Pionnière en matière de prescription d’héroïne et de salles de shoot, la Suisse expérimente désormais la dépénalisation du cannabis récréatif, avec un premier essai dans les pharmacies de Bâle.
Paul, un Bâlois de 42 ans, dont l’AFP connaît l’identité mais a accepté de ne pas la révéler à sa demande, juge « 1.000 fois mieux » d’acheter son cannabis en pharmacie, plutôt qu’à la sauvette comme il l’a fait pendant 25 ans auprès de « gens bizarres ou de criminels ».
« Les gens sont heureux car pour la première fois ils peuvent en acheter légalement », s’enthousiasme à ses côtés le pharmacien bâlois Lucas Meister. Son établissement est l’un des neuf à participer jusqu’en 2025 à un essai de vente légale de cannabis dit récréatif, même si certains l’utilisent, comme Paul, pour traiter la dépression car le cannabis à usage médical est réservé aux cas extrêmes comme les douleurs dues au cancer.
« Nous avons les différents produits stockés dans le coffre-fort car c’est obligatoire », explique-t-il à l’AFP. Il en sort des sachets colorés aux allures de paquets de bonbons, de 5 grammes chacun, contenant six produits différents (quatre sous forme de fleurs de cannabis séchées, deux produits à base de haschisch), ayant des THC (tétrahydrocannabinol, substance euphorisante) allant de 4,5 à 20%.
En Suisse, le cannabis contenant plus de 1% de THC est interdit à la consommation. Même si le fait de posséder jusqu’à 10 grammes maximum pour sa propre consommation n’est pas punissable, la pression s’accroît en faveur d’un changement de législation.
En 2021, environ 70% de la population était favorable à une libéralisation, contre 58% en 2018, selon le ministère de la Santé.
« Il faut sortir du cadre illicite le cannabis, mais faire une régulation très stricte. Il ne s’agit pas d’encourager sa consommation », commente la vice-présidente de la Commission fédérale pour les questions liées aux addictions, Barbara Broers, auprès de l’AFP.
« Il est important que les gens aient accès à des produits contrôlés et régulés mais nous proposons d’interdire la publicité, et d’avoir des paquets d’emballage neutre comme pour les cigarettes dans certains pays », souligne-t-elle.
Politique des petits pas
Le gouvernement a opté pour une politique des petits pas, autorisant les essais pendant 10 ans.
A Bâle, des milliers de personnes ont postulé mais seulement près de 400 ont été sélectionnés, âgés de 18 à 76 ans. L’objectif est d’étudier « les effets de la vente réglementée de cannabis (…) sur la santé mentale et sur les comportements de consommation », explique le responsable de l’étude, le professeur de psychiatrie Marc Walter de l’Université de Bâle, à l’AFP.
Jusqu’à présent, l’étude a montré que les participants aiment surtout « les produits à très forte teneur en THC », indique-t-il.
Les prix, allant de 8 à 12 francs par gramme selon le THC, suivent le marché noir. « S’ils sont trop bas, les gens essaieront de revendre le produit, et s’ils sont trop chers, les gens vont se tourner vers le marché noir », souligne auprès de l’AFP Marc Brüngger, un des responsables de la société suisse Pure Production, qui produit le cannabis pour l’étude.
D’autres grandes villes vont lancer des essais, dont Zurich, Genève et Lausanne, mais la vente se fera aussi dans des associations.
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« Pur et bio »
A Bâle, Paul est ravi d’avoir dit « au revoir » aux dealers et de savoir enfin ce qu’il consomme: un « cannabis pur et bio », cultivé en Suisse et dont la qualité est garantie par les autorités.
« Je veux consommer du cannabis, pas des produits chimiques faits en Chine », explique-t-il à l’AFP, horrifié par l’arrivée sur le marché des cannabinoïdes de synthèse, des molécules produites en laboratoire mimant les effets du THC.
Ce spécialiste en marketing regrette que la Suisse n’ait pas directement légalisé, comme dans certains Etats américains, au Canada et en Uruguay.
« La Suisse a choisi une autre voie, et en tant que scientifique, je préfère cela », commente le professeur Walter.
« C’est très suisse de faire ce genre de choses. Vous faites une étude pour voir comment la population va réagir, quelles sont les questions qui se posent », renchérit Frank Zobel, directeur adjoint d’Addiction Suisse.
« Le modèle vient des années 90 » lorsque la Suisse a introduit la prescription médicale d’héroïne, dit-il, « là aussi il y a eu 4 ans d’essais pilotes et aujourd’hui c’est un traitement qui est remboursé par l’assurance maladie ».