L’exécutif a déposé, lundi 23 octobre, un amendement afin de créer un statut temporaire de cinq ans pour les médicaments à base de cannabis. Mais a choisi d’écarter les fleurs dont les effets se sont pourtant révélés positifs pour les malades souffrant de sclérose en plaques.
Les craintes des patients ont-elles enfin été entendues ? Après des semaines d’hésitations et de déclarations peu rassurantes, l’exécutif semble avoir fait fi des considérations idéologiques entourant la plante pour choisir de faire un petit pas vers la science. Lundi 23 octobre, le gouvernement a déposé un amendement, posant les bases d’une généralisation du cannabis médical dans le pays. Depuis mardi, en séance plénière à l’Assemblée nationale, les députés examinent ce texte qui figure dans le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.
L’inclusion du cannabis médical dans le PLFSS était une «nécessité éthique et clinique» plaidait un collectif d’élus de tous horizons dans une tribune publiée dans Libération le 10 octobre. Rappelons encore une fois qu’il ne s’agit pas de pétard fourré au shit ou à la ganja mais de fleurs à vaporiser et d’huiles riches en cannabinoïdes tels que le cannabidiol (CBD) ou en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC, la molécule psychoactive du chanvre). Une nouvelle classe de médicaments dont se sont emparées des centaines de professionnels de santé au sein de l’expérimentation : dispensée à des patients en impasse thérapeutique et atteints de pathologies rares dont les douleurs neuropathiques, certaines formes d’épilepsie ou certains symptômes rebelles chez des malades atteints de cancers. Ces molécules ont aussi montré leurs effets positifs dans les situations palliatives et pour diminuer la spasticité musculaire (spasmes, raideurs) dans les pathologies du système nerveux central, telles que la sclérose en plaques. Depuis les premières prescriptions en mars 2021, plus de 2 700 patients ont reçu ces traitements à base de cannabis.
Statut temporaire
Quel sort réserve le gouvernement au cannabis médical après la fin de la phase test fin mars prochain ? Sur France Inter, le 3 octobre, Aurélien Rousseau était resté plus qu’évasif sur l’avenir de ces traitements. De quoi laisser présager au mieux une mise à disposition de la plante dans un cadre hospitalier ultra-restrictif, au pire l’abandon de l’expérimentation. Finalement, le 11 octobre, en commission des affaires sociales, le ministre de la Santé annonçait le dépôt de cet amendement du gouvernement pour «qu’évidemment tous les bénéficiaires de cette expérimentation puissent continuer à en bénéficier» grâce à un «statut adapté qui nous permette ensuite de voir dans la durée».
C’est donc un statut temporaire qui a été octroyé à ces médicaments, pour une durée de cinq ans, dans l’attente d’une décision d’autorisation de mise sur le marché par les autorités européennes. Ce statut sera éventuellement renouvelable par décision de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Pour assurer la continuité des traitements en cours pour les 1 700 patients actuellement inclus dans la phase test, le gouvernement prévoit une d’allonger la durée du protocole existant et d’assurer la prise en charge par l’assurance maladie des médicaments. Le coût pour cette période transitoire qui va s’étaler d’avril à décembre 2024 a été estimé à 10 millions d’euros.
Les critères d’utilisation, de prescription ou de dispensation de ces médicaments seront fixés ultérieurement par décret, «sur proposition de l’Agence nationale de la sécurité du médicament à la suite de l’évaluation bénéfices-risques» précise l’amendement gouvernemental. «Le texte évoque une primo-prescription hospitalière, ce qui normalement sous-entend un relais en médecine de ville possible», soulève Nicolas Authier, médecin psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand, également président du comité scientifique temporaire de suivi de l’expérimentation de l’usage médical du cannabis.
«Système de prescription restrictif»
Déjà autorisé dans de nombreux pays européens (l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Italie ou l’Espagne), le cannabis à usage médical continue de pâtir d’une mauvaise image en France. Côté politique, une certaine méconnaissance du sujet et une confusion avec le versant récréatif de la plante sont trop souvent à déplorer chez les décideurs et au sein du gouvernement. Ainsi Marlène Schiappa en octobre 2020, lorsqu’elle était ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, s’était déclarée opposée au cannabis médical, affirmant même qu’il menait à la «consommation de drogues plus dures» et finançait «les réseaux de traite des êtres humains et les activités terroristes». Une regrettable méprise qui à l’époque avait provoqué un tollé chez addictologues et les députés défenseurs du cannabis médical qui parsèment aussi bien l’opposition que les rangs de la majorité parlementaire.
Côté santé, l’Académie de pharmacie comme l’Académie de médecine ont régulièrement critiqué l’expérimentation du cannabis thérapeutique. Nicolas Authier salue une avancée mais préfère rester prudent : «Dans cette loi, le gouvernement précise le moins de choses possibles, afin de pouvoir adapter les arrêtés ministériels qui suivront et qui contiendront tous les détails, notamment les conditions de remboursement. La vigilance et la prudence restent de mise pour garantir l’accessibilité à ces médicaments.»
Jointe par Libération, la Direction générale de la santé indique «entendre l’inquiétude» des patients et des professionnels de santé, mais précise que «les choses suivent leur cours», avant de rappeler que le gouvernement aura également la possibilité de saisir la Haute Autorité de santé (HAS) pour statuer du remboursement. Cette question cruciale n’a pas encore été tranchée. Elle nécessite encore un avis favorable de, justement, la HAS. «Sinon, il n’y aura pas de prise en charge. En revanche, si l’évaluation est positive, alors le niveau de remboursement sera fixé par arrêté ministériel», souligne la DGS.
«Une question persiste également concernant le maintien d’un système de prescription aussi restrictif. Des procédures administratives lourdes pour les médecins et une limitation stricte des indications posent la question de savoir pourquoi une telle mesure est jugée nécessaire» s’interroge de son côté l’association L630, spécialisée dans le droit des drogues, dans son communiqué. Et de se demander pourquoi ne pas avoir intégré les huiles «dans la liste des médicaments remboursés pour les affections de longue durée».
Abandon des formes inhalées
En réaction à la publication de l’amendement, l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre, qui représente la production des cannabinoïdes et du cannabis médical en France, a salué les travaux «visant à structurer une filière française de culture et de production de cannabis à usage médical» comme écrit dans le texte. Toutefois, auprès de Libération, le président du syndicat, Ludovic Rachou, regrette l’abandon des formes inhalées dans le projet final. «Les fleurs de cannabis vaporisées ont intérêt thérapeutique et c’est la forme la plus répandue en Europe. Paradoxalement, les travaux européens pour déboucher sur des autorisations de mise sur le marché dans lesquelles s’inscrit le statut français portent sur les fleurs. C’est plus un choix politique que de santé publique», assure-t-il.
Bien que très peu utilisé dans l’expérimentation française, représentant seulement 3 % de l’usage, le cannabis sous forme de fleur à vaporiser n’a donc pas été retenu dans la mouture finale. «C’était la concession à faire, pour rassurer ceux qui expriment encore des peurs», reconnaît Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser S & C, en signalant que l’Allemagne l’a, elle, intégré pleinement dans son dispositif de santé. Une concession faite au gouvernement selon la femme de 69 ans, atteinte depuis des années de syringomyélie, une maladie rare attaquant la moelle épinière et provoquant de violentes douleurs dans tout le corps. Selon elle, cet amendement est «tout de même une bonne nouvelle», car «il fallait que le cannabis médical entre dans le droit commun». Avant de confier un espoir : «Que les médecins et ceux qui n’ont pas eu le courage de lire les résultats positifs de l’expérimentation s’intéressent à ces traitements. Histoire de ne pas mourir bête.»
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