Avec l’escalade de la violence dans le milieu de la drogue, les appels pour intensifier la guerre contre la drogue se font plus pressants. Si les États-Unis ont poussé ce combat à l’extrême, l’historien américain David Herzberg met en garde contre la recette américaine.
À peine une semaine après la mort d’une fille de onze ans par un tir d’arme à feu à Merksem, la justice enquête sur un attentat contre une habitation à Hoboken. L’escalade de la violence nourrit l’appel à l’intensification de la lutte contre les organisations criminelles, avec un engagement plus important des forces de police et de la justice, voire de l’armée.
L’historien américain David Herzberg, qui suit depuis des années la politique en matière de drogue aux États-Unis, considère que la « guerre contre la drogue » est un « piège historique ». De son bureau à Buffalo, il explique pourquoi. « Lorsque vous essayez quelque chose et que ça ne marche pas, vous ajustez votre politique. Mais en matière de drogue, nous persistons à appliquer les mêmes recettes, même si elles ne fonctionnent pas. »
Le président Richard Nixon fut le premier à lancer le concept de « guerre contre la drogue ». Il mit sur pied dans les années 1970 la Drug Enforcement Administration (DEA) pour mener la lutte contre le commerce et la possession de drogue. Forte de 1.470 agents, la DEA s’est vue dotée d’un budget de 75 millions de dollars.
Depuis lors, le combat n’a cessé de s’intensifier. La DEA dispose aujourd’hui d’un budget de 2 milliards de dollars par an et peut s’appuyer sur près de 5.000 agents. En parallèle, les États-Unis se sont attelés depuis des années à détruire les plantations de coca en Amérique latine. Les peines pour possession et commerce de drogue ont été alourdies, ce qui a eu pour effet de gonfler la population carcérale.
En dépit de ces efforts, la production de drogue n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies. D’après le dernier World Drug Report des Nations-Unies, la production mondiale de cocaïne a atteint en 2020 le volume record de 1.982 tonnes de cocaïne pure (+11%), soit plus du double par rapport à 2014. On recense dans le monde l’équivalent de 328.000 terrains de football consacrés à la culture de coca. La culture de marihuana – qui est de loin la drogue la plus répandue – a été relancée, après la parenthèse de la crise du covid.
La violence qui accompagne le crime organisé est un effet pervers de la criminalisation du marché de la drogue, soutient Herzberg. Les chiffres semblent lui donner raison. Même si les partisans de la méthode forte affirment qu’en l’absence de répression, la situation serait sans doute encore pire.
« La violence qui accompagne le crime organisé est un effet pervers de la criminalisation du marché de la drogue. »DAVID HERZBERG HISTORIEN
Un faux dilemme
Herzberg estime pour sa part qu’il s’agit d’un faux dilemme. « Nous ne devons pas choisir entre une interdiction absolue et ne rien faire. Le secteur pharmaceutique commercialise déjà un certain nombre de produits qui s’apparentent à de la drogue. À ces fabricants, nous disons: ces produits sont dangereux, mais vous pouvez en tirer un maximum de bénéfices, tant que vous suivez nos règles. On pourrait transposer cette approche à d’autres drogues. »
Dans certains États américains, le cannabis évolue progressivement de la sphère illégale à la sphère légale. « La question est de savoir si nous sommes en mesure de réguler correctement cette industrie. Les États-Unis ont une tradition moins solide en la matière que l’Europe. »
Pendant ce temps, la police américaine arrête chaque année plus d’un million d’individus pour possession de drogue, ceci afin d’enrayer la demande. En Belgique, la justice sévit de façon plutôt modérée contre la possession de petites quantités de drogue. Les politiques, en revanche, lancent des appels de plus en plus pressants à l’adresse des personnes qui achètent de la cocaïne. La semaine dernière, le Premier ministre Alexandre De Croo (Open Vld) affirmait que ceux qui consomment de la cocaïne ont « du sang sur les mains ».
« La question sera de savoir si nous sommes en mesure de réguler correctement l’industrie de la drogue. »DAVID HERZBERG HISTORIEN
Santé publique
Il n’en reste pas moins que la décriminalisation de la drogue heurte le sentiment de justice auprès de beaucoup de gens. Les criminels pourraient ainsi capitaliser sur l’avance qu’ils ont engrangée sur le marché. Sans compter la crainte que l’accès rendu plus facile à toutes sortes de narcotiques génère des problèmes de dépendance à grande échelle.
« Il n’y a pas de solution miracle », admet Herzberg. « Mais un consensus semble se dégager en faveur d’une approche différente. La question, au final, est de savoir ce qu’est une politique réussie en la matière? S’agit-il de prévenir la consommation de drogue ou de réduire les dégâts causés par la consommation de drogue? »
Le résumé
- La lutte contre la drogue ne donnant pas les résultats escomptés, il est temps d’envisager une autre approche, estime l’historien américain David Herzberg, qui se penche depuis des années sur la politique en matière de drogue aux États-Unis.
- Il plaide pour une légalisation et une régulation du marché de la drogue, afin d’enrayer la violence qui sévit dans le milieu de la drogue.
- Bien qu’il y ait un consensus parmi les experts internationaux, la décriminalisation reste un message politiquement compliqué.