À Dijon, Lille, Nice, Marseille, les guérillas urbaines se multiplient pour le contrôle du trafic de drogue et le contrôle d’un marché qui est sorti très vite du confinement. Mais face à l’impuissance des pouvoirs publics de faire cesser ce terrorisme de banlieue, l’idée de légaliser la vente de cannabis a refait surface. Cette idée n’est pas nouvelle. Beaucoup d‘économistes sont capables d’expliquer qu’un marché de pénurie et très réglementé crée la rareté, fait monter les prix et encourage le marché de l’ombre et donc le trafic. A contrario, on explique qui si on libère le marché en éliminant toutes les contraintes, la rareté tombe, les prix s’effondrent et le commerce de la drogue devient beaucoup moins lucratif et dissuade les organisations de poursuivre leur coupable industrie.
C’est exactement ce qui s’était passé aux États-Unis au siècle dernier avec la prohibition de l’alcool. Les interdits avaient drainé aux organisations clandestines et mafieuses des revenus illégaux mais colossaux qui leur avaient permis de construire des empires diversifiés dans les jeux, la prostitution et de s’immiscer dans les syndicats et même la politique.
L’arrêt de la prohibition a sonné la fin du règne d’Al Capone et de son pouvoir sur le territoire des États-Unis.
Cela dit, la légalisation de l’alcool ou de n’importe quelle autre drogue ne résout pas les problèmes. La levée des interdits sur l‘alcool n’a pas diminué le nombre d’alcooliques. Quant au marché de la drogue, il se diversifie et trouve souvent d’autres substances plus dures, plus rares. Donc une grande partie du marché se déplace et les banlieues gangrenées restent gangrenées. Il est évident que parallèlement à la mise en place d’un arsenal répressif, il faudrait trouver des activités alternatives qui permettent de garantir un niveau de vie décent.
Le cannabis à usage médical a été autorisé en France à titre expérimental en 2019, les résultats sont plutôt positifs, dans la mesure où le système hospitalier a pu se procurer des substances qu‘il ne pouvait pas utiliser auparavant et qu‘il en contrôle la provenance et l’utilisation. C’est une procédure qui est déjà appliquée dans une trentaine de pays.
Mais l’idée de dépénaliser l’usage de la drogue et d’en libérer le marché va beaucoup plus loin.
Depuis les années 2000, l’usage libre du cannabis s’est progressivement élargi.
C’est le Canada qui a été précurseur. Dès 2001, le Canada autorise l’usage du cannabis dans le traitement de maladies lourdes et incurables à l’époque : le sida et le cancer. La France a d’ailleurs très récemment repris les mêmes protocoles. Mais en 2018, le Canada a été le premier à légaliser la consommation de cannabis à but récréatif.Le commerce est toutefois (comme l’alcool, d’ailleurs) contrôlé par l’Etat qui fixe les prix et donne les autorisations de créer des points de vente.
Les Pays-Bas tolèrent la consommation de cannabis, donc la possession et la vente dans les coffee-shop depuis 2003.
Israël autorise le cannabis à des fins médicales depuis 2006.
Ces expériences ont très récemment conduit de nombreux pays à alléger leur réglementation à des fins thérapeutiques mais aussi à des fins récréatives. Aux États-Unis, on le trouve dans les hôpitaux et en pharmacie, dans plus de 37 États et le Missouri vient de l’autoriser en vente libre. Au Chili, en Colombie, au Mexique, au Pérou, l’usage et le commerce sont autorisés mais sous le contrôle de l’État.
En Europe, 21 pays de l’Union européenne sur les 27 ont franchi le pas. Dont l‘Allemagne très récemment, tout comme la Belgique, la Grande Bretagne etc…
Le marché mondial du cannabis médical est évalué à 55 milliards de dollars. Il est évident que ça représente une infime partie du marché global et clandestin (où on doit approcher les 500 milliards, mais ces 50 milliards de dollars sont déjà soustraits au commerce illicite des trafiquants).
Et l’ampleur de ce marché, tout comme la perspective de croissance du secteur légal, fait déjà saliver bien des investisseurs.
D’abord quand le commerce est légalisé, la production l’est aussi. Aux États-Unis, au Canada, en Australie, des fermes spécialisées se sont développées. Les producteurs canadiens qui sont arrivés les premiers sur ces nouveaux marchés se taillent la part du lion : des groupes comme Canopy, Tilray sont leaders mondiaux d’autant qu’ils ont l’autorisation d’exporter pour accroître leurs débouchés. En Europe, le premier producteur est aux Pays-Bas avec des filiales en Israël et au Danemark. En Asie, c’est la Thaïlande le premier producteur de cannabis légal.
Mais au-delà des fermes de production, la spéculation s’est emparée de toute la chaine de valeur. De la production à la distribution. Et on trouve dans les starting-block, tous les grands de l’industrie pharmaceutique, mais surtout les grands groupes spécialisés dans le tabac (qui est pour eux un marché en décroissance rapide) et qui espèrent trouver avec le cannabis un relais de croissance. On trouve aussi les grands industriels mondiaux de l’alcool, deux ou trois américains, un grand groupe français, un groupe italien. Dans le plus grand secret, ils ont compris que la vente de cannabis au grand public pouvait répondre au même ressort marketing que la vente de vodka ou même de la bière pour un public de consommateurs plutôt jeunes.
Cette évolution apparemment inéluctable entamera sans doute le pouvoir des mafias qui contrôlent actuellement le trafic, mais peu probable que ça règle la question de la sécurité dans les quartiers difficiles.
Pour deux raisons :
La première, c’est que les trafiquants trouveront d’autres substances illicites et notamment les drogues chimiques. Si le marché juteux du cannabis disparaît, ils se tourneront vers d’autres secteurs.
La deuxième raison est que ce commerce contrôlé actuellement par des bandes et des délinquants permet à des milliers de jeunes et de familles de survivre et pour quelques chefs, de bien vivre. Les BMW et les Porsche vendue dans les banlieues de Paris ou de Marseille n’appartiennent pas toutes à des stars du football. Elles n’ont pas non plus été payées par le RSA. Il y a donc un problème de mutations à régler au niveau des activités. Et pas seulement dans les pays consommateurs.
Source : Atlantico.fr