Les prix de revente du cannabis, de la cocaïne et de l’héroïne au détail n’ont pas augmenté entre 2022 et 2023, quand il était permis de s’attendre à leur hausse en raison d’un marché affecté par d’importantes saisies.
C’est, d’après les observateurs, le signe incontestable que, malgré la multiplication des opérations policières, les stocks saisis et le démantèlement de filières structurées, l’offre de drogues semble pratiquement inépuisable.
Une note détaillée du ministère de l’intérieur consacrée au prix de revente des stupéfiants en 2023 le démontre mieux que toute analyse économique et plus efficacement que n’importe quel discours politique. En résumé, les prix de revente au détail n’ont pas augmenté, quand il était permis de s’attendre à leur hausse en raison d’un marché affecté par d’importantes saisies (128 tonnes de cannabis et 27,7 tonnes de cocaïne en 2022). Résine et herbe de cannabis ou cocaïne : leur valeur marchande dans les « fours » des cités ou sur les call centers dématérialisés est restée inchangée entre 2022 et 2023, soit un prix au gramme de 8 euros pour la résine et de 10 euros pour l’herbe – stable depuis cinq ans pour les deux – et une infime hausse du prix de la cocaïne, qui passe de 65 à 66 euros le gramme. Pour ce dernier produit, le prix de gros a même enregistré, depuis 2014, « une baisse tendancielle » et dans certaines zones comme la Guadeloupe, située à proximité immédiate de pays producteurs, son prix au gramme défie toute concurrence : 19 euros.
Plus inquiétant encore : le prix de l’héroïne a légèrement baissé, passant de 30 à 28 euros le gramme alors même que la production de l’Afghanistan, leader mondial, a connu un effondrement, divisée par 18 entre 2022 (6 200 tonnes produites) et 2023 (333 tonnes).
Entre-temps, sous l’effet d’une réadaptation quasi instantanée du marché, la Birmanie a pris le relais de la production de pavot à opium, passée de 790 tonnes en 2022 à plus de 1 000 tonnes l’année suivante.
Le document offre également une perspective sur la démultiplication des profits engendrés par le trafic. Achetée au Maroc à 645 euros le kilo, la résine de cannabis se négocie près de cinq fois plus cher au prix de gros une fois arrivée en France, pour un prix de revente moyen de 8 euros le gramme au détail, soit un coefficient multiplicateur final de 12,2. L’exemple est encore plus frappant avec la cocaïne. L’extension des surfaces cultivées en Amérique latine – qui gagne des pays comme le Venezuela, le Honduras, le Guatemala ou le Salvador –, associée à la modernisation des techniques de production et de transformation de la pâte de coca, engendre des coûts de production relativement faibles et, par conséquent, un prix d’achat au kilo de très bon marché, de l’ordre de 1 000 euros.
Disparités entre les régions
Ce prix quintuple une première fois lorsque la marchandise atteint un pays de rebond comme le Brésil (5 400 euros le kilo) et une seconde fois en arrivant en Europe (22 255 euros le kilo aux Pays-Bas). Une fois en France, elle atteint le prix de gros de 32 586 euros avant d’être revendue aux alentours de 65 euros le gramme. De la Colombie aux cités des grandes agglomérations françaises, sa valeur a donc été multipliée par… 65.
Dès lors, le prix moyen constaté pour la vente au détail, alimentée par un flux quasi ininterrompu, ne varie pas, même si de flagrantes disparités demeurent entre les régions. Ainsi, le kilo de résine de cannabis au prix de gros se négocie-t-il aux alentours de 4 500 euros dans les Hauts-de-France et le Grand Est, quand il n’excède pas 2 569 euros en Occitanie.
La situation est inversée pour l’héroïne, moitié moins chère dans les Hauts-de-France (10 621 euros le kilo au prix de gros) qu’en Occitanie (22 375 euros). Une telle cartographie présente le mérite d’illustrer de manière flagrante la disponibilité du produit – et donc sa valeur – en fonction de ses voies d’importation.
Le trafic dans le Midi bénéficie de la proximité immédiate de l’Espagne, voie de transit privilégiée pour le cannabis venant du Maroc, quand le nord du pays se situe dans la zone de chalandise de trafiquants qui importent majoritairement l’héroïne depuis les ports du Havre et du nord de l’Europe, où elle est ensuite dispatchée entre les Pays-Bas, la Belgique et traverse sans peine la zone frontalière française. La géopolitique des drogues se joue, aussi, à l’échelon local.
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