XIXe siècle – France. Dans les années 1830, alors que la pandémie de choléra frappe l’Europe, le milieu médical français se passionne pour la résine de cannabis, parée de toutes les vertus.
Nombreux sont ceux qui ont applaudi à l’annonce d’un début de réglementation prenant mieux en compte les enjeux de santé publique sur la consommation de cannabis en France. L’Agence nationale de sécurité du médicament a salué les initiatives prises pour réunir “les premières données en France sur l’efficacité et la sécurité” du cannabis à usage thérapeutique.
Amnésie du corps médical à l’égard du cannabis thérapeutique
Au milieu du XIXe siècle, Paris est en effet au cœur d’un mouvement international préconisant une consommation thérapeutique de haschich, la résine de cannabis. De nombreux médecins et pharmaciens français pensent qu’il était possible de contrôler les effets de cette substance dangereuse et enivrante venue d’Orient et de l’utiliser contre les plus terribles maladies de l’époque.
Pendant les années 1840 et 1850, des dizaines de pharmaciens français misent donc sur le haschisch, publiant des essais et des articles validés par des confrères décrivant les bénéfices thérapeutiques du haschisch.
Pastilles infusées à la résine de cannabis
Dès la fin des années 1830, les premières pastilles infusées au haschisch font leur apparition dans les pharmacies françaises, bientôt suivies de teintures de cannabis (de l’alcool infusé au haschich) et même de “cigarettes médicinales”.
En 1840, l’épidémiologiste français Louis-Rémy Aubert-Roche publie un traité dans lequel il affirme que du haschich, administré en petite quantité et consommé avec du café, a permis de guérir sept patients sur onze atteints de la peste et traités dans des hôpitaux du Caire et d’Alexandrie pendant l’épidémie de 1834-1835. Exerçant à une époque où la théorie microbienne n’était pas encore acceptée, Aubert-Roche, ainsi que la plupart des médecins de son époque, ne croyait pas au caractère contagieux de la peste, pensant plutôt qu’il s’agissait d’une affection du système nerveux central transmise aux humains par les “miasmes” dans des endroits sales et mal ventilés.
Interprétant l’atténuation des symptômes comme un signe de guérison, Aubert-Roche pense que le haschich a un pouvoir stimulant sur le système nerveux central, contrebalançant les effets de la maladie.
“La peste, écrit-il, est une maladie des nerfs. Le haschisch, une substance qui agit sur le système nerveux, a donné les meilleurs résultats. C’est pourquoi je pense qu’il s’agit d’une drogue à ne pas négliger.”
Le Club des Hashischins
Fondateur du célèbre Club des Hashischins à Paris dans les années 1840, le médecin Jacques-Joseph Moreau de Tours, était lui aussi un grand partisan du dawamesc pour traiter les maladies mentales. Il était convaincu que la démence était provoquée par des lésions au cerveau dont les effets pouvaient être corrigés par le haschisch.
En 1845, dans un essai intitulé Du haschisch et de l’aliénation mentale, il affirme avoir guéri sept patients atteints de troubles mentaux entre 1840 et 1843 à l’hôpital Bicêtre de Paris. De fait, il n’avait pas complètement tort ; aujourd’hui les médecins prescrivent des traitements à base de cannabis pour soigner la dépression, l’anxiété, le syndrome de stress post-traumatique et les troubles bipolaires.
En dépit de leur modeste envergure, les travaux de Moreau ont fait l’objet, à la fin des années 1840 et au cours de la décennie suivante, d’articles élogieux aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie. L’un d’eux les qualifiait de “découverte d’une grande importance pour le monde civilisé”.
Des plants de cannabis aux vertus inégales
En revanche, si les médecins présentaient le haschich comme un remède miracle, ils déploraient l’impossibilité de standardiser les doses en raison de la puissance inégale des différents plants de cannabis. Ils soulignaient également les problèmes posés par le haschich frelaté, importé d’Afrique du Nord et souvent mélangé à d’autres extraits de plantes psychoactives.
Au début des années 1830, plusieurs médecins et pharmaciens de l’Empire britannique tentent de résoudre ces problèmes en dissolvant le haschich dans de l’alcool pour produire une teinture. Vers le milieu de la même décennie, des médecins français leur emboîtent le pas en mettant au point et en commercialisant leur propre teinture de haschich. Un pharmacien parisien, Edmond de Courtive, appele même sa préparation “Hachischine”, du nom des tristement célèbres Assassins musulmans qui sont souvent associés au haschich dans la culture française.
Bataille de brevets entre pharmaciens
La popularité de la teinture de haschich en France a rapidement augmenté à la fin des années 1840 pour culminer en 1848. Cette année-là, le pharmacien Joseph-Bernard Gastinel et son homologue Edmond de Courtive engagent une bataille judiciaire sur le droit de propriété d’une teinture fabriquée à l’aide d’une méthode de distillation particulière.
Pour acquérir le droit de propriété, Gastinel envoie deux confrères défendre ses intérêts à l’Académie de médecine en octobre 1848. L’un des deux, un médecin du nom de Willemin, fait valoir que non seulement Gastinel a inventé la méthode de distillation mais aussi que sa teinture soigne le choléra, pourtant considéré à l’époque comme une maladie nerveuse.
Si Willemin ne réussit pas à persuader l’Académie que le droit de propriété doit revenir à Gastinel, il convainc les médecins parisiens d’adopter la teinture de haschich comme traitement du choléra.
La résine de cannabis pour guérir le choléra ?
La profession n’a pas eu à attendre longtemps pour vérifier la validité de la théorie de Willemin. Une épidémie de choléra éclate dans les faubourgs de la capitale quelques mois plus tard. Après avoir constaté l’inefficacité de la teinture de haschich sur les quelque 7 000 Parisiens victimes de la “mort bleue”, les médecins perdent progressivement confiance dans ce médicament miracle.
Au cours des décennies suivantes, la teinture de haschich tombe en discrédit, car la théorie des miasmes sur laquelle reposait son usage cède la place à la théorie microbienne et à une nouvelle compréhension des maladies épidémiques et de leur traitement. À la même époque, un nombre croissant de médecins de l’Algérie française dénoncent l’usage du haschich comme cause majeure de démence et de criminalité chez les autochtones musulmans, une pathologie appelée “folie haschichique”. Le haschich, porté aux nues quelques décennies plus tôt, est rebaptisé “poison oriental” à la fin du XIXe siècle.