En 2024, l’usage récréatif du cannabis devrait être légalisé en Allemagne. Une décision qui n’est pas sans conséquence pour Strasbourg, où il suffit de sauter dans le tram pour passer la frontière vers Kehl. On a discuté avec des Strasbourgeois(es) et des gérants de boutique de CBD pour savoir ce qu’ils en pensaient.
« Il n’y a guère d’autre sujet de politique des drogues qui préoccupe autant les gens depuis des décennies que le cannabis ». Ces mots de Burkhard Blienert, commissaire fédéral aux drogues allemand, repris par Libération, montrent une chose : le cannabis est un sujet omniprésent dans le débat politique national, quelque soit le pays. En Allemagne, l’usage récréatif du cannabis devrait être légalisé, dans un but d’encadrement de l’achat et la possession de cette drogue chez les adultes.
Un sujet qui arrivera forcément dans la sphère locale strasbourgeoise, au vu de sa position transfrontalière avec Kehl. Des inquiétudes ont d’ailleurs commencé à émerger des deux cotés du Rhin, puisque Jeanne Barseghian et Wolfram Britz ont co-écrit une lettre pour demander des explications au chancelier allemand Olaf Scholz, afin d’informer comme il se doit les habitant(e)s de Strasbourg et de Kehl, avant la légalisation.
Au-delà des élu(e)s, le sujet intéresse forcément les boutiques de CBD strasbourgeoises, dont le fond de commerce est basé sur la vente d’un substitut légal au cannabis, mais aussi les consommateurs/rices puisque, avec le tram, c’est très simple d’aller se fournir en Allemagne.
La France, pays le plus répressif au niveau du cannabis
Mais avant de recueillir leurs avis, un peu de contexte légal. Pour faire simple : en France, sur le sujet, on est bien à la bourre. Alors que notre voisin propose de légaliser le cannabis en 2024, on continue d’être l’un des sept pays européens dans lesquels l’usage de la drogue constitue une infraction pénale, pouvant ainsi conduire à une peine de prison. Lors de la campagne pour sa réélection en 2022, Emmanuel Macron s’était d’ailleurs positionné contre la légalisation, retournant sa veste par rapport à sa précédente campagne il y a 6 ans.
Pourtant, selon les chiffres les plus récents de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), la politique très répressive n’empêche pas le pays de se positionner en tête du classement des plus gros consommateurs de cannabis d’Europe, avec 11 % des 15 à 64 ans ayant déclaré s’être drogués au moins une fois dans l’année. En outre, 45 % des Français ont déclaré en avoir déjà fait usage au moins une fois dans leur existence. Là encore, champions d’Europe.
En revanche, le CBD est enfin légal en France, officiellement depuis le 29 décembre 2022. À cette date, le Conseil d’État a annulé l’arrêté gouvernemental du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC inférieur à 0,3 %. La raison ? Le CBD, qui n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, ne peut pas être considéré comme un stupéfiant et il n’est pas établi que sa consommation représente un danger pour la santé publique.
« La légalisation est une bonne chose avec les conditions émises »
Ainsi, les boutiques de CBD strasbourgeoises sont contentes de la décision allemande, car pour elles, c’est un espoir pour la suite. Quentin, propriétaire de CBD’eau, rue des Frères, abonde dans ce sens : « Au fond on a toujours été pour. On l’attend avec impatience car une telle loi en Allemagne risque de jouer en Europe ». Pour lui, il faut même s’attendre à des avancées en France sur le sujet dans le prochain quinquennat, notamment du côté de la dépénalisation.
Pour Thibault, fumeur depuis 6 ans : « La légalisation est une bonne chose avec les conditions émises, comme l’interdiction aux mineurs et seulement l’achat et la possession de 30 grammes pour la consommation personnelle. Cela va aussi permettre de réduire le marché noir et d’assurer l’hygiène et la sécurité du cannabis ». France, consommatrice depuis 25 ans, est plus nuancée : « La légalisation peut avoir du bon et du mauvais, cela dépend du contexte du pays dans lequel elle s’exerce ».
Les deux Strasbourgeois(es) s’accordent tout de même sur un point : il faut sensibiliser la population, qu’elle soit jeune ou non. Pour France : « C’est important que cela ne soit pas trop accessible aux plus jeunes car on n’est pas sur une drogue aussi tranquille que cela en a l’air ». Thibault ajoute : « Il faudrait tout de même qu’une sensibilisation comme pour le tabac et l’alcool soit bien mise en avant, afin de ne pas vendre les bienfaits du cannabis à l’ordre public ».
Des habitudes amenées à évoluer ?
Avec cette future légalisation de cannabis en Allemagne, les Strasbourgeois(es) consommeront-ils plus de cannabis ? Et si oui, au détriment du CBD ? Sur ce point, Quentin se veut rassurant : « On n’a pas peur d’une « concurrence ». La raison ? Une différence de clientèle, comme l’explique Stéphane, gérant de Casa Verde, rue Sainte-Madeleine : « Même si en France le THC est légalisé, il y aura toujours une clientèle CBD, car ce ne sont pas les mêmes effets : le CBD est relaxant, contrairement aux cotés psychotropes du THC. On est sur des gens qui ne recherchent plus la défonce, mais la gestuelle, le goût, le côté relaxant ».
Du côté de la consommation, la légalisation future ne semble pas bouleverser les habitudes des Strasbourgeois(es) interrogé(e)s. Rose*, fumeuse depuis 8 ans, a déjà son système : « Les consommateurs quotidien comme moi ont déjà tout un système en place. J’ai un contact très fiable, qui livre a domicile et qui est très commercial (sic) donc beaucoup pour pas si cher ».
Si ça ne changera pas la consommation de Thibault, le Strasbourgeois ira tout de même faire un tour du côté de la frontière : « Étant frontalier, je serai certainement amener à faire un tour en Allemagne, pour voir ce qu’il y est proposé. Donc cette légalisation va sûrement me faire changer mon acquisition ». Une probabilité évoquée également par Rose, même si cela ne la concernera pas : « J’imagine qu’il y aura plus de trajets Strasbourg-Kehl. Mais du coup, il va y avoir énormément de contrôles vers la frontière ».
Qu’en pensent les pouvoirs publics ?
Et justement, la question de la frontière franco-allemande va forcément venir dans le débat public, surtout si la légalisation du cannabis en Allemagne est actée, potentiellement en 2024. Pourtant, ni la Ville de Strasbourg, ni celle de Kehl et encore moins la Préfecture semblent intéressées par le sujet. Contactée, la première nous a répondu qu’elle ne communiquerait pas sur le sujet avant plusieurs semaines, voire mois, tandis que la seconde, après quelques échanges de mails, a cessé de répondre.
Enfin, la Préfecture nous a d’abord demandé de lui fournir nos questions pour décider si oui ou non elle accepterait de nous répondre. Il faut croire qu’elle ne les a pas trouvées à son goût, car elle a refusé par la suite de répondre à nos sollicitations, préférant continuer de montrer l’étendue de son activité en matière de lutte contre les stupéfiants sur les réseaux sociaux.
Si elle arrive, la légalisation du cannabis en Allemagne aura forcément des effets à Strasbourg, ville transfrontalière. Que ce soit au niveau de la consommation, des contrôles aux frontières, de la gestion du sujet par les pouvoirs publics ou des nouvelles blagues sur Étudiants Strasbourg, il faudra suivre les prochaines évolutions. Qui auront sans aucun doute des ricochets en France.
*Le prénom a été modifié