La Corée du Sud subit une forte hausse de la consommation de drogue. Les jeunes, affectés par les années de pandémie, sont les premières victimes d’un trafic difficile à appréhender, souvent géré de l’extérieur et exploitant les ramifications du dark Web.
La drogue se répand à un rythme inédit en Corée du Sud, prenant au dépourvu un gouvernement mal équipé face à ce fléau. Fait éloquent, un témoignage de collégien a été publié, en février, dans le quotidien JoongAng : « Je marchais dans la rue à Daechi-dong [un quartier de Séoul], quand j’ai vu un couple distribuer des boissons, raconte le jeune Kim Yun-seong. Je revenais de l’entraînement de basket et j’avais soif. Je me suis approché dans l’espoir qu’ils me donnent à boire. Ils ne m’ont rien donné. J’ai compris que c’est parce que j’étais avec mes parents. Ces personnes ciblaient uniquement des étudiants seuls. »
« Ces personnes » étaient des dealers, comme l’a par la suite appris l’adolescent. « Les boissons étaient appelées “Mega ADHD” et contenaient des méthamphétamines et de l’ecstasy, raconte-t-il. Plus de 100 bouteilles de Mega ADHD ont été distribuées. Elles étaient présentées comme une “aide aux études” ». Daechi-dong est un quartier huppé de la capitale, connu comme le cœur des hagwons, ces onéreux cours du soir censés faciliter l’accès aux meilleures universités. Le choix d’offrir les boissons à des élèves n’avait rien d’anodin : les dealers font ensuite chanter les parents, les menaçant d’informer la police s’ils ne payent pas une somme importante.
L’affaire inquiète dans une Corée du Sud confrontée à une explosion de la consommation de drogues, particulièrement depuis la pandémie de Covid-19. Sept cent soixante-neuf kilogrammes ont été saisis en 2023, 23 % de plus qu’en 2022 ; 57 % sont des méthamphétamines, appelées « philopon » en Corée. Puis viennent le cannabis, la kétamine, les cannabinoïdes synthétiques et l’ecstasy.
L’effet du Covid-19
La consommation bondit chez les jeunes. Certains ont subi, pendant la pandémie, l’enchaînement des périodes d’isolement, la généralisation de l’apprentissage ou du travail à distance. Un rapport de l’Institut coréen pour la santé et les affaires sociales a révélé que ces nouvelles pratiques avaient exacerbé le sentiment de solitude chez les jeunes.
D’autres associent la drogue à la fête. Certaines rumeurs non fondées avaient attribué à un problème de drogue la bousculade à l’origine du drame d’Halloween qui avait fait 159 morts en 2021 dans le quartier branché d’Itaewon, à Séoul. De fait, la demande d’ecstasy et de kétamine dans les boîtes de nuit, et de ya ba, un mélange de méthamphétamine et de caféine, augmente.
Selon Cho Sung-nam, directeur en chef de l’hôpital médico-légal national, une autre raison à la propagation des drogues tient à la venue « de ressortissants de pays où certaines drogues sont légales. Ils les introduisent clandestinement en Corée, pour leur usage personnel ou pour la revente ». Sur les 6 585 étrangers arrêtés pour infraction à la législation sur les stupéfiants entre 2018 et 2023, 2 925 venaient de Thaïlande, où la marijuana est légale. D’autres venaient des Etats-Unis et d’Allemagne. Certains transfuges de Corée du Nord font également passer de la drogue en contrebande. L’accès aux méthamphétamines serait aisé au Nord, où elles sont considérées comme un médicament.
« Les adolescents et les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à consommer depuis cinq ans », confirme Park Seong-su, de l’université Semyung. En 2023, la police a arrêté 1 066 jeunes – sur 17 817 personnes interpellées – pour vente et consommation de drogue, contre 164 en 2019.
Les jeunes n’ont pas tous les moyens d’aller dans les clubs ou de s’acheter des drogues plus fortes sur un marché apprécié des trafiquants, car les prix y sont élevés. Le gramme de cocaïne se négocie à 700 000 wons (490 euros, contre 60 euros en France). Celui de cannabis évolue autour de 600 000 wons (416 euros).
Certains se droguent en se procurant en pharmacie des patchs contenant du fentanyl, qu’ils coupent et placent dans des sacs pour les sniffer. « Pour d’autres, les dealers consentent des réductions s’ils acceptent de faire des livraisons ou de garder de la drogue chez eux, ou, pour les filles, si elles acceptent de se prostituer dans des clubs qu’ils possèdent », explique Hong Joo-hwan, spécialiste de la drogue pour le média indépendant Newstapa.
Face au phénomène, le président, Yoon Suk-yeol, a annoncé en avril 2023 un durcissement des peines ainsi qu’un renforcement des structures de désintoxication, et la mise en place de séances d’information sur les dangers de la drogue – 10 heures par an dans les écoles primaires, collèges et lycées. En septembre 2023, le gouvernement a multiplié par 2,5 et porté à 60,2 milliards de wons (42 millions d’euros) le budget 2024 de la lutte contre le trafic de drogue. Le 22 février, il a annoncé que les fonctionnaires reconnus coupables de consommation ou de trafic seraient immédiatement renvoyés.
Trafic par voies détournées
La répression aurait conduit à l’arrestation, mais aussi au suicide, en décembre 2023, de l’acteur Lee Sun-kyun, soupçonné d’avoir consommé de la drogue. Plusieurs stars, comme l’acteur Yoo Ah-in, ou la star de la K-pop G-Dragon, sont en attente de leur procès pour des faits similaires.
Le combat s’annonce toutefois difficile en raison de l’opacité d’un trafic souvent contrôlé de l’étranger. Le plus puissant trafiquant coréen, Park Wang-yeol, purge une peine de soixante ans de prison aux Philippines. Condamné pour meurtre, il bénéficierait toutefois de conditions favorables lui permettant de gérer ses affaires sur Telegram sous divers pseudonymes.
Pour trouver des livreurs, les dealers choisissent des voies détournées. Ils créent des chatrooms sur Telegram dont l’objet de discussion est anodin – des stars de la K-Pop par exemple. Quand la confiance s’installe, ils lancent : « J’ai besoin de quelqu’un pour un petit boulot facile. » « Les dealers envoient à ceux qui répondent la photo de l’endroit où la drogue est cachée. Ces livreurs touchent 60 000 wons (41 euros). C’est de l’argent facile, et comme ils ne rencontrent jamais le dealer, il n’y a pas beaucoup de risque », note M. Hong.
La drogue vient surtout d’Asie du Sud-Est, mais aussi de plus en plus du Mexique et du Chili, et entre par les ports d’Incheon, de Pyeongtaek et de Busan, et les aéroports avec, parfois, des complicités locales. En octobre 2023, des douaniers de l’aéroport d’Incheon ont été arrêtés pour avoir aidé un gang malaisien à introduire de la drogue dissimulée dans des planches. Les paiements se font en cryptomonnaies.
Face à la sophistication des trafics, la Corée semble mal armée. « Aujourd’hui, chaque administration, comme les douanes, la police et le parquet, travaille de son côté. Il faudrait créer une structure de coordination comme la DEA américaine », observe M. Hong. Et la justice reste relativement clémente. Les récidivistes et les revendeurs risquent en théorie quatorze ans de prison, et les pires trafiquants sont passibles de la peine de mort. Dans les faits, les primo-délinquants et les récidivistes ne sont généralement condamnés qu’à des peines avec sursis assorties de trente à quarante heures de stage de sensibilisation aux dangers des stupéfiants.
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