infractions constatées a été multiplié par trois en vingt ans.
En plus d’être inefficace, cette politique répressive entraîne des effets pervers. Du point de vue de la sécurité, elle a échoué, de facto, à enrayer un trafic qui n’a cessé de se développer. Conséquence : les tribunaux sont encombrés par des affaires de faible gravité ; et une partie des forces de police perd son temps à traquer la consommation de cannabis, au lieu de protéger la population.
Ensuite, du point de vue de la santé publique : tant que les moyens sont mis sur la répression, ils ne vont pas à la prévention qui, seule, permettrait de réduire véritablement la consommation. Enfin, du point de vue de la justice sociale, ce sont les habitants des quartiers populaires qui subissent une double peine, puisqu’ils sont, à la fois, les premières cibles des contrôles de police, et les premières victimes du trafic de drogue.
C’est en tout cas ainsi que le bilan de la répression a été dressé, à la fois par la Commission de l’Assemblée, et par le Conseil économique, social et environnemental. Leurs deux rapports en arrivent à la même conclusion : oui, si on aborde cette question d’un point de vue pragmatique, il faut légaliser le cannabis. Cela permettrait d’assécher, naturellement, une grande partie du trafic, de contrôler la qualité des produits en circulation, de libérer des moyens de police et de justice, de faire rentrer des milliards dans les caisses de l’État. Donc, de financer une véritable politique de prévention. Et même, paradoxalement, de lutter contre consommation, puisque les études montrent que, quand on légalise la vente, on lève aussi l’excitation de l’interdit, ce qui a tendance à faire baisser la demande.
Une question profondément politique
Mais rien ne nous oblige à adopter un point de vue pragmatique. La question des interdits, de ce que la société considère comme autorisé ou illicite, est profondément politique ! Au moment où l’on encadre toujours plus étroitement la vente et la consommation d’alcool et de tabac, on peut légitimement, je crois, se demander s’il est opportun d’autoriser la commercialisation d’un nouveau produit stupéfiant.
Comprenez-moi bien : sortir d’une politique répressive qui n’a jamais fonctionné, dépénaliser la consommation, faire de la prévention : il me semble qu’il y a très peu d’arguments pour s’y opposer. Mais légaliser ? C’est une question sur laquelle il nous appartient, à toutes et tous, de nous forger notre propre opinion.
Conclusion très décevante, voire stupéfiante, de Viktorovitch. A la fin d’un narratif axé 100% sur le pragmatique il décide que ce point de vue n’est que d’ordre circonstancié, puisqu’il s’agit en réalité d’une question politique. Et que serait alors la politique ? Il n’en dit pas un mot mais retourne vers le pragmatisme et se demande s’il est opportun d’autoriser la commercialisation d’un nouveau produit stupéfiant. Misérable! Les bienfaits du cannabis thérapeutique et adulte devraient céder la place aux atteintes à la santé publique – combinées et bien documentées mais ici passées sous silence – par leur prohibition et par la promotion de l’alcool et du tabac.
Comprenons bien Viktorovitch : pour sortir d’une politique répressive néfaste il lui semble qu’il y a très peu d’arguments pour s’opposer à la dépénalisation. « Mais légaliser ? C’est une question sur laquelle il nous appartient, à toutes et tous, de nous forger notre propre opinion. » Que non. Cette procédure ne se discute pas, puisque la prohibition est inscrite dans la loi, son abolition en demande autant.
Cependant, la légalisation ne suffit pas, comme l’histoire, et certainement la plus récente, nous l’a appris. La lutte idéologique d’après la deuxième guerre mondiale, entre liberté et oppression, entre démocratie et fascisme, a été réglée en 1961 lorsque la Convention unique sur les stupéfiants a interdit aux humains l’utilisation des plantes psychotropes, limitant la liberté de pensée, de conscience et de religion à une utilisation sous contrôle institutionnalisé, c’est-à-dire au Pouvoir. La Charte Internationale des Droits Humains a ainsi été violé par une Convention de moindre niveau. Au niveau national il faudra mieux également prévoir un renforcement de ces libertés par leur inclusion explicite dans la Constitution.