Publié le 12 Août 2020 | CHRISTOPHE CORNEVIN | LEFIGARO
Portée par l’engouement d’une nouvelle génération de consommateurs pour le « naturel », cette variété de drogue supplante la résine, selon les douanes.
TOXICOMANIE Portée par l’engouement d’une nouvelle génération de consommateurs pour les produits « naturels », l’herbe de cannabis poursuit son inexorable percée sur le marché, au point de supplanter maintenant la résine. Une note des douanes, que s’est procurée Le Figaro, révèle que cette substance est « devenue prépondérante depuis le début de l’année 2020, en représentant plus de 60 % des volumes de cannabis saisis ». Pour étayer cette « montée en puissance », les analystes des douanes observent que, déjà, « l’herbe est passée de 31 % à 38 % des quantités confisquées entre 2018 et 2019, confirmant une tendance constatée depuis plusieurs années ».
Sur le terrain, les opérations spectaculaires se multiplient. Elles montrent que les passeurs ont propension à panacher le contenu de leurs cargaisons. Ainsi, en février dernier, les agents de la brigade d’Hendaye interceptent sur l’autoroute 63 un camion venant de Madrid et y découvrent 18 cartons renfermant 107 kg d’herbe et 175 kg de méthamphétamines. Le tout pour une valeur marchande évaluée sur le marché de la vente au détail à plus de 10 millions d’euros. Dans un poids lourd conduit par deux Polonais censés transporter 13 tonnes d’articles de bazar entre l’Espagne et les PaysBas, les douaniers de Dijon ont quant à eux saisi 438 kg d’herbe et 65 kg de médicaments (antalgique et somnifère) au milieu d’un fatras d’objets de pacotille.
S’adapter à la demande
Une analyse très fouillée de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) sur les « mutations du marché du cannabis en France » soulignait, dès juillet 2019, que le « quasi-monopole de la résine », essentiellement importée du Maroc vers la France grâce à une « professionnalisation des trafics » dans les années 1980-1990, a été contesté à partir de la première moitié de la décennie 2000. Outre l’attrait pour une « substance “bio”, échappant aux produits de coupe », qui séduit un « public plus âgé et mieux inséré socialement », la diversification du marché est liée au « développement des productions locales » et au dynamisme des trafiquants, toujours prompts à s’adapter à la demande.
Soulignant une « offre grandissante à partir des années 2010 », les experts de l’OFDT citent en exemple le cas de grandes métropoles touchées par le trafic, à l’image de l’agglomération lilloise, « très influencée par sa proximité avec les Pays-Bas, un des premiers producteurs d’herbe en Europe occidentale ».
« L’herbe permet aux organisations criminelles une rentabilité supérieure à celle de la résine : achetée 1 000 euros le kilo au prix de gros en Espagne, elle est revendue près de 3 000 euros sur le marché français» L’ÉTUDE DES DOUANES
L’Espagne, qui possède d’importantes fermes de cannabis, est quant à elle désignée comme un pays de « provenance habituelle ». De 4 tonnes au maximum par an avant 2010, les saisies se sont envolées avec un pic historique de presque 30 tonnes enregistré en 2018 par le Sirasco, le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée, rattaché à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). « L’herbe permet aux organisations criminelles une rentabilité supérieure à celle de la résine : achetée 1 000 euros le kilo au prix de gros en Espagne, elle est revendue près de 3 000 euros sur le marché français », précise de son côté l’étude des douanes, qui, en outre, dit assister à « une professionnalisation des réseaux criminels avec la présence systématique de véhicules ouvreurs dans les convois et des passages de vive force de plus en plus réguliers ainsi que l’utilisation de plus en plus fréquente de dispositifs de contre-mesures (balises, brouilleurs…) ».
Repartis pied au plancher après des semaines de disette liée à la crise sanitaire, les trafiquants rivalisent d’imagination pour tromper la vigilance des services répressifs. Le 5 juin dernier, sur l’autoroute A31, les motards de la brigade de surveillance de Metz découvrent ainsi 538 kg d’herbes dans un semi-remorque frigorifique censé transporter des pastèques et des aubergines entre l’Espagne et l’Allemagne. Le chauffeur colombien a écopé de trois ans d’emprisonnement, d’une interdiction de territoire et d’une amende de 1,8 million d’euros.
Douze jours plus tard, c’est au beau milieu d’un chargement de 22 tonnes d’oignons venant de Valence que les douaniers de Port-Vendres trouvent 771 kg d’herbe estimés à 7,7 millions d’euros. «Depuis la levée progressive des confinements en Europe, les organisations criminelles basées en Espagne réalimentent leurs clients partout en Europe, et, comme la demande en herbe est plus développée que la résine dans de nombreux pays, la priorité de réapprovisionnement a été donnée à cette substance, assurent les analystes des douanes. Il est constaté que les pays du nord de l’Europe (la Pologne, l’Allemagne ou les Pays-Bas, notamment) semblent être la destination d’un nombre important des poids lourds contrôlés. Or ces pays consomment traditionnellement nettement plus d’herbe que de résine.»
Forte concentration en THC
Mais cette poussée de l’herbe dans le paysage des narcotrafics est loin d’être une bonne nouvelle sur le plan de la santé publique. Car, derrière son gentil côté « écolo », cette drogue végétale, dont le tarif a flambé de 30 % en dix ans pour s’établir à 10 euros le gramme, inquiète les spécialistes, qui ont vu s’envoler les taux de tétrahydrocannabinol (THC), c’est-à-dire les composants psychoactifs agissant sur le psychisme en modifiant le rythme cérébral. «Entre 2010 et 2019, la teneur moyenne de THC de l’herbe a doublé, passant de 9,5 % à 19,1 %, explique au Figaro Catherine Lamoureux, responsable des analyses aux laboratoires des douanes, qui passe au crible plus 4 000 échantillons de cannabis par an depuis 2018. Cette plus forte concentration est imputable à une meilleure sélection variétale des plants les plus productifs. Depuis cinq ans, nous nous sommes aperçus, sans tirer de conclusion, que les produits saisis sentent de plus en plus, au point de revoir leur conditionnement.»
De manière marginale, des échantillons d’herbe dépassent une teneur de 30 % de THC, particulièrement néfaste pour l’usager. Poussés par l’appât du gain, les réseaux criminels rivalisent d’audace. Ainsi, en juin dernier, les douaniers ont saisi sur l’A36, dans le Doubs, 65 kg d’herbe de cannabis dans quatre cercueils à bord d’un faux corbillard. Lors du contrôle, le conducteur, un Roumain condamné pour braquages, a assuré qu’il transportait des corps d’Espagne en Roumanie. Mais les douaniers ont relevé que les cercueils n’étaient pas plombés et que l’absence de dépouille n’avait rien d’une hallucination. ■