Le fils de Pablo Escobar, le plus célèbre des narcotrafiquants, publie jeudi 7 janvier en France son deuxième livre. Dans un entretien au Parisien, il évoque sa réconciliation avec les ennemis de son père, sa vie de famille et ses aspirations pour la Colombie.
En quoi ce témoignage se distingue-t-il de votre premier ouvrage ?
Donnez-vous toujours des conférences à travers le monde ?
Quel message souhaitez-vous transmettre ?
N’avez-vous pas peur de renforcer son empreinte ?
Il y a plusieurs manières de maintenir vive la mémoire. Quand c’est Netflix qui le fait, des millions de jeunes à travers le monde rêvent de se convertir en mafieux. Moi, je cherche le contraire.
Quelle relation entretenez-vous avec les enfants des victimes de votre père, dont vous parlez dans le livre ?
Aujourd’hui, William Rodriguez, fils du chef du cartel de Cali, ex-numéro 3 de cette organisation criminelle, et moi sommes amis, nous avons des projets en commun, pour montrer aux jeunes qu’il n’y a aucune noblesse dans la vengeance. Avec son frère, j’ai rencontré des jeunes qui font partie de bandes dans un quartier chaud de la ville de Cali. Nous voulons illustrer ce message de paix et de réconciliation, leur apprendre à dépasser la peur et la haine.
Il y a aussi Aaron, dont le père, Barry Seal, pilote de la CIA et informateur de la DEA, a été assassiné sur ordre de Pablo Escobar, Jorge Lara, fils du célèbre ministre de la Justice…
Avec Aaron, nous avons passé une semaine entière ensemble au Mexique, pour travailler sur le chapitre qui lui est consacré. Pardonner aux proches de ceux qui ont tué leur père et mari, ce n’est pas simple. Avec Jorge Lara, c’est comme si nous étions de très vieux amis. Le documentaire qui sort ces prochains jours sur RMC Story montrera une conférence que nous avons donnée dans le collège qui porte le nom de son père, Rodrigo Lara Bonilla, assassiné par ordre du mien. Je me suis aussi rapproché de quelques familles des 107 victimes de l’attentat de 1989 sur l’avion d’Avianca.
Aujourd’hui, vous voyagez sans problème en Colombie ?
Je me sens chaque fois un peu plus tranquille lorsque j’y vais. L’attitude que j’ai choisie face à ce passé fait que les gens viennent désormais me voir quand ils me reconnaissent et me remercient.
Depuis la démobilisation des Farc en 2016, les Européens pensent que le pays vit en paix. Quelle impression avez-vous face à la multiplication des massacres sur place ?
La Colombie a fait énormément de progrès en matière d’image à l’international, mais à l’intérieur, les problèmes sont toujours d’actualité. L’origine politique est facile à identifier. C’est le prohibitionnisme. Tant qu’il perdurera, il y aura de la violence, des morts et de la corruption. Si on pense qu’on résoudra cette question de santé publique qu’est la drogue avec son interdiction, on récoltera des tirs, des bombes, de la violence. Avec en plus une contradiction énorme! Ce combat se fait avec l’appui des États-Unis… qui eux légalisent la marihuana, en font le commerce et en envoient même illégalement en Colombie. Mettez-vous d’accord !
Êtes-vous également en faveur de la légalisation de la cocaïne ?
Oui. Et de toutes les substances illicites. La prohibition perpétue le ségrégationnisme. L’éducation est le seul outil efficace pour lutter contre ce problème sanitaire. Le narcotrafic ne s’arrêtera jamais en incarcérant capos et trafiquants. Le jour suivant, surgissent leurs remplaçants. Ce négoce est entre les mains des consommateurs. L’interdiction offre aux délinquants de tout pays le commerce le plus rentable qui soit, en semant corruption et criminalité.
Que vous inspire l’impunité qui règne en Colombie ?
Le pire, c’est de s’y être habitués. Les statistiques de résolution des crimes sont lamentables. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’elles sont inférieures à 20%. L’enquête sur la mort du ministre de la Justice, commandée par mon père, est ouverte depuis plus de trente ans ! L’impunité pousse les victimes à se faire justice eux-mêmes et génère encore plus de violence.
Dans la série « Escobar : l’héritage maudit », qui sort à partir du 8 janvier sur RMC Story, on voit votre femme, Maria Angeles, pour la première fois…
Exactement, même les paparazzis n’y étaient pas arrivés.
Pourquoi avoir changé d’opinion ?
Jusqu’ici, tout était centré sur Pablo Escobar, son beau-père qu’elle n’avait pas si bien connu. Cette fois, le documentaire est axé sur moi. Cette perspective lui a permis de raconter ce qu’elle a vécu.
Vous appelle-t-elle Juan Pablo ?
Non, Sebas. Au début du changement d’identité, ce n’était pas si simple. Au sein de la famille, Sebastián est resté par habitude, après avoir été utilisé par précaution. Ma mère aussi m’appelle Sebastián, comme mes cousins, mes tantes…
Votre sœur Manuela, qui préserve son intimité, vit également en Argentine ?
Nous y vivons tous depuis 26 ans. Elle a voulu se maintenir dans l’anonymat tant que cela a été possible. Comme personne ne sait rien sur elle, elle intéresse beaucoup les médias.
Comment vit votre fils et comment perçoit-il sa situation de petit-fils de Pablo Escobar ?
Ici, pas d’avion à l’entrée de la maison, ni de parc zoologique. Il vit une existence normale, a des amis. Je lui ai juste dit que son grand-père, s’il l’avait connu, l’aurait beaucoup aimé. À une enseignante, il a répondu : « Mon grand-père était un criminel. » À bientôt 8 ans, il ne connaît pas les détails, mais il sait que c’était l’un des hommes les plus recherchés au monde, et qu’il était un trafiquant de drogue.
En 1987, le magazine Forbes a avancé des sommes de plusieurs milliards de dollars au sujet de la fortune de votre père, des propriétés dans le monde entier, des actions dans des banques en Europe… Où tout cela est-il passé ?
Personne n’a parlé avec lui pour rédiger cet article. Mon père ne connaissait pas l’étendue de sa fortune. Il avait arrêté de compter. A l’âge d’or de ce commerce, dans les années 1980, il devait gagner en une semaine jusqu’à 70 millions de dollars seulement à Miami, d’après son comptable. Mais la corruption coûtait cher pour permettre le passage de la drogue. Beaucoup a été dépensé dans la lutte contre ses ennemis et dans sa défense.
Et les propriétés ?
Elles ont terminé entre les mains des États. Quant aux actions qu’il aurait eues ici ou là, si quelqu’un te dit que Pablo Escobar a investi dans des négoces légaux, c’est un mensonge aussi grand que le stade Maracana. Cela ne lui a jamais paru rentable, et il n’a jamais gagné un sou de façon honnête. Mon père aimait les eaux troubles et l’argent sale.
Il aurait fomenté deux attaques contre Álvaro Uribe Vélez, ex-président de la Colombie, alors qu’il était directeur de l’aéronautique civile à Medellín. Comment l’expliquez-vous, alors que les trafiquants bénéficiaient de licences pour l’utilisation des pistes ?
Des proches de mon père depuis les années 1980, avec qui j’ai pu parler, m’ont dit qu’ils avaient reçu l’ordre de tuer Álvaro Uribe. S’il y a eu ou pas concession de pistes, c’est un autre sujet. J’avais entre 3 et 6 ans… L’histoire de mon père a beaucoup été utilisée pour compromettre des hommes politiques. C’est la justice qui doit enquêter. De toute façon, les plus gros envois se sont toujours faits depuis les aéroports internationaux. Comme c’est toujours le cas. Je suis un peu attristé de voir des mules arrêtées avec quelques grammes de coke sous l’œil des caméras de télévision, et pendant ce temps, un avion privé décolle avec 500 kg jusqu’à Londres sans que personne ne s’en rende compte.
Et l’hélicoptère, qui appartenait à une société dont le père du futur président Uribe était un associé, saisi en 1984 dans l’immense laboratoire de Tranquilandia ?
Ce serait une bonne question pour le président. Je ne peux pas y répondre car je me suis rendu compte que Tranquilandia n’appartenait pas à mon père comme je le croyais. Je connais le propriétaire, dont je ne peux évidemment pas révéler le nom. Ce n’était pas mon père.
Un quinquagénaire anglais prétend que son père adoptif était un infiltré du MI6 dans les cartels de la drogue en Colombie, et que son père biologique serait Pablo Escobar Gaviria…
C’est un mythomane. La BBC devrait vérifier les informations qu’elle diffuse. Rien ne colle dans son histoire. Mon père l’aurait eu à 15 ans ! Il n’avait pas un sou à l’époque et n’était jamais allé à Bogotá ou cela est censé s’être passé. Le MI6 aurait infiltré le cartel de Medellín des années avant sa création ? C’est ridicule. Ce doit être le troisième enfant qui prétend être le premier enfant de Pablo Escobar !
Par Guylaine Roujol Perez