Loin du «en même temps» qui a forgé sa victoire, le Président ferme la porte à tout assouplissement, dans une interview au «Figaro». Alors que la politique publique de prohibition est un échec, l’Etat gagnerait à légiférer pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants.
par Jonathan Bouchet-Petersen
publié le 19 avril 2021
Le débat semblait pourtant avoir progressé ces dernières années. On commençait à dépasser les propos simplistes sur une question aussi importante et complexe que la consommation, massive, de cannabis en France, championne d’Europe de la catégorie. A un an de la prochaine élection présidentielle et alors que la droitisation de sa base électorale restera comme une donnée majeure de son quinquennat, Emmanuel Macron ferme la porte à tout assouplissement de la législation, qu’il s’agisse de dépénalisation ou de légalisation. Dans une interview fort sécuritaire publiée ce lundi par le Figaro, le chef de l’État résume sa logique ? : «On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité.»
Coups d’épée dans l’eau
Or ce qui crée la possibilité du trafic, avec ses nuisances et ses violences incontestables, ce n’est pas la consommation qui génère, elle, des questions majeures de santé publique, mais bien la prohibition comme indépassable politique publique. En s’inscrivant dans une logique primaire de guerre contre la drogue, Emmanuel Macron n’est raccord ni avec son habituelle «pensée complexe» ni avec le «en même temps» qui a forgé sa victoire en 2017.
Pourtant, au-delà des clivages partisans, un nombre croissant d’élus et d’acteurs de terrain, médecins ou spécialistes des questions de sécurité, défendent désormais la légalisation comme seule option pragmatique. Non pour briser un interdit moral ou par appétit pour de potentielles rentrées fiscales importantes, mais pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants et des dealers de rue, et afin de contrôler la qualité, souvent médiocre, comme la puissance, croissante, des produits en circulation. Loin, très loin, de la politique de harcèlement des consommateurs qui, au regard de l’ampleur du phénomène, revient à mettre des coups d’épée, certes médiatisés, mais dans l’eau.
Saisies marginales et ridicules
L’amende forfaitaire créée l’an passé, manière de désengorger les commissariats et les tribunaux des fumeurs de joints tout en ponctionnant une dîme à défaut de fiscaliser la consommation, avait déjà été un indice du hors sujet présidentiel. Les opérations de communication menée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et qui ont donné lieu à des saisies toujours marginales et même parfois ridicules au regard des quantités en circulation, n’ont pas d’autre vocation que d’occuper le terrain médiatique. Elles s’inscrivent dans une logique de politique du chiffre qui n’a fait que montrer ses limites ces dernières années quand elle n’a pas conduit à une dérive inquiétante des méthodes au sommet de l’Office des stups, comme Libération l’a révélé et largement documenté depuis.
Le chef de l’État clôt donc jusqu’à la prochaine présidentielle le débat sur la légalisation du cannabis, alors même qu’un travail parlementaire transpartisan était en cours sur le sujet, nourri par une large consultation qui s’est achevée fin février. Sans en attendre les conclusions, Emmanuel Macron a fait le choix de s’inscrire dans les pas de Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, à rebours de ce qui est à l’œuvre dans nombre de pays où on a pris acte de l’échec de la prohibition. Le sujet mérite mieux que des formules électoralistes ou des postures martiales. Et pourquoi pas une Convention citoyenne ?
Source : Liberation.fr