L’amende forfaitaire qui doit sanctionner l’usage simple de cannabis, imaginée pour « réprimer l’usage de stupéfiants de façon efficace et égale sur l’ensemble du territoire », n’est toujours pas mise en place. Mais ses implications dépassent désormais le simple cadre de la sanction d’un usage simple.
Un arrêté publié le 14 avril 2020 vient en effet étendre le fichier des contrôles automatisés à toutes les procédures d’amende forfaitaire, contraventionnelles et délictuelles, prévues à l’origine pour sanctionner les infractions routières. Les amendes forfaitaires permettent de constater une infraction et de la sanctionner immédiatement par une amende.
Dans le cas de l’usage simple du cannabis, l’amende ne dépénalise pas le cannabis. Son usage simple reste un délit passible de prison. Le récent arrêté vient en supplément placer l’infraction dans un « système de contrôle automatisé », le fichier CA, pour une durée de 10 ans.
Une atteinte à la vie privée ?
Deux points ont particulièrement retenu l’attention de Yann Bisiou, spécialiste du droit de la drogue, dans l’AJ Pénal du mois de mai : le manque de garanties quant aux personnes qui peuvent accéder aux données collectées et les restrictions majeures au droit d’effacement.
Qui a ainsi accès à ces données ? Les autorités judiciaires, militaires ou policières, et les fonctionnaires habilités à constater des infractions au code de la route. Mais potentiellement, l’accès aux données pourrait s’avérer plus large. Le fichier CA est en effet consultable par les loueurs de voiture ou les sociétés mettant à disposition de leur collaborateur des voitures. Les données sont censées être cloisonnées, mais la réalité est plus complexe, l’accès aux fichiers se faisant par simple mot de passe, facilement échangeable.
Peut-on alors imaginer se voir refuser une location de voiture pour une infraction passée ? Ou des contrôles « stupéfiants » motivés par une plaque d’immatriculation fichée pour « usage » ?
Yann Bisiou nous répond : « Le risque concerne effectivement l’étanchéité des données. Aucun contrôle n’est fait sur l’accès, et on ne peut pas faire de ménage dans la base. »
Quels seraient alors les recours ? « Le premier usager de cannabis qui recevra une amende forfaitaire a tout intérêt à aller contester l’amende, à tous points de vue : sur son principe, sur le fichage, sur la durée de conservation des données, tout est contestable. »
Yann Bisiou pointe aussi le cumul des fichages. Dès juillet 2020, un usager de cannabis pris en infraction pourra rentrer dans le fichier CA, dans le fichier TAJ (Traitement des antécédents judiciaires) dans le fichier Osiris, créé sous l’OCRTIS pour les infractions au trafic mais désormais étendu aux ILS (infractions liées aux stupéfiants), et son infraction sera inscrite sur son casier judiciaire.
La France s’est déjà fait condamner deux fois par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour le fichier STIC, le prédécesseur du TAJ, et pour le FAED (fichier automatisé des empreintes digitales). Jamais deux sans trois avec le fichier CA ?
Source : newsweed.fr