L’APPEL DU 18 JOINT DE 1976 À 2006

Il y a trente ans, quelques agitateurs bien attentionnés lançaient par l’intermédiaire de Libération « L’Appel du 18 Joint« .
Cet appel qui demandait « la dépénalisation totale du cannabis, de son usage, sa possession, sa culture (autoproduction) ou son introduction sur le territoire français en quantité de consommation courante », a été signé par une future star de la politique, Bernard Kouchner, mais aussi par le futur président de la Ligue des droits de l’homme Henry Leclerc…Et par des intellectuels et des artistes : Gilles Deleuze, Philippe Sollers, Bernadette Laffont, Bertrand Tavernier, Isabelle Huppert, Philippe Druillet…

Historique Appel du 18 Joint

Depuis, tous les ans, le 18 juin à 18 heures, le CIRC Paris invite les amateurs de petite fumette à se réunir sur les pelouses du parc de La Villette pour partager des idées, des pétards et demander l’abrogation de la loi de 1970. À l’initiative des CIRC en région, d’autres rassemblements ont lieu dans toute la France.

Au nom du fumeux L.630 (il s’appelle aujourd’hui L 3421-4) qui interdit « la présentation sous un jour favorable », les rassemblements organisés par les CIRC, ont souvent été interdits, une interdiction bravée par les militants qui furent régulièrement condamnés à des amendes.

En 2006, année du cannabis, nous fêterons les trente ans de l’Appel du 18 Joint, le moment de dresser le bilan de trente ans de prohibition.
Associations, mouvements, individus, nous sommes tous concernés par la politique des drogues. Or, après une éclaircie en 1999 avec la publication de l’opuscule « Savoir plus – Risquer moins », la droite, à peine arrivée au pouvoir, a sapé tout le travail accompli par la Mildt en laissant aux sénateurs le loisir d’écrire un rapport dont rien que le titre : « Drogue, l’autre cancer », annonce la couleur.
Nicolas Sarkozy remet régulièrement sur le tapis son projet de réforme de la loi de 1970 qui prévoit des amendes de cinquième catégorie (1500 euros) à tout usager pris le pétard à la main, et des peines complémentaires, saisie du scooter ou du portable, pour les récidivistes.
Alors que la prohibition du cannabis est un échec patent, que les consommateurs se comptent par millions et que pour la plupart ils ont un usage récréatif, la réforme proposée par le ministre de l’intérieur – la « tolérance zéro » pour le cannabis – est tout aussi inadaptée et sera tout aussi inapplicable que la loi de 1970.

Dans le cadre de ce trentième anniversaire de « L’Appel du 18 Joint« , alors que se profileront à l’horizon les élections présidentielles, que la politique de la droite envers le cannabis, mais aussi envers nombre de « sujets de société », est intolérable, le CIRC vous invite à participer ou à soutenir « les états généraux du cannabis », une série d’évènements festifs, culturels, politiques… qu’il compte organiser lors de la semaine précédant le dimanche 18 juin.

En 1993, après avoir relu l’appel de 1976 et constaté qu’il était toujours d’actualité, le CIRC décidait de le relancer à sa manière lors de la « Première journée international d’information sur le cannabis », qu’il organisait conjointement avec les éditions du Lézard.

Consultez également le formidable historique de la prohibition réalisé par Jean-Pierre Galland :

Le Péril Jeune

Nous sommes à Woodstock en 1969, une bourgade de l’Amérique profonde. Qui mieux que Jimmy Hendrix interprétant au petit matin sa version de l’hymne américain incarne le mieux la révolte d’une partie de la jeunesse contre la guerre du Vietnam ? Une jeunesse qui découvre la marijuana, goûte au LSD et rêve de réconcilier l’individu avec la politique.
En Europe, c’est à l’île de Wight que la jeunesse contestataire, les adeptes du Flower Power, se donnent rendez-vous. Plus de 250 000 personnes se déplacent pour entendre Bob Dylan chanter Times, they are a changin’. Un an plus tard, près de 600 000 spectateurs se presseront pour écouter Jimi Hendrix, les Who, Miles Davis, Donovan, Joan Baez…

Woodstock

1969, c’est aussi l’année où sort sur les écrans Easy Rider de Dennis Hopper. Ce film qui montre une Amérique intolérante et raciste en mettant sur une moto deux hippies, devient une référence pour ceux qui sont en rupture avec la société de consommation et veulent en finir avec le vieux monde. La scène où Dennis Hopper et Jack Nicholson prennent de l’acide dans un cimetière est dans toutes les mémoires.

La jeunesse radicale, celle qui voudrait donner un sens aux utopies esquissées en mai 1968, est divisée. D’un côté, il y a ceux qui croient à la révolution du peuple par le peuple, se déguisent en ouvrier pour l’enseigner et lancent un appel à l’insurrection par l’intermédiaire de la Cause du peuple dont Jean-Paul Sartre sera un éphémère responsable après l’arrestation de son rédacteur…Et de l’autre, ceux qui redoutent la discipline martiale des groupuscules gauchistes et doutent de leur efficacité sur le terrain de la guérilla. Ceux qui découvrent en tirant sur un joint d’Africaine ou d’Afghan de nouveaux continents et lisent Do It plutôt que Le Capital.

Cette fracture se concrétise en 1970 lors du festival de Biot-Valbonne, le grand festival de l’été. Les Mao débarquent drapeaux rouges en tête. Scandant « le pop au peuple », ils s’affrontent avec le service d’ordre et les apprentis hippies. Les premiers reprochent à la marijuana de démobiliser les troupes et les seconds affirment que « la subversion culturelle sape les valeurs bourgeoises bien plus efficacement que les meetings à la Mutu ».

Un groupe VLR (Vive La Révolution) et son journal Tout fait le joint entre les gauchistes et les marginaux. Mais le magazine qui deviendra le flambeau de la Contre culture, c’est évidemment Actuel. Jean-François Bizot, jeune homme de bonne famille revient stupéfié des Etats-Unis où il a découvert l’herbe, l’acide et la presse underground. Le numéro Un d’Actuel sort en octobre 1970. Son titre ? « Les communautés contre la famille. »
C’est l’année où les jeunes fuient en masse les villes pour tenter de vivre en autarcie à la campagne sous l’œil goguenard des autochtones. 1970, c’est aussi l’année de la création du MLF.

Depuis les événements (comme on dit pudiquement) qui ont secoué le pays en 1968, les jeunes font peur. Quand ils n’apprennent pas à fabriquer des cocktails Molotov, ils apprennent à rouler des joints. Pour rassurer sa « majorité silencieuse », le gouvernement décide de les mater. Il enfante de la loi anti-casseur pour calmer les ardeurs gauchistes. Et pour calmer les drogués, il invente une loi « visant à transformer les dispositions juridiques en matière de trafic et d’usage de stupéfiants ».
La première loi, accompagnée de l’interdiction de la Gauche prolétarienne, a fait grand bruit tandis que la seconde est passée inaperçue. À l’époque, on confondait joyeusement toutes les drogues. Les passants s’écartaient lorsqu’ils croisaient des « chevelus », immédiatement soupçonnés d’être des drogués. La presse s’en donnait à cœur joie comme en témoignent ces extraits d’un article paru en 1970 dans le journal Ici Paris : « J’ai vu des garçons et des filles rongés par la crasse et les parasites se traîner dans la boue et la pourriture… Quand l’un d’eux a envie d’une femme, il la prend telle une bête, au milieu des autres… Des mégots de cigarettes au haschich ramassés à terre qu’ils se disputent comme des bêtes ».

Pierre Mazeaud, député UDR, lance le débat à l’Assemblée nationale. Il révèle à ses collègues que « des hippies s’adonnent dangereusement à la drogue et à l’anarchie sexuelle », que le drogué « s’il peut paraître inoffensif » devient lorsqu’il est en groupe « armé pour la contestation ».

La loi est finalement votée à l’unanimité parlementaire le 31 décembre 1970 à 23 heures. Particularité de cette loi, en mettant dans le même sac toutes les drogues, elle facilite le passage de l’une à l’autre et créé la classe des « toxicomanes ». Autre singularité, elle réconcilie les partis politiques dans un vaste mouvement de répression dirigé contre la jeunesse contestataire et rapidement le drogué « dans l’imaginaire de la peur sociale » remplace l’enragé.

En 1969, 836 personnes ont été interpellées à cause du cannabis, un chiffre qui depuis n’a cessé d’augmenter pour atteindre des sommets que les auteurs de cette loi n’imaginaient pas sans doute…

Mai 68

Les amateurs de cannabis se rebellent

En 1971, Jacques Chaban-Delmas envoie à la presse une « charte de l’information sur la drogue » où il conseille aux journalistes de « casser les associationsl valorisantes drogue-plaisir, drogue-révolte, drogue-communauté et les remplacer par les contraintes souffrance, asservissement, isolement ».

Le plaisir entre en politique. Les femmes luttent pour le droit à l’avortement et les homosexuels créent le Fhar (Front homosexuel d’armée révolutionnaire).
En déclarant qu’il trouve peu convaincants les propos du docteur Nahas (le docteur Folamour du cannabis), le professeur Olievenstein représente l’avant-garde.
En Italie, Marco Panella, le leader charismatique du Parti radical, est appréhendé pour avoir fumé lors d’une réunion pour la dépénalisation.

« Le drogué de 1972 est traité en France comme l’hérétique du Moyen-Age », note Actuel dans le numéro qu’il consacre aux drogues.

Les jeunes voyagent. Ils font la route, fument le Chillum en Afghanistan et moissonnent au Cachemire. Ils ramènent dans leur sac à dos des variétés de haschich étonnantes et détonantes. Les plus audacieux goûtent au LSD, pyramides roses et buvards. Dès l’automne venu, les mêmes s’en vont cueillir des psylos dans les prairies à vaches.

En 1975, Actuel se saborde. Tirant à 90 000 exemplaires, se passant d’un sac à dos à l’autre, il resserrait autour de ses petites annonces les liens entre les paumés, les clochards célestes, les zonards, les bâtisseurs d’utopies, les voyageurs…
Au même moment, les Sex Pistols donnaient leur premier concert à Londres.

Dans les années 70, un pays : la Hollande, et une ville : Amsterdam, séduisent les amateurs de cannabis. Bien avant la loi de 1976 qui réserve un régime de prohibition douce au cannabis, le Paradiso ou le Melkweg, des hauts lieux de la Contre-culture amsteldamoise, tolèrent un dealer maison. En 1975, à La-Haye, un jeune homme accusé d’avoir vendu du cannabis dans une maison de jeunes, explique au tribunal que son activité empêche ses clients de traîner dans la rue où leur seront immanquablement proposées ce qu’il est alors convenu d’appeler des drogues dures. Les journaux reprennent l’information, le grand public s’émeut, des pourparlers s’engagent entre les maires, les officiers de justice, les ministères concernés, et tenant compte des conclusions du rapport Bahn (1972), lequel considère le cannabis comme une drogue socialement acceptable, le gouvernement hollandais invente le concept du coffee-shop.

Concernant le cannabis, la France se distingue déjà de ses voisins européens par un discours musclé et une pratique répressive. Les fumeurs sont présentés soit comme de futures loques humaines, le haschich ouvrant grand la porte de l’héroïne, soit comme les victimes de dealers mal intentionnés. Quant à la presse, qu’elle soit de droite ou de gauche, elle participe activement à la désinformation autour d’une plante qui connaît un franc succès, incite à la paresse, un pêché vraiment capital dans une société capitaliste.

Devant tant de sottise accumulée, quelques jeunes journalistes travaillant à Libé et à feu Actuel décident de lancer l’Appel du 18 joint, un clin d’œil osé, mais bien dans l’esprit cannabique de l’Appel lancé de Londres par De Gaulle.

Actuel

Quand les hippies deviennent des babas

La France découvre que ses enfants se droguent. Les affaires se multiplient. Les ados cuisinés par les gendarmes craquent. Les filières, le plus souvent une bande de potes qui bientôt ne le seront plus du tout, sont démantelées.

C’est justement un procès qui va redonner au mouvement désordonné constitué dans la foulée de l’Appel du 18 joint, un nouvel élan. En mars 1977 à Lons-le-Saunier, sous préfecture du Jura 49 personnes plus ou moins insérées, s’entassent dans la salle du tribunal. Vingt-huit prévenus sont menottés, certains sont en prison depuis plus de six mois.
Avant ce procès retentissant, bien peu de gens connaissaient Lons-le-Saunier. Qu’on s’y drogue est un choc pour tous les parents qui pensaient que l’épidémie — comme disait le docteur Nahas, était circonscrite aux grandes métropoles.
Le procès débute au lendemain d’une forte progression de la gauche aux élections municipales. La presse s’en empare et commence un match de ping-pong entre le Figaro, symbole de la droite, et Libération dans le rôle du vilain petit canard.
Le premier en fait sa manchette « Hasch en stock » et promet de révéler à ses lecteurs « comment se déroule le trafic de stupéfiant ». Le second craint qu’avec tout ce battage, la justice ne soit pas objective.
Contre les 49 inculpés, le procureur requiert en tout 110 ans de prison.

La France des fumeurs s’émeut. Ils en ont marre qu’on les considère comme des toxicos, marre des gros mensonges véhiculés par la presse. Le 17 mai, à quelques jours de la sentence, lors d’une grande fête organisée par le Loustal, maison d’expression libre autogérée sise à Montpellier, quelques individus distribuent des tracts où ils demandent le retrait du cannabis du tableau des stupéfiants et invitent les passants à débattre autour d’une table sur laquelle ils ont posé deux pieds de chanvre.
Ce jour-là, ils ajoutent 367 signatures à la pétition qui circule en faveur des inculpés de Lons-le-Saunier. A quelques jours du verdict, la pétition : « nous fumons du haschich et sommes solidaires des inculpés », recueillera 2000 signatures qui seront remises au procureur.

Finalement, le tribunal tenant compte « du contexte social des inculpés et de la situation politique actuelle » prononce des peines beaucoup plus douces que celles demandées par le procureur.
Vexé, le Parquet fera appel à l’encontre de 16 inculpés. Trois d’entre eux verront leurs peines aggravées.

Pour fêter l’année 1977, Libération s’inspirant d’une station de radio néerlandaise, dresse une fois par semaine un récapitulatif des prix des différentes variétés de cannabis disponibles sur le marché et distille quelques conseils pratiques.
Sept mois plus tard, marquant la fin des années hippies et le début des années punk, la bourse du shit est remplacée par White Flash, la chronique d’Alan Pacadis… « Merde, love and peace, c’est fini, si tant est que cela a été un jour ».

Ca flippe dans les chaumières. Valéry Giscard d’Estaing recommande la nomination d’un « Monsieur Drogue » (on en verra défiler une bonne douzaine en dix ans !) chargé de trouver des solutions concrètes pour en finir avec la toxicomanie.

En 1978 sort le premier rapport français sur la question des drogues. Il a été confié à Monique Pelletier et il balaie allégrement les idées reçues mettant à mal la plus tenace d’entre elles, la théorie de l’escalade.
L’acte de fumer n’est certes pas banal, mais il serait souhaitable, écrit notamment Monique Pelletier, « de fixer clairement en accord avec les spécialistes concernés un seuil quantitatif au-dessous duquel tout porteur serait, sauf preuve du contraire, assimilé à un usager et non à un trafiquant, et de recommander que, au-dessous de ce seuil, le détenteur ne soit plus déféré au parquet. »
Vingt-huit ans plus tard, l’usage en privé est toujours passible d’un an de prison et de 3750 euros d’amende.

Nous voilà en 1979 !

1979, c’est l’année où Sid Vicious meurt d’une overdose, l’année où Jacques Mesrine est abattu.
En octobre, le magazine La Gueule Ouverte décide de s’attaquer à « l’intolérable hypocrisie » du gouvernement et se lance dans la bataille pour la « dépénalisation de la culture et de la consommation du cannabis » avec un texte intitulé : « Pour le plaisir ».
En 1979, chaque fois qu’on découvre quelques grammes de hasch dans les poches d’un ado, les journaux en font leur gros titre.
Il en va ainsi d’une affaire qui éclate au collège de Liverdun, une petite ville de Meurthe et Moselle. Tandis que l’Est Républicain titre : « Drogue, scandale au collège de Liverdun », le Figaro en rajoute : « Drogue : les parents ont raison d’avoir peur » et Ici-Paris s’insurge : « Scandaleux ! La drogue au programme ».
Libération, le journal des gauchistes, s’oppose à l’Humanité, l’organe du parti communiste. Tandis que le premier se félicite de l’acquittement d’un planteur de cannabis par le tribunal de Toulouse, le second, quelques jours plus tard, titre : « Une scandaleuse provocation, l’apologie de la drogue aux portes du lycée ».

1979 sera une bonne année pour la brigade des stups qui saisit plus de six tonnes de beuh.

Nous sommes en 1980.

Entre Libé et l’Huma s’engage une partie de ping-pong… Et Libération de prévoir : « Les sorcières des années 80, ce seront les drogués ».
Le docteur Olievenstein se demande si la répression « n’est pas un prétexte pour faire faire un pas de plus à la fascisation du pays ».

La Gueule Ouverte est toujours le magazine des partisans de la dépénalisation… A sa tête, Jean-Luc Bennahmias !
Un peu partout en France, à Montpellier, à Rennes ou à Saint-Etienne, sont créés les CALUMED, les Comités d’action pour la libération de l’usage de marijuana et de ses dérivés.
Jean-Pierre Chevènement regrette que les cannabinophiles deviennent le « prétexte à un quadrillage policier de la jeunesse ».
Le PSU soutient le mouvement pour la dépénalisation.
Quelques représentants du CALUMED participent à la première conférence sur la légalisation du cannabis organisée à Amsterdam par la « International Cannabis Alliance for Reform », fusion d’une association britannique, du Norml américain et du parti radical italien.
Le premier mai, on fume des joints dans la manif parisienne, et à Montpellier une banderole en faveur de la dépénalisation du cannabis est déployée.
Le 10 et 11 mai se déroulent à Paris les « Assises pour la dépénalisation du cannabis ». Il n’y a pas foule. On écoute Jean Fabre, le représentant du Parti radical italien et un représentant de Legalize Cannabis Campaign. Les représentants des CALUMED en région, ils sont désormais une quinzaine, se plaignent. Ils n’ont pas été consultés et aucune réunion nationale de concertation n’a eu lieu.
Noah regrette déjà d’avoir déclaré dans Rock and Folk son penchant pour le chanvre qui se fume.
Riche en événements cannabiques, l’année 1980 se termine, après trois ans d’instruction, par un procès, celui du journal Libération accusé d’avoir présenté le cannabis sous un jour favorable en publiant des recettes, des fiches pratiques et des articles sur Thomas Szasz, auteur du fameux « La Persécution rituelle des drogués, boucs émissaires de notre temps ».

La Grande Désillusion

Les élections présidentielles approchent.

C’est au dernier moment, paraît-t-il, que le parti socialiste glisse dans son programme, au chapitre consacré à la famille, quelques lignes où il se prononce timidement pour une dépénalisation de l’usage.
Les membres du mouvement informel, mais bien réel qui avait atteint son apogée avec l’organisation des Assises pour la dépénalisation à Paris, accueillent avec soulagement l’arrivée du socialisme… Et le soir du 7 mai, alors que dans les beaux quartiers, les riches bouclent leur valises pleines de billets, les joints tournent place de la Bastille. On allait enfin en finir avec la petite bourgeoisie et ses idées étriquées.

Le lendemain où le socialisme arrive en France, Bob Marley s’en va.

Christophe Gourmand, activiste montpellierain, est convoqué devant le tribunal. Une association de parents d’élèves a porté plainte suite à la distribution par des mineurs d’un tract du Calumed à la sortie du Lycée Joffre, le plus huppé de la ville.
Les membres du collectif « Volem fumar al païs » se défilent et refusent de lui apporter un soutien concret. Dégoûté, Christophe prend ses distances. En quelque mois, le Calumed perd de sa superbe, s’étiole et meurt.

« DROGUES, LE BOOM MONDIAL », telle est la Une de Libé ces 30 et 31 janvier 1982.
Quelques semaines plus tôt, le même journal relatait l’arrivée « d’un mystérieux cancer chez les homosexuels américains ».

Un Monsieur Drogue, François Colcombet, ex-président du Syndicat de la magistrature, est nommé en 1982. Il est contre la dépénalisation. « Mieux vaut ne pas dépénaliser, quitte à ne pas réprimer, même si je suis peut-être un vieux pompon à cet égard », déclare-t-il. De toute façon, c’est impossible, la France a signé des accords internationaux… Une litanie dans la bouche des responsables de tout poil.

Le docteur Claude Olievenstein est le chouchou des médias. Le débat drogue douce drogue dure ? Ça ne l’intéresse pas. Et de nous expliquer que nous ne sommes pas tous égaux devant les drogues. Tout dépend « du produit, de la personnalité de l’usager et du moment socioculturel ». Il n’a pas vraiment tort. Et il découle de cette trilogie qu’il est possible d’avoir un usage dur d’une drogue douce, et inversement ,un usage doux d’une drogue dure.

Juste après une allocution de François Mitterrand, la première chaîne propose un reportage « Hasch à la ferme » où deux cultivateurs portant des masques de Mickey nous font visiter leur potager.
Quelques mois plus tard, nos cultivateurs se dévoilent et fondent le collectif « Fumée douce ».

La répression bat son plein. Le shit devient rare et les ados découvrent le charme de la colle à rustines.

Fin 1981, les mystérieuses éditions Sinsemilla lancent un magazine : Viper. Dessinateurs en herbe ou confirmés, journalistes amateurs ou professionnels, ayant pour tout salaire les joints qu’ils partagent, les premiers numéros de Viper sont conçus dans la cuisine de Gérard Santi, son rédacteur en chef.
Au fil des ans, le magazine grandit et devient adulte. La revue Drogues financée par l’Etat, le reconnaît d’utilité publique. En 1984, Gérard Santi travaille dans un vrai bureau, ses collaborateurs sont plus exigeants que par le passé, nombreux sont ceux qui défilent et proposent des articles ou des dessins, même les publicitaires le courtisent.
Trop c’est trop ! Gérard Santi dit Stop. Il ne veut pas que Viper devienne un magazine comme les autres.

Le boom des drogues annoncé en 1982 se confirme en 1983 si l’on se réfère au rapport de l’Onu. Le Liban est montré du doigt…Son haschich rapporté dans les Rangers par les soldats de la Finul, fait le bonheur des drogués Français. Une France bien obligée de constater qu’on trouve de plus en plus d’héroïne. Quant au cannabis, il est devenu d’une totale banalité d’en fumer.
Le nombre d’interpellations d’usagers de cannabis double en un an passant de 6000 à 12000. Idem pour l’héroïne.

Le 17 juillet 1983 l’usage et la consommation des drogues pour usage personnel ne sont plus un délit en Espagne.

En 1984, les experts de l’Onu (la voix des Etats-Unis farouches partisans de la guerre à la drogue) adresseront des remontrances non seulement à la Hollande, mais aussi à l’Espagne… Dans l’élan, ils décerneront une médaille au Mexique pour ses efforts, le Mexique qui défend avec les Etats-Unis (quel paradoxe !) sa place de premier producteur mondial de marijuana.
Le docteur Olievenstein commentant la politique des drogues en France, nous prévient : « Nous paierons le prix de la politisation des problèmes de la drogue et d’une idéologie sécuritaire distillée à des fins électorales. Tout le monde en paiera le prix à gauche comme à droite ».
Le score du Front National, 11 % de voix lors des élections européennes, crée un choc et donne raison au docteur Olievenstein., En tête des préoccupations françaises avec le chômage, la Drogue est un argument électoral de poids. Elle symbolise l’insécurité. Les cités sont peuplées de dealers étrangers qui vendent de la mort à nos gosses. La stigmatisation des drogues comme des drogués a attisé un sentiment d’insécurité que tous les partis politiques ont utilisé avec pour seul objectif, ramasser des voix.

D’après l’Onu, mais c’est chaque fois la même ritournelle, l’année 1985 est pire que la précédente. L’occident est un réservoir inépuisable de consommateurs alimenté par des pays qui ne demandent qu’à produire des drogues, des marchandises idéales pour les fomenteurs de coups d’Etat.
Le saviez-vous ? Au pays de la guerre à la drogue, la marijuana est la deuxième production agricole après le maïs et les experts s’inquiètent de l’augmentation de la culture en intérieur.

En projet, une nouvelle loi qui permettra la comparution immédiate des usagers revendeurs. Les effectifs de l’Octris (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) sont renforcés. La loi sur les « petits dealers » sera finalement votée le 20 novembre 1985. Une peine entre deux et six ans de prison est prévue.

C’est souvent lors de son service militaire que l’appelé est initié au plaisir de la fumette.

Un nouveau Monsieur Drogue, Jean-Claude Karsenty est nommé à la place de Franck Perriez, lequel avait succédé à François Colcombet. À quoi sert un « Monsieur Drogue » ? À répéter inlassablement qu’il n’y a plus d’usagers en prison, que nous avons signé les Conventions internationales et qu’il n’est donc pas possible de dépénaliser l’usage.
Ce n’est pas l’avis de Francis Caballero pour qui il suffirait d’ajouter un mot pour changer le sens à cette Convention.

Les Années de Plomb

Le 19 juin 1986, la moto conduite par Michel Colucci percute de plein fouet un camion.
« Les Frères Pétards » a failli ne jamais sortir. Le gouvernement oblige réalisateur et producteur à mettre un bandeau annonçant la nature du film. Comme dit Géné, célèbre journaliste à propos d’Albin Chalandon, Garde des Sceaux, « il n’a pas inventé le fil à couper le shit ».
Après la campagne de pub « La drogue, c’est de la merde », un échec retentissant, une nouvelle campagne : « La drogue, parlons en avant qu’elle ne lui parle » est lancée par le gouvernement.
Un soir de décembre, Malik Oussekine est tué par les voltigeurs de la police rue Monsieur-le-Prince.

Nous voilà en 1987. Le recours aux soins forcés préconisés par Albin Chalandon est abandonné. Pour compenser, de nouvelles mesures contre les trafiquants vont être prises.
En 1987 débute l’affaire Apap.
Lors de l’audience de rentrée du tribunal de Valence, Georges Apap prononce un discours où il s’en prend à la prohibition, un discours qui lui vaut les foudres du Garde des Sceaux qui le mute d’office à Bobigny.
Le 9 octobre, il est jugé par ses pairs qui lui reprochent de critiquer l’action du gouvernement alors que sa fonction exige de la défendre.
Finalement, jugeant entre autre que sa vision d’un monde où les drogues seraient légalisées est utopiste, Georges Apap sera relaxé.
Dans son rapport annuel, le professeur Olievenstein s’indigne : « Rarement les professionnels ont été traités par les mileux officiels avec une telle arrogance, un tel mépris et une telle agressivité ».
En décembre est créée la Coordination radicale antiprohibitionniste. Au même moment, sous l’impulsion de Milton Friedman, économiste américain et libertarien, naît la Drug Policy Foundation.

En 1988, The Economist lance un Appel : « Regulate it ! »
Howard Marks, citoyen britannique surnommé le Marco Polo de la drogue, est arrêté à Palma de Majorque… Des années plus tard, il publiera un récit de ses aventures dans un livre : « Mister Nice ».

Le temps passe vite, et nous voilà en 1989, année où est fondée la Ligue internationale antiprohibitionniste… Georges Apap est le seul Français à en faire partie.
C’est en 1989 que paraît un livre stupéfiant « Le Droit de la drogue »… Et un journaliste de Libération d’écrire : « Francis Caballero a pourtant commis là, avec l’onction quasi biblique de la maison Dalloz un véritable brûlot ».
Il faudra deux ans au Conseil économique et social pour pondre un rapport désolant. Un petit extrait ? A propos de la Drogue, cette sous-culture, Eveline Sullerot, la rapportrice, préconise d’en finir « ne serait-ce que pour arrêter à temps les rumeurs et les campagnes lancées par les trafiquants, la dernière étant celle qui laisse entendre que la légalisation des produits illicites arrêterait à la fois trafic et toxicomanie, alors qu’elle répandrait le mal dans des proportions irréparables ».
Michel Charasse, ministre en bretelles, déclare dans une interview au Point : « Les trafiquants de drogue doivent savoir que je suis leur pire ennemi. Ils pourrissent les gamins. Jusqu’à mon pays, l’Auvergne, où pourtant il ne pousse pas de cannabis ! En tant que maire, j’ai perquisitionné à l’école et fait ouvrir les cartables. Nous avons trouvé du cannabis qu’un jeune soldat du coin a ramené du Liban ».
En 1989, le mur de Berlin tombe.

Nous voici en 1990.
Georgina Dufoix prend la présidence de la DGLDT. Le professeur Nahas, le docteur Folamour du cannabis, est pressenti par la nouvelle madame Drogue qui déclare dans le magazine Match : « L’abus de drogue détériore les fonctions du cerveau cent fois plus rapidement que l’alcool et deux cent fois plus que le tabac ».
En Ariège, la répression bat son plein. Pour protester contre la chasse aux « Pélus », quelques courageux créent l’association ALI (Association pour les libertés individuelles) qui se voit interdire l’accès à une salle de la mairie de Saint Girons où ils comptaient organiser un débat sur le Droit du cannabis de l’antiquité à nos jours avec Francis Caballero en Guest Star. La raison invoquée par Roger Fouroux, le maire ? Il ne voudrait pas que ses concitoyens pensent qu’en mettant une salle communale à disposition « ils cautionnent les propositions de dépénalisation qui seront avancées à l’occasion de cette réunion ».
Libération sort un numéro spécial intitulé « Drogue, la guerre mondiale » qui démontre qu’elle est perdue.
« Manif pour la légalisation samedi 23 juin 1990 » peut-on lire sur des affiches artisanales. Il ne sont qu’une dizaine, jeunes pour la plupart, et le jour dit, ils déploient une banderole sur laquelle est griffonné : « Légalisez le canabis » avec un seul « N ».
Rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Le bouche à oreille a fonctionné, les journalistes et les CRS sont sur le coup. Les manifestants aux cris de « Libérez Marie-Jeanne Enfermez Jean-Marie » et « Des Coffee-shops à Paris » traversent le Pont Saint-Michel. Contrôles musclés et gardes à vue sont au programme.
Pendant les vacances estivales, les membres de « Défonce libre » et « Fume » (Fondation Unitaire des Marginaux Eclatés) complotent. Initiateurs de l’événement, ils sont rejoints par le futur président d’une association en cours de création, le MLC (Mouvement de Légalisation du Cannabis) de Francis Caballero.
Qu’importe la visite des Renseignements Généraux chez Carolien Tuijthof considérée comme l’instigatrice de la contestation, tous se retrouvent le 23 septembre.
Comme dans les années 70, les manifestants expriment leur différence en scandant : « Vous c’est le pastis ! Moi c’est le haschich ! ». Tous les samedis, jusqu’au 17 novembre, malgré la répression, les partisans de la légalisation du cannabis se retrouvent pour une manifestation improvisée.
En ce 17 novembre, rendez-vous est pris à Saint-Germain, mais à peine sortis du métro, voir dans les couloirs, les flics en civil se ruent sur tout ce qui ressemble à un contestataire. La place est quadrillée de CRS et la manifestation est dispersée avant même de se former.

Ce sera la dernière du genre, mais des liens se sont tissés, les protagonistes de cette aventure se retouveront en mars 1991, après la publication de Fumée clandestine et créeront le CIRC.

… Mais c’est une autre histoire.

REMERCIEMENTS

Les illustrations sont de Phix, de Chester, de Pierre Ouin, de Placid et des militants du circ.

Sans les dessins de Phix, le CIRC ne serait pas le même. Il a été de toutes les grandes aventures et certains de ses dessins sont devenus cultes. Il est aussi l’auteur des Très Riches heures du Cannabis et l’illustrateur de J’attends une récolte.

Chester sévit depuis de nombreuses années. Il est le dessinateur préféré de nombreux groupes punks et rock. On ne compte plus ses contributions sous forme d’affiches et de flyers, mais aussi de recueils.
Il intègre le collectif Coma Lucide, puis fonde My Way, un fanzine très Rock and Roll.
Découvrez une partie de son travail sur http://chester.b.free.fr/ ainsi que sur http://stygmate.propagande.org/chester.htm

Pierre Ouin fut le créateur du célèbre Bloodi. Ça n’était pas la première fois qu’il mettait son talent au service du CIRC. Il a à son actif plusieurs albums de bandes dessinées et il collaborait régulièrement au magazine Asud Journal.
Pour en savoir plus sur ce dessinateur prolifique : http://ouin.noosblog.fr/

Placid a collaboré à de nombreux magazines (Charlie Hebdo, Strips, Lapin) et a publié plusieurs albums.
Placid a été condamné à une amende en 2007 suite à un dessin illustrant la couverture de Vos Papiers ! Que faire face à la police ? édité par l’Esprit Frappeur. Pour plus d’informations : (http://www.agitkom.net/)

Hervé Merliac était photographe. Il fut le premier à suivre les aventures du CIRC, que ce soit à Amsterdam pour les Cannabis Cup ou lors de nos manifestations, en particulier dans le cadre de l’Appel du 18 joint… Il était un peu la mémoire du CIRC.