L’Allemagne est devenue nerveuse
Le cannabis est de loin la drogue illicite la plus populaire en Europe. Environ 28 % des Européens adultes en ont consommé au cours de leur vie ; les Français sont les plus nombreux à en consommer, avec près de 45 %. En outre, les attitudes à l’égard de la consommation de cette drogue évoluent rapidement. En Allemagne, par exemple, le soutien à la légalisation est passé de 30 % en 2014 à 61 % l’année dernière.
Pourtant, les projets allemands de légalisation totale de la consommation et de la vente ont été brusquement interrompus le mois dernier. Jusqu’à récemment, le ministre allemand de la santé, Karl Lauterbach, s’était montré optimiste quant aux perspectives d’un changement radical. Mais à la suite de discussions avec la Commission européenne, le projet s’est envolé dans un nuage de fumée, à l’instar de la célèbre camionnette des comiques Cheech et Chong, fabriquée avec de l’herbe. Privée de l’impulsion allemande, une réforme du cannabis à l’échelle européenne semble désormais peu probable dans un avenir proche.
Dans le cadre de la stratégie révisée de l’Allemagne, les adultes seront autorisés à cultiver du cannabis chez eux et à former des « clubs sociaux du cannabis ». Il s’agit d’associations à but non lucratif au sein desquelles la culture et la distribution de cannabis sont autorisées, mais le produit ne peut être vendu à quiconque. Plutôt que d’ouvrir la voie en Europe, les Allemands suivent donc une stratégie très limitée que des pays aussi stricts que l’Espagne et Malte ont déjà adoptée.
Personne ne sait exactement pourquoi les Allemands ont édulcoré leurs plans, déclare Dorien Rookmaker, député néerlandais qui participe à un groupe interpartis du Parlement européen sur la légalisation du cannabis à usage personnel. Mais Martin Jelsma, du Transnational Institute, un groupe de réflexion néerlandais, pense que la raison est que les propositions ne sont pas conformes à une décision-cadre du Conseil de l’UE sur les drogues de 2004, ni à trois traités pertinents de l’ONU. L’accord-cadre de l’UE a harmonisé les peines minimales pour les délits liés au trafic de drogue dans l’Union, mais il a laissé aux États membres de l’UE une certaine marge de manœuvre juridique en ce qui concerne l’usage personnel, les clubs sociaux et la possession d’herbe.
L’Allemagne prévoit également une deuxième phase qui comprendra des projets pilotes dans lesquels les ventes locales seront autorisées. Les détails de ces projets n’ont pas encore été annoncés. Seront-ils réellement mis en œuvre ? C’est possible. Les Pays-Bas prévoient de lancer un tel projet, connu sous le nom de wietexperiment, ou « expérience de l’herbe », d’ici à la fin 2023 dans dix municipalités (les « coffee shops » d’Amsterdam constituent une exemption accordée avant l’entrée en vigueur du cadre de 2004). La République tchèque, également très favorable à la libéralisation des lois sur le cannabis, devrait suivre.
Le statut juridique de ces projets pilotes de vente reste flou. M. Jelsma estime qu’il serait utile que la Commission donne une indication de sa position sur la question. À première vue, ces projets enfreignent la législation européenne. Mais comme ils ne sont pas d’envergure nationale et qu’ils sont limités dans le temps, la Commission pourrait ne pas vouloir entamer une procédure d’infraction.
Le changement de politique de l’Allemagne représente un coup de pied dans la fourmilière de la légalisation complète du cannabis en Europe. L’un des facteurs pourrait bien être que personne n’a envie d’une telle aggravation réglementaire à l’heure actuelle, avec une guerre en Ukraine et une inflation élevée à affronter. Néanmoins, Mme Rookmaker pense que d’autres changements sont encore possibles si un nombre suffisant de pays continuent à faire pression.
Cet article a été publié dans la section Europe de l’édition imprimée sous le titre « Up in smoke ».
Lire aussi : Ces pays européens veulent légaliser le cannabis, mais l’Union européenne n’est pas d’accord.