(Photo illustration : Cécile Willgoss et Gail Howard du haut de la terrasse de cette dernière surplombant la vallée de la Dronne où les serres seraient construites.)
Factuellement, de quoi parle-t-on ? D’après le permis de construire, accepté voilà trois semaines par le maire de la commune, Gilles Mercier, il s’agit de l’implantation de deux serres de cultures hors sol, hermétiques, de 3,2 hectares sur un site global de six hectares.
Une première étape pour lancer une activité qui n’est pas encore totalement autorisée en France. En effet, une phase d’expérimentation est en cours jusqu’en mars 2024. Si elle venait à être concluante, alors un arrêté ministériel définirait les conditions de production de cannabis thérapeutique. Pour être le premier sur le marché, Brahim Sebart, PDG de PGP Farmer, planche sur l’affaire depuis deux ans. En toute discrétion.
Discrétion ou mépris ?
Une discrétion qui ne passe pas auprès des habitants. « Je n’accepte pas le mépris de nos élus locaux sur ce sujet, ils étaient tous au courant et ont gardé le secret », fulmine Marc Willgoss, un voisin du site. « Le problème, c’est qu’en le cachant forcément, ils ne pouvaient pas avoir d’opposition. » Ce ferronnier d’art explique ne plus dormir : « Tous mes projets personnels sont foutus. J’habite ici depuis trois générations, j’y ai créé mon entreprise, j’envisageais d’y faire des chambres d’hôtes et les élus le savaient mais, avec un tel site sous mes fenêtres, tout ça ne vaut plus rien. Je me sens trahi. »
« Le projet est identifié depuis dix-huit mois, rétorque le maire Gilles Mercier, j’avais même mis un article dans la gazette communale, mais je n’avais pas le droit d’organiser une réunion publique, c’est un projet privé, ce n’est pas à moi de communiquer. Je connais tout le monde ici et tout le monde me connaît, personne n’est venu en mairie pour m’en parler. »
« Même le conseil municipal n’était pas au courant », renchérit Cécile Willgoss, la sœur de l’artisan. « Faux, répond l’édile. Les élus ont été informés et une remise à niveau a été faite récemment. Pour le reste, je prévois de le faire voter comme une motion, parce que, même si on peut le regretter, seul le maire à pouvoir de police sur les permis de construire. »
« Mais ce projet reste absurde, environnementalement et sociétalement, poursuit Marc Willgoss. C’est un projet des années 60-70, comment peut-on bétonner autant de terre et dire que c’est un projet agricole ? »
« Parce qu’il l’est, promet Brahim Sebart. Au même titre que des serres de production de tomates ou de concombres. Nous sommes dans la production de matière première pour des médicaments, qui seront in fine ingérés, on se doit d’avoir des serres hermétiques pour la qualité du produit, nous nous inscrivons dans les bonnes pratiques de fabrication. »
Une absurdité environnementale ?
« Et, en artificialisant les sols, on va atténuer les inondations très fréquentes dans ce fond de vallée ? », interroge Gail Howard en regardant, de la terrasse de sa maison de Nabinaud, la Dronne déjà sortie de son lit. « Nous avons mis dans le projet un assainissement complet, avec un redimensionnement des fossés de part en part de nos serres sur 3 kilomètres, réplique Brahim Sebart, c’est un investissement de 500 000 euros sur un problème qui existait déjà avant notre implantation. »
« C’est un projet agricole, au même titre que des serres de production de tomates ou de concombres » .
Pollution lumineuse, acoustique, les riverains s’inquiètent, le porteur de projet balaye les inquiétudes : « Nous mettrons des volets de toit occultant 99 % de la lumière, les parois sont opaques aussi, des relevés sonores ont été faits chez des riverains et nous avons trouvé un système de chauffage à placer au sol afin qu’il y ait le moins de vibrations possible. » L’eau aussi, « pluviales et un contrat classique avec la Saur », une aberration pour les habitants mécontents. Et la santé ? « Celle des habitants est assurée car nous ne rejetons rien, ne plantons pas dans le sol, les seuls tuyaux de toit seront pour de la vapeur d’eau et nos produits, destinés à l’industrie pharmaceutique, bio. Puis le THC [la molécule active, NDLR] du cannabis ne se réveille que quand il est chauffé. Quant aux employés, nous posséderons donc des équipements de protection individuels qui seront changés dès que l’on entre ou sort de la serre. »
Entre pro et anti, le dialogue sera-t-il possible ? Une réunion est organisée la semaine prochaine mais seuls les riverains les plus proches y sont conviés. Les autres se battent avec leurs armes, page Facebook et pétition, « parce que, quand ces serres seront construites, ce sera alors trop tard », promet Marc Willgoss. Étonnamment, la nature même de la culture fait, elle, consensus.
Quel est ce projet ? Pourquoi ici ?
Dans ces serres de 3,2 hectares seront produits des plants de cannabis à usage thérapeutique. Une fois les fleurs récoltées, elles seront séchées puis, dans un cadre légal assuré par l’Agence nationale du médicament, acheminées pour transformation auprès d’entreprises pharmaceutiques. « Nous ne sommes pas une usine, balaye Brahim Sebart, le porteur de projet. Tout ce qui sera produit est commandé à l’avance. »
L’homme explique avoir déjà beaucoup investi dans ce projet : « Nous avons injecté des fonds pour conceptualiser quelque chose qui n’existe pas en France, nous sommes dans de la pure création. Moi et mes associés voulions nous lancer dans une dernière expérience professionnelle qui nous faisait vibrer à l’aube de nos 40 ans. » Le natif du Ribéracois raconte comment il a quitté Paris, avec femme et enfants, pour retrouver la campagne qui l’a vu grandir. Comment un ami d’enfance, devenu associé, lui a vendu ses terres pour réaliser ce projet. « Nous n’avons pas eu le choix de l’implantation, c’est ici que j’avais une opportunité. De plus, nous allons cultiver des stupéfiants, la sécurité nous oblige à une discrétion, nous n’aurions pas pu mener un tel projet en ville. »
Mais Petit-Bersac est-il dimensionné pour ça ?
« Vous vous imaginez ne serait-ce que les camions durant les dix-huit mois de construction sur ces petites routes ? De plus, ce sera la Charente qui sera aussi impactée alors qu’ici personne n’est au courant ! », déplore Gail Howard. « Oui et la promesse de trente emplois pour démarrer et 60 in fine, brandit comme atout Brahim Sebart. Si vous laissez un champ, ça ne créera pas une telle activité. » Cet argument est celui qui a fait mouche auprès du maire : « Si on ne fait rien, notre vallée sera morte dans 50 ans, je pense que ce projet agit pour le bien commun. Pour le reste, je n’ai pas les compétences, il y a un feu vert de tous les services instructeurs [même la Dreal a choisi de ne pas faire d’étude d’impact, NDLR]. Mais je respecte chaque position. »
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