Il y a 30 ans cette année le CIRC réactivait l’Appel du 18 joint du journal Libération !
En 1993, Michka, avait écrit le texte suivant, « J’accuse »… un texte qui 30 ans plus tard est malheureusement encore plus d’actualité :
J’accuse la France d’être la nation la plus rétrograde d’Europe en matière de drogues illicites, la seule (avec le Luxembourg) où l’on aille encore en prison pour le simple fait d’avoir fumé un joint.
J’accuse les ministres de l’Intérieur, ainsi que les ministres de la Justice qui se sont succédé depuis quinze ans, de n’avoir pas fait respecter la circulaire Pelletier enjoignant de ne pas poursuivre les fumeurs de cannabis en possession de petites quantités d’herbe ou de haschisch destinées à leur usage personnel.
J’accuse les ministres de la Santé successifs d’avoir ignoré que le cannabis ne pose pas de problème de santé publique ; et je les accuse de ne pas avoir su s’entourer des conseillers qui les auraient éclairés.
J’accuse les divers Monsieur ou Madame Drogue d’avoir contribué à une désinformation systématique, et d’avoir par là même discrédité auprès des jeunes toutes les campagnes d’information véritable.
J’accuse les membres des différents gouvernements qui sont venus au pouvoir depuis vingt ans d’avoir décidé de leur attitude face aux drogues illicites en fonction de tactiques politiques plutôt qu’en fonction du bien des citoyens.
J’accuse les législateurs qui ont voté une loi aberrante, reposant sur des mots sans définition, comme le mot stupéfiant (un stupéfiant y est défini comme « une substance inscrite au tableau des stupéfiants » … ).
J’accuse les juges et les procureurs qui appliquent sans broncher une loi inique, portant atteinte aux libertés les plus fondamentales, d’envoyer chaque année en prison quelques milliers de citoyens auxquels on ne peut faire d’autre grief que de préférer la marijuana au tabac ; et je les tiens pour responsables des 32 000 interpellations annuelles pour cause de cannabis.
J’accuse les médecins qui ne savent pas, ou qui ne font pas savoir, qu’au contraire de l’alcool et du tabac, officiellement responsables de 82 000 morts par an en France, on ne trouve pas, dans toutes les annales de la médecine, un seul cas de décès imputable au cannabis.
J’accuse la police, qui se félicite à chaque fois qu’elle met la main sur un petit vendeur, pendant que l’argent sale (10 % de notre produit national brut, selon le rapport Larcher) inonde la vie financière et corrompt les dirigeants les plus haut placés, dont la « respectabilité » garantit l’impunité.
J’accuse les pays du Nord qui, en tout impérialisme culturel, ont interdit aux pays du Sud de consommer leurs psychotropes traditionnels, comme le cannabis, intégré depuis plusieurs milliers d’années à la vie religieuse et profané sur le continent indien ; et je les accuse d’imposer à ces pays, comme seules drogues licites, l’alcool, le tabac à les psychotropes chimiques fabriqués par notre industrie pharmaceutique.
J’accuse les scientifiques qui préfèrent détourner le regard lorsque des études pseudo-scientifiques servent de caution aux croisés de la guerre contre le cannabis.
J’accuse les économistes qui taisent l’exorbitant fardeau financier de la prohibition, le scandale des millions de dollars dépensés annuellement dans les pays industrialisés pour tenter, au-delà de toute raison, de maintenir en place une prohibition dont l’échec est patent; et je les accuse aussi de ne pas démonter le mécanisme pourtant fort simple par lequel la répression fait monter les prix et stimule le marché des drogues illicites, contribuant à l’expansion du trafic.
J’accuse les intervenants en toxicomanie qui perpétuent le malentendu en ne répétant pas en toute occasion qu’il n’y a pas de dépendance physique au cannabis ; et que les fumeurs d’herbe, ou de haschisch, loin d’être des malades à soigner, n’ont aucun besoin de leur aide.
J’accuse les spécialistes qui laissent se perpétuer le mythe de l’escalade alors que les chiffres parlent d’eux-mêmes 96 % des fumeurs de cannabis ne « passent » pas aux drogues dures.
J’accuse tous ceux, journalistes, enseignants, éducateurs, qui contribuent au maintien de l’imposture en utilisant l’expression « la drogue », amalgamant de fait des substances qui n’ont rien de commun entre elles, si ce n’est de tomber sous le coup du même interdit.
J’accuse les parents qui n’ont pas su maintenir ouvertes les portes de la communication avec leurs enfants et qui, en conséquence, voient d’un œil favorable l’installation d’un climat policier jusque dans les familles.
J’accuse les cinq millions estimés de fumeurs d’herbe ou de haschisch en France, tous ceux qui savent et qui pourtant se sont réfugiés dans le silence hypocrite face à la doctrine officielle.
J’accuse enfin les technocrates peu soucieux d’éthique qui s’apprêtent à se remplir les poches en nous imposant le dépistage du cannabis dans les urines, sous de faux prétextes de sécurité.
En conséquence, j’exhorte tous les citoyens de ce pays à mettre en œuvre ce qui est en leur pouvoir pour corriger une désastreuse erreur collective ; et j’appelle, en particulier, à la révision de la loi de 1970 qui viole la Déclaration universelle des droits de l’homme selon laquelle « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui« .
Paris. 1993.