16 juin 2019
Dans une tribune au Parisien-Aujourd’hui en France, Guy Sebbah, directeur Général de Groupe SOS Solidarités, réclame une légalisation de la détention pour usage personnel.
« Avec plus d’un demi-million de consommateurs réguliers du cannabis (le premier pays en Europe), une consommation toujours aussi importante de drogues et le fléau du crack installé dans les quartiers les plus pauvres, la politique de lutte contre les drogues en France est un échec.
Chaque année, le Groupe SOS accueille dans ses établissements 15 000 usagers qui se débattent avec leur addiction. Si nous décidons aujourd’hui de nous exprimer dans le débat public, c’est en tant que lanceur d’alerte.
Après les graves crises sanitaires (VIH et hépatite C) des dernières décennies, une nouvelle menace apparaît dans l’indifférence générale. Il ne s’agit ni d’une drogue ni d’une substance illicite, mais d’une substance en quasi libre accès, les antidouleur dérivés de l’opium, appelés également opioïdes.
Aux Etats-Unis, ce fléau a entraîné plus de morts que les armes à feu et les accidents de la route réunis. La France en compte 12 millions de consommateurs et plus de Français meurent aujourd’hui par overdose liée à la consommation de ces médicaments censés soulager que par overdose liée à l’héroïne.
Il existe, pourtant, un antidote à ces overdoses, la Naloxone. Réservé à de rares établissements, son accès restreint est la conséquence mortifère du cloisonnement du monde de l’addictologie. Ce produit connu depuis des décennies par les professionnels des addictions et les urgentistes n’est diffusé en ville qu’en catimini ou presque, sans communication vers le grand public et les professionnels de santé.
Il devrait être systématiquement proposé dès qu’on prescrit un antalgique opioïde et plus largement diffusé dans les centres de soins et à des coûts non prohibitifs. Cette décision relève de l’urgence : nous fabriquons des addicts et nous comptons, encore une fois, les morts.
Aucun enseignement n’a été tiré des crises du passé : la politique de lutte contre les addictions est dissoute dans une action inefficace de lutte contre les trafics de drogues. L’obsolescence de notre arsenal législatif est très largement documentée par des décennies de travaux scientifiques. Les consommateurs sont traités en délinquants et non en malades. Consommateurs réguliers de cannabis, d’alcool, addicts aux jeux d’argent, chemsexeurs (NDLR : pratiquants de sexe sous drogue) sont atteints d’une maladie chronique grave. Une véritable politique de santé publique de lutte contre les pratiques addictives doit être élaborée en urgence.
Cela passe tout d’abord par la rupture de l’assimilation consommateurs/délinquants, qui rend impossible le traitement sanitaire de cette pathologie. Elle appelle une dépénalisation de l’usage de l’ensemble des drogues et, dans le cas du cannabis, une légalisation de la détention pour usage personnel, et la vente dans le cadre d’un monopole d’Etat, régulé, protecteur de la santé publique.
Cela suppose ensuite une organisation du soin en addictologie rénovée : plates-formes d’accompagnement ouvertes sur la cité et les médecins généralistes, campagne de sensibilisation de la médecine du travail, déploiement dans chaque agglomération des salles de consommation à moindre risque…
Ce plan nécessaire et urgent ne pourra se faire sans un véritable débat, qui replace le ministère de l’Intérieur dans le traitement des trafics, et le ministère de la Santé dans la prise en charge des malades. Sans ce changement de paradigme sur l’approche de l’addiction, les crises sanitaires se succéderont. »
Source : http://www.leparisien.fr/societe/guy-sebbah-pour-une-depenalisation-de-l-usage-de-l-ensemble-des-drogues-16-06-2019-8094210.php