On l’a vu dans une manifestation de policiers ce mercredi 19 mai. Une première pour un ministre de l’Intérieur. Au risque d’apparaître une nouvelle fois en porte-à-faux avec le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, Gérald Darmanin assume.
Quand bien même les slogans des syndicats, dont beaucoup observent « la radicalisation », ont ciblé la justice. Quand bien même des chercheurs, à l’image de Sebastian Roché, soulignent que le nombre de policiers tués est en diminution ces dernières années, voire doutent de la fiabilité des chiffres sur les violences aux forces de l’ordre. Lui, les invite en retour à se rendre dans les commissariats, pour s’y frotter au « réel ». C’est que, plus que jamais, l’hôte de Beauvau se pose en « premier des policiers de France ». Entendre : premier soutien.
Voilà pourquoi il a assuré aussi vouloir réécrire l’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale, après la censure du Conseil constitutionnel. Le texte a entraîné manifestations et concert de protestations des défenseurs des libertés publiques. Gérald Darmanin n’en démord pas, sans dire encore comment il entend concrètement sortir de cette mauvaise passe. Reste une ligne, qu’il porte en bandoulière.
D’abord, il fait du Rassemblement national son principal adversaire, d’ailleurs il prend soin de continuer à l’appeler « FN », pour bien montrer qu’à ses yeux il n’y a pas eu de dédiabolisation.
Et puis il y a ces multiples signaux aux électeurs et élus de droite… Rien d’anodin à un mois des régionales et surtout à un an de la présidentielle. « On voit que la poutre travaille encore », glisse-t-il, avec en tête que la recomposition se poursuivra à droite dans la perspective de 2022. Mais gare, en poussant les feux et les curseurs, à ne pas perdre sur l’autre bord, l’aile gauche de la majorité.
Le Conseil constitutionnel a censuré l’article 24 de la loi Sécurité globale, qui avait entraîné de nombreuses manifestations. C’est un camouflet…
GÉRALD DARMANIN. Non, la création du délit de constitution de fichiers de policiers, comme le funeste Copwatch, a été validée. Ce qui a été censuré, c’est la première partie de l’article 24 sur le délit de provocation à l’identification des policiers, qui a été écrite par le Sénat.
Sept articles sur vingt-deux sont censurés ou partiellement censurés. C’est le retour de l’amateurisme ?
Plus de 90 % du texte a été validé. Et ce qui est certain, concernant l’article 24, c’est que le Conseil constitutionnel n’a pas pu se prononcer sur l’écriture initiale des députés LREM Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. Peut-être que celle-ci serait passée.
Qu’allez-vous faire avec l’article 24 ?
La disposition principale de l’article 24 a été validée. Pour le reste, on peut regarder l’article 18 de la loi séparatisme, qui protège les agents publics.
L’utilisation des drones par les forces de l’ordre, notamment lors de manifestations, a aussi été censurée. Ils vont rester au garage ?
C’est malheureusement déjà le cas aujourd’hui. La Cnil nous empêche de faire voler des drones qui sont extrêmement efficaces dans la lutte contre la drogue, les rodéos motorisés et la maîtrise de l’ordre public. Ce qui est certain, c’est que je vais proposer au Premier ministre, dès cette semaine, un nouveau texte nous permettant de faire voler ces drones. En France, tout le monde a le droit de les utiliser, sauf la police. Cherchez l’erreur !
Vous étiez à la manifestation des policiers ce mercredi, une première pour un ministre de l’Intérieur. Au même moment dans l’hémicycle, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, dénonçait les propos très durs tenus par les manifestants à l’égard de la justice. Vous êtes dans deux camps différents ?
Je ne suis pas insensible à la tristesse des policiers qui ont perdu deux collègues en deux semaines. Les propos qui sont tenus ou les tracts qui sont distribués, je ne les fais pas miens. Mais mon travail, c’est d’écouter l’émotion, d’entendre la colère, de comprendre les revendications, de distinguer le bon grain de l’ivraie, puis de les transformer en textes législatifs, en moyens matériels et en soutien humain. Je serais un drôle de ministre de l’Intérieur si je n’étais pas parmi les femmes et les hommes de la police nationale. On ne gère pas son ministère en lisant des notes et en restant dans son bureau.
Ce rassemblement a tout de même donné un important coup de projecteur à ces revendications. Cela a créé un émoi dans la magistrature…
Vous ne m’avez jamais entendu dire un mot contre les magistrats. L’indépendance de la justice est une condition de l’état de droit, il ne faut pas opposer les magistrats et les policiers. C’est absurde et contre-productif. Tous les matins, les procureurs de la République, les magistrats du siège, ne se lèvent pas en disant : chouette, on va renvoyer dehors des délinquants. Mais je constate que les services de justice n’ont pas toujours eu les moyens de travailler…
Au fond, les propos du syndicat Alliance, selon lequel « le problème de la police, c’est la justice », vous les comprenez ou vous les condamnez ?
Le problème de la police, c’est la faiblesse des moyens de la justice ! Nous devons, ensemble, travailler pour que ça aille mieux. Nous avons l’un des plus petits budgets pour la justice d’Europe, c’est un problème. C’est pour cela que nous sommes en train de l’augmenter significativement. Il y a 250 000 policiers et gendarmes en France, pour 8 000 magistrats. Quand ils n’ont que dix places de prison et quatre-vingts personnes déférées, ils n’en remettent pas une partie dehors par gaîté de cœur. Voilà pourquoi nous créons 15 000 places de prison supplémentaires.
N’y a-t-il pas une radicalisation de certains syndicats de police ?
Il y a eu des excès des deux côtés, des syndicats de policiers comme des syndicats de magistrats. Je le regrette.
La police judiciaire s’inquiète de la réorganisation de la police au niveau territorial avec un commandant unique qui gérerait à la fois la police administrative et judiciaire. Y a-t-il un risque d’atteinte à la séparation des pouvoirs ?
La maison du ministère de l’Intérieur doit pouvoir se réformer pour renforcer la force de frappe dans les départements. D’où la création d’un poste de directeur territorial fonctionnel, susceptible d’avoir une vision globale des missions de police et d’accroître la présence des agents dans la rue. Mais les services de police garderont leurs spécialités, et la police judiciaire restera évidemment sous l’autorité des magistrats qui, seuls, conduisent les enquêtes.
Vous faites un lien entre la mort du brigadier Eric Masson début mai à Avignon et la lutte que vous menez contre le trafic de drogue ?
La lutte que nous menons contre la drogue dérange et cela produit malheureusement des difficultés dans certains quartiers, notamment des menaces et des agressions contre les policiers, jusqu’à l’assassinat du brigadier Eric Masson. Mais cela ne nous arrêtera pas. La lutte contre la drogue, c’est la mère de toutes les batailles. Nous avons réalisé un premier trimestre 2021 historique par rapport à celui de 2020 pourtant épargné par la crise sanitaire. Vingt-six tonnes de cannabis (+ 43 %), 259 000 comprimés d’ecstasy (+ 72 %) et 447 kg d’héroïne (+ 99 %) ont été saisies. Au total, ce sont 45 397 personnes qui ont été mises en cause pour usage de drogue contre 30 352 au premier trimestre 2020 (+ 49,5 %), et 3 559 trafiquants l’ont été, contre 3 161 en 2020. Nous sommes en train de regagner le terrain comme jamais auparavant.
Oui, mais du coup le trafic s’adapte ?
Il se transforme, à travers les réseaux sociaux, l’ubérisation et la livraison à domicile. C’est pour cela que je vais recevoir les responsables de plates-formes, notamment ceux de Snapchat qui abrite aujourd’hui des trafics de drogue et que je vais demander aux forces de l’ordre de multiplier les contrôles sur les VTC et les scooters Uber.
Que vous inspirent ces images de migrants naufragés que nous voyons ces derniers jours, comme ce bébé sauvé par la Guardia civile en Espagne ?
L’image de ce bébé dans la mer, cela touche tous les cœurs des hommes. Malheureusement, c’est une problématique européenne. Nos amis espagnols ou italiens, qui sont les plus proches des côtes du sud de la Méditerranée, ont affaire à une immigration importante qu’ils maîtrisent mal. L’Europe n’est pas capable de maintenir des frontières extérieures à la hauteur. Nous allons présider le Conseil de l’Union européenne dans six mois, et une des priorités du ministère de l’Intérieur, à la demande du président de la République, sera d’établir un véritable contrôle aux frontières extérieures, avec un enregistrement systématique des immigrés et une uniformisation dans les demandes d’asile.
Un sondage récent donne Marine Le Pen à 47 % au second tour. Elle est aux portes du pouvoir ?
Je suis dubitatif sur les sondages de second tour, avant que les électeurs ne se prononcent pour le premier. Cela dit, j’ai toujours pensé que Mme Le Pen était dangereuse au sens où elle peut gagner les élections.
« Dangereuse », elle n’est donc plus « molle » ?
Je n’ai jamais cru que diaboliser Mme Le Pen était efficace. Ceux qui le font sont souvent ceux qui habitent dans de beaux appartements en plein cœur des quartiers huppés. Ils n’ont pas les soucis des gens populaires qui connaissent les difficultés de l’immigration non contrôlée, de l’insécurité, de la fiscalité. Il faut débattre avec Mme Le Pen en démontrant qu’elle vit des problèmes, alors que nous essayons de les résoudre. Je n’ai aucune leçon à recevoir sur le sujet. Je me suis toujours battu contre le FN chez moi à Tourcoing et je l’ai toujours battu aux élections dans ma ville.
Marine Le Pen n’est-elle pas en train d’imposer ses thèmes ?
La sécurité, le soutien aux policiers, l’amour du drapeau, ce ne sont pas des sujets du FN. C’est nous, les partis de gouvernement, qui les avons parfois oubliés.
En tout, vous êtes cinq ministres à vous présenter aux régionales dans les Hauts-de-France. Mais un sondage donne toujours votre liste à 10 %. Il n’y a pas « d’effet » ministres. Est-ce que cela en vaut la peine ?
On ne peut pas reprocher au président d’avoir un gouvernement de « technos » lointains et, quand ils vont aux élections, se demander pourquoi ils y vont. Ce que je constate, dans le sondage que vous évoquez, c’est que le danger du FN est très important. Ne laissons pas la région basculer. Ce serait une alerte démocratique extrêmement forte de la part de la population. Mon combat, c’est d’éviter que les régions basculent au FN.
Si vous arrivez troisième, prônerez-vous le retrait de la liste de la majorité présidentielle au profit de Xavier Bertrand, au soir du premier tour ?
Je ne commente pas les résultats du match avant d’avoir fait le match.
Ne ménagez-vous pas la chèvre et chou par rapport à votre ami Xavier Bertrand, pourtant candidat déclaré contre Emmanuel Macron ?
Xavier Bertrand est l’un de mes amis depuis longtemps. Cette amitié, elle reste et restera, indépendamment de la vie politique. Après, on a des différences politiques. Cela se voit depuis 2017. J’ai quitté le conseil régional et je soutiens le candidat de la majorité présidentielle. Les dirigeants de la droite et du centre, comme Xavier Bertrand, devraient soutenir en grande partie le président. Et pour les dirigeants de LR, c’est une erreur de leur part de vouloir jouer leur partition personnelle. C’est une erreur de voir Éric Ciotti ou Nadine Morano flatter sans aucune pudeur le FN. Quand on m’a exclu des LR, il y avait une rivière entre ceux qui ne voulaient pas soutenir Emmanuel Macron et nous. Maintenant, c’est un canyon. Que M. Ciotti ne vote pas pour M. Muselier en Paca… Chirac réveille-toi, ils sont devenus fous !
Appelez-vous les maires Christian Estrosi et Hubert Falco, qui ont quitté les LR, à rejoindre la majorité ?
On supprime la taxe d’habitation, on baisse l’impôt sur le revenu, les impôts de production, on rétablit l’autorité de l’Etat, on lutte contre les drogues, on essaie de mettre fin au terrorisme islamiste, on met le mérite et le travail en priorité, on soutient les petits commerçants, on a fait des réformes difficiles, comme la fin du statut à la SNCF, la réforme de la haute fonction publique, on supprime l’ENA. Le président a une voix qui porte dans le monde. Les électeurs et les élus de droite s’en rendent compte.
Donc la décomposition de la droite continue ?
Ce n’est pas la décomposition de la droite, c’est la fin des LR, un parti qui ne choisit pas clairement de combattre le FN. Il faut savoir distinguer la portion congrue d’une certaine droite, réactionnaire, conservatrice, que devient de plus en plus LR, sur une ligne « Bellamy » qui fait 8 % aux Européennes. Je ne la méprise pas, elle existe. Mais ce n’est pas ma droite et elle est très minoritaire dans le pays. Il y a beaucoup d’élus, qui ne sont pas conservateurs, qui ne sont pas réactionnaires, qui sont gênés. Il y a des gens très bien qui sont restés chez LR. Les voix de droite, comme, Éric Woerth, ne peuvent pas être d’accord avec les propositions de M. Peltier…
Vous les appelez à vous rejoindre ?
Chacun est libre. Ce que je sais, c’est qu’une grande partie du peuple de la droite et du centre soutient le président et sa majorité. C’est un constat.
Source : Leparisien.fr