Il y a des jours où l’engagement militant laisse un goût amer. Aujourd’hui est l’un de ces jours. Depuis des mois, le Collectif pour une Nouvelle Politique des Drogues (CNPD), dont le CIRC fait partie, travaille sans relâche sur une proposition de loi ambitieuse visant à abroger la loi du 31 décembre 1970, symbole d’une prohibition à bout de souffle. Après d’innombrables heures de réflexion, de discussions et de mobilisations, cette proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 19 décembre dernier. Non sans difficulté.
Synthèse de la Proposition de Loi N° 750
Proposition de loi enregistrée à l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024, présentée par :
- Mme Danièle Obono,
- M. Ugo Bernalicis,
- M. Éric Coquerel,
- M. Antoine Léaument,
- Mme Colette Capdevielle,
- M. Romain Eskenazi,
- M. Damien Girard,
- Mme Julie Ozenne.
Objet
La proposition vise à supprimer les sanctions pénales liées à l’usage simple de stupéfiants en France, sans toucher aux dispositions relatives au trafic.
Contexte
Fondement légal actuel : La loi n° 70‑1320 du 31 décembre 1970 encadre la répression du trafic et de l’usage illicite de stupéfiants.
Problèmes identifiés
- Dispositif répressif coûteux (1,72 milliard d’euros en 2023) et inefficace pour réduire la consommation de drogues.
- Criminalisation ayant des conséquences socio-sanitaires graves, en particulier pour les populations vulnérables et racisées.
- Répression engendrant des pratiques discriminatoires et freinant la mise en place de politiques de réduction des risques.
Proposition
- Suppression des sanctions pénales (article L. 3421‑1 du Code de la santé publique) pour usage simple de stupéfiants, afin de privilégier une approche de santé publique.
- Inspiration du modèle portugais de décriminalisation, ayant démontré des résultats positifs sur la consommation, la santé publique et la criminalité associée.
Objectifs
- Réorienter la politique des drogues vers la prévention et la réduction des risques, sous la responsabilité du ministère de la Santé.
- Réduire les inégalités socio-sanitaires liées à la répression.
- Rationaliser les dépenses publiques en abandonnant une politique répressive inefficace.
Références au modèle portugais
Politique de décriminalisation appliquée depuis 2000 :
- Division par trois du nombre de consommateurs d’héroïne.
- Réduction des décès liés à l’usage de drogues (5 fois inférieurs à la moyenne européenne).
- Déclin significatif des nouvelles infections au VIH (-94 % en 11 ans).
Impact attendu en France
- Fin des discriminations sociales et raciales dans l’application de la loi.
- Réallocation des ressources vers des actions préventives et thérapeutiques.
- Décongestion des systèmes judiciaire et carcéral.
Un sentiment croissant de frustration face à l’immobilisme politique
Ce manque d’intérêt des politiques et les reports successifs de leur part pour porter ce projet de loi mettent en lumière un sentiment partagé au sein du CNPD de frustration, d’incompréhension et, disons-le, de lassitude face à une inertie politique consternante.
Le travail réalisé par le CNPD pour élaborer cette PPL était rigoureux, ambitieux et porteur d’espoir. Pourtant, force est de constater qu’il est traité avec une légèreté déconcertante par celles et ceux qui auraient dû s’en emparer avec conviction. Les reports successifs, les tergiversations internes à LFI, le manque de soutien d’autres députés et, plus encore, l’absence de respect vis-à-vis des organisations et associations qui ont porté ce projet, sont inacceptables.
Cela reflète un manque de courage politique évident et une hiérarchisation des priorités où les carrières personnelles semblent primer sur le sens du devoir. Nous savons toutes et tous que la prohibition est un échec criminogène qui alimente la violence et le narcotrafic, et qu’il est urgent d’agir pour changer cette politique. Or, à chaque fois, une excuse est avancée pour repousser l’inévitable.
Hier, c’était une pandémie. Aujourd’hui, c’est une motion de censure et des dissensions internes. Demain, ce sera probablement une guerre ou une élection. Pendant ce temps, le trafic prospère, et ce sont toujours les mêmes, les consommateurs, qui sont stigmatisés et accusés d’être responsables des conséquences du système que nous dénonçons. Les véritables responsables, nous le savons, sont celles et ceux qui se réfugient dans l’inaction ou l’opportunisme, comme nos député(e)s de la gauche que nous attendions pour nous soutenir nous ont une nouvelle fois bien déçu.
Cela fait 40 ans que nous subissons cette indifférence ! Si nous devions attendre que toutes les planètes s’alignent, nous en serions encore à demander poliment le droit de débattre. Les conditions idéales n’existent pas ; ce qui manque, c’est la volonté politique.
Il est peut-être temps de rappeler que nous ne sommes pas ici pour servir de vitrine ou pour faire la claque lors d’une conférence de presse. Le CIRC, et plus largement le CNPD, a toujours milité avec clarté et détermination. Nous n’accepterons pas que nos travaux soient relégués à une simple caution technique pour des manœuvres politiques.
Reprendre la main et poursuivre le combat
Nous devrions envisager sérieusement de reprendre la main sur cette PPL et de porter nous-mêmes ce débat dans l’espace public. Nous devons montrer que nous ne lâcherons rien, malgré les obstacles. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un combat pour la justice, la sécurité et la santé publique. Et nous ne laisserons pas les calculs politiciens nous détourner de cet objectif.
Malgré cette immense déception, notre engagement reste intact. Nous devons continuer à sensibiliser, à convaincre et à mobiliser. La proposition de loi portée par le CNPD et ses cosignataires reste un jalon important. Elle est le reflet d’un travail de longue haleine et d’une volonté de proposer une alternative crédible à la prohibition criminogène qui gangrène notre société.
Pour celles et ceux qui s’interrogeaient encore sur l’attitude de la gauche face à l’abrogation de la loi de 1970, les faits parlent d’eux-mêmes : nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Et nous avons besoin de vous, de votre soutien et de votre voix pour continuer à porter ce combat.
Nous saluons le courage des députés qui ont porté ce texte : Mme Danièle Obono, M. Ugo Bernalicis, M. Éric Coquerel, M. Antoine Léaument, Mme Colette Capdevielle, M. Romain Eskenazi, M. Damien Girard et Mme Julie Ozenne. Ils et elles méritent d’être salué(e)s pour leur engagement. Mais nous ne pouvons que regretter que leur nombre soit si restreint.
Restons mobilisés. Ensemble, nous finirons par faire basculer les mentalités et les lois.
Consulter ou télécharger la proposition de loi en PDF
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