Publié le 24 Août 2020 | par Simon Coutu
« Les cultivateurs squattent les champs d’agriculteurs, donc, je vole des voleurs. Je considère que je rends service à la police ».
Au Québec, on ne fait pas pousser que du maïs, du soja et du colza. Malgré la légalisation du cannabis en 2018, les champs étaient encore bien garnis de cannabis ces derniers mois. Et cette culture extérieure suscite la convoitise. Les voleurs rôdent. On est en a suivi un en pleine action. « Peu importe qui tu es, ne mets pas ta weed dans le champ. Je vais te la voler », s’exclame Sylvain*.
Il est 10 heures du matin et on s’apprête à monter dans un Cessna, un petit avion à quatre places, à l’aéroport de Saint-Hubert. Le plan de vol nous amène au-dessus de la Montérégie. La saison de récolte s’achève, mais Sylvain est persuadé qu’il reste encore beaucoup de cannabis dans les champs.
Si le gouvernement veut devenir le principal fournisseur d’herbe de la province, il est loin d’avoir marginalisé la culture illégale. En 2017, l’opération Cisaille de la Sûreté du Québec, la police québécoise, a coupé et détruit plus de 300 000 plants matures, selon le sergent Daniel Thibodeau. La plupart de ces saisies ont été faites à la suite de dénonciations d’agriculteurs qui ont trouvé du cannabis dans leurs champs.
Cette année encore, la police sillonnait les régions rurales du Québec. Sylvain, le voleur, use du même stratagème depuis 2006 pour dénicher les plantations. Et son opération peut être très payante. « Je peux faire une vingtaine de tours d’avion par été. J’ai déjà empoché jusqu’à 500 000 euros de vente en une saison, de la fin août au mois de novembre. »
Armé d’un appareil photo muni d’un zoom, il scrute le territoire pour repérer les précieuses cultures. Une aiguille dans une botte de foin. « Au début, c’était plus facile parce que les producteurs plantaient de gros champs de cannabis, dit-il. On les repérait sans trop de problème ! Maintenant, les techniques de pousse se sont raffinées. Ils plantent en pointillés ou ils suivent les ravins pour que ce soit moins visible depuis les airs. Mais je les trouve quand même. »
Sylvain mitraille le sol de son appareil photo et repère trois lieux où l’on voit clairement des plantes vertes qui jurent au beau milieu des champs de maïs jaunis. « Il faut avoir l’œil pour différencier le cannabis de la mauvaise herbe, explique-t-il en me montrant le cliché qu’il vient tout juste de prendre. Avec la photo, je suis capable d’évaluer la valeur. Mais si je vois 5 000 plants dans un seul endroit, je n’y vais pas. Il y a trop de chances que la personne les surveille. Pour 50 plants le cultivateur ne va pas dormir dans son champ. » Sylvain est surexcité par ses découvertes. « J’ai vu de l’argent ! Je ne le laisserai pas là. Avec ça, je vais payer mes factures et passer une belle fin d’année. »
Le vol aura lieu quelques heures plus tard, à la tombée de la nuit. Sylvain a déterminé les coordonnées exactes de la plantation en comparant ses photos aux images satellites de Google Maps. Il me donne donc rendez-vous à une heure du matin dans une petite municipalité de la Montérégie.
« En moins d’une heure, il vide littéralement la plantation et remplit quatre gros sacs »
Dans un véhicule utilitaire, un chauffeur l’accompagne. Le sono dégueule du rap. Sylvain a déposé quelques sacs de jute, un sécateur et des gants de travail dans le coffre. Je lui demande alors s’il y a des risques à mener ce genre d’opération .« Je suis tranquille, dit-il en tirant sur son joint. Il faut aller dans le champ la nuit. Les fermiers se couchent et se lèvent de bonne heure. Et si ça arrive qu’on croise quelqu’un, on se cache au milieu des plants de maïs et on devient invisible dans le noir. Les pièges à ours, les lames de rasoir et les fusils reliés à des ficelles n’existent pas, ce sont des mythes. »
Une trentaine de minutes plus tard, la voiture s’immobilise, plongée dans le noir. Sylvain donne ses indications. « On sort et on ne fait pas de bruit. Go ! Cours ! » Le chauffeur continue alors son chemin, seul. Il sera de retour une fois le vol terminé.
Dans la pénombre, on traverse des fossés et des étendues boueuses fraîchement récoltées. Le cambrioleur sait exactement où il nous emmène. Dix minutes plus tard, on tombe sur un champ de maïs. Sylvain compte six rangées, tourne à gauche et s’engage vers sa destination. L’odeur de cannabis nous monte tout de suite aux narines et on aperçoit une centaine de plantes bien vertes d’un peu plus d’un mètre de haut.
Rapidement, le voleur se met au travail. Il coupe et arrache les feuilles, les tiges et les fleurs avant de les enfoncer dans son sac. En moins d’une heure, il vide littéralement la plantation et remplit quatre gros sacs.
Mais Sylvain n’est pas au bout de ses peines. « Sortir du champ est le moment le plus risqué. Faut pas faire de bruit. N’allume même pas ton téléphone, la lumière pourrait nous faire repérer. » Subtilement, il appelle son chauffeur. « Tout s’est bien passé, dit-il. Reviens. »
Quelques minutes plus tard, on est confortablement assis dans le véhicule. Sylvain est très satisfait de sa cueillette. Mais le travail est loin d’être terminé. Avec la hausse de la qualité de l’herbe cultivée en intérieur, dans un environnement contrôlé, la marijuana d’extérieur a beaucoup moins de valeur aujourd’hui. Une fois séchées, les plantes seront donc transformées en haschisch. Il estime qu’il en retirera plus de 7 000 euros sur le marché noir.
Je lui demande alors s’il a des remords à voler le fruit du travail d’autrui. « Je vois ça comme un travail, répond-il. Les cultivateurs squattent les champs d’agriculteurs, donc, je vole des voleurs. Je considère que je rends service à la police. Ils sont contents parce que j’ai tout coupé et ils n’ont pas besoin d’aller courir dans les champs. »
Pas certain que la police voit ça du même œil.
* Le prénom de la personne citée a été changé pour préserver son anonymat.