Quels sont les médicaments autorisés ? Qui peut participer à l’expérimentation ? Le chocolat au CBD est-il thérapeutique ? 60 Millions fait le point.
Le cannabis thérapeutique sera bientôt une réalité en France, du moins son expérimentation. Le 11 juillet 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a donné son feu vert au lancement d’une expérimentation de l’usage médical du chanvre.
S’il va falloir probablement patienter jusqu’à 2022 pour connaître les résultats de l’étude, certains espèrent déjà des changements dans la réglementation, à l’instar de la trentaine de pays qui a entériné sa légalisation. L’État de Californie, aux États-Unis, fut le premier à le faire en 1996, afin de répondre aux besoins des malades du sida.
SOMMAIRE
- Qu’est-ce que le cannabis thérapeutique ?
- En quoi consiste l’expérimentation du cannabis thérapeutique ?
- Pour quelles maladies sera testé le cannabis ?
- Puis-je participer à l’expérimentation ?
- Huile, chocolat… Les produits au CBD soignent-ils ? Sont-ils légaux ?
Qu’est-ce que le cannabis thérapeutique ?
Battons d’emblée en brèche quelques idées préconçues. Le cannabis thérapeutique ne consiste pas à fumer de la marijuana pour le plaisir – on parle alors de cannabis récréatif – ou utiliser des produits à base de cannabinoïdes pour se détendre ou mieux dormir – usage dit de « bien-être ».
Le cannabis thérapeutique s’adresse uniquement à des patients atteints de maladies lourdes, dont les souffrances ne sont pas apaisées par un traitement médicamenteux classique. Son usage est encadré par des professionnels de santé.
Cannabidiol et tétrahydrocannabinol
Le chanvre médical se distingue aussi par sa composition. Les consommateurs de marijuana recherchent les effets générés par le tétrahydrocannabinol (THC), la principale substance psychoactive de la plante. Dans les produits pharmaceutiques à base de chanvre, ce cannabinoïde est moins concentré – voire totalement absent – au profit du cannabidiol (CBD).
Le CBD, qui possède des propriétés psychoactives mais n’est pas classé comme psychotrope, crée un effet relaxant et modère l’action du THC. Aucun pouvoir addictogène n’a encore été démontré pour cette substance, a conclu l’OMS en 2018.
Trois médicaments en France
À ce jour, trois médicaments contenant des cannabinoïdes de synthèse peuvent être achetés : le Marinol, l’Epidiolex et le Sativex.
Le premier, sous forme de capsule, soulage les douleurs neuropathiques. L’Epidiolex, une huile à base de cannabidiol, est prescrit pour deux épilepsies infantiles. Quant au Sativex, il est indiqué pour les personnes atteintes de sclérose en plaques mais n’est pas disponible en France, faute d’accord sur le prix entre les autorités sanitaires et le laboratoire qui le produit.
En quoi consiste l’expérimentation du cannabis thérapeutique ?
Trois médicaments à base de cannabinoïdes sont actuellement autorisés en France (cf. la question précédente). L’ANSM souhaite expérimenter plus largement l’usage médical du chanvre, afin de recueillir les avis des professionnels de santé et des patients concernés. L’objectif secondaire est d’évaluer l’efficacité et la sécurité du cannabis thérapeutique.
D’une durée totale de deux ans, l’essai débutera vraisemblablement en 2020 et sera divisé en quatre semestres : mise en place du programme, intégration des patients, suivi et analyse des données. Il reste encore à affiner les conditions techniques de mise en œuvre. Un comité scientifique pluridisciplinaire aura la charge de son organisation et de son évaluation.
La décision de l’ANSM entérine l’avis du comité d’experts (CSST) qu’elle avait mandaté en septembre 2018 pour étudier la faisabilité et les modalités du projet. Son rapport, rendu en juin dernier, a reçu l’approbation de la plupart des associations de patients.
Garder à l’esprit les risques du cannabis
Le président du CSST, Nicolas Authier, estime entre 500 et 2 000 le nombre de patients qui participeront à l’étude. Ces derniers seront suivis sur tout le territoire dans des « structures de référence » par des médecins volontaires, préalablement formés sur la question.
Psychiatre, spécialiste en addictologie, le Dr Authier tient à rappeler qu’expérimenter le chanvre thérapeutique ne revient pas à laisser le champ libre à l’usage récréatif. « La réflexion actuelle sur l’usage médical du cannabis ne doit pas faire oublier les risques que comporte cette plante. Une utilisation non médicale peut se révéler problématique, avec des complications importantes, notamment lors d’un usage chronique. »
Le marché juteux du cannabis thérapeutique
Les patients ne sont pas les seuls à attendre l’avènement de l’usage médical du chanvre en France. Ce marché représenterait, rien qu’en France, une manne financière de l’ordre du milliard d’euros.
On peut lire dans la presse que de 300 000 à un million de personnes pourraient bénéficier du cannabis thérapeutique. Pour Nicolas Authier, président du groupe de travail qui a élaboré les conditions d’expérimentation, « ce chiffre s’inscrit dans une logique économique et pas médicale ». Selon lui, seuls une dizaine de milliers de patients seraient concernés à moyen terme. « Le lobbying autour de la question du cannabis thérapeutique est important », constate le médecin psychiatre.
Pour quelles maladies sera testé le cannabis thérapeutique ?
Les cannabinoïdes seront utilisés pour traiter en priorité des symptômes précis, plutôt que des maladies. Sont visés les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies, certaines formes d’épilepsie pharmacorésistantes, certains symptômes rencontrés en oncologie (nausées, vomissements…), les situations palliatives, les spasmes douloureux causés par la sclérose en plaques et d’autres pathologies du système nerveux central.
Les patients concernés par ces indications devront néanmoins respecter l’une des conditions suivantes : un soulagement insuffisant des symptômes par les médicaments, des effets indésirables trop importants, ou l’impossibilité d’accéder à des thérapies médicamenteuses.
Puis-je participer à l’expérimentation ?
Seules les personnes se trouvant dans une situation médicale précise (cf. la question précédente) peuvent être éligibles à l’essai.
Intégrer le projet d’expérimentation ne peut en aucun cas être une simple démarche individuelle, il doit s’inscrire dans un parcours de soin. « Il est nécessaire d’en discuter avec son médecin », insiste le Dr Authier. Inutile donc de contacter les « structures de référence » qui participeront à l’essai, c’est votre médecin traitant ou spécialiste qui se rapprochera d’elles.
Huile, chocolat… Les produits au CBD soignent-ils ? Sont-ils légaux ?
Huile, shampooing, thé ou chocolat… En quelques années, le marché des cosmétiques et aliments à base de cannabidiol (CBD) a explosé. Disponibles en vente libre, ces produits appartiennent à la catégorie « bien-être » et ne rentrent pas dans le cadre du cannabis thérapeutique.
Comme l’a rappelé la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), seuls les médicaments autorisés par l’ANSM ou la Commission européenne peuvent revendiquer des allégations thérapeutiques. Les fabricants et distributeurs ne peuvent donc pas attribuer à leurs produits une quelconque vertu médicale.
Le CBD synthétique est autorisé
Nombre de produits à base de CBD sont tout simplement illégaux en France. Si vous êtes tenté, mieux vaut vous assurer de l’origine du CBD présent dans le produit. « Les produits à base de CBD synthétique sont autorisés », indique Eveline Van Keymeulen, responsable du département Sciences de la Vie/Réglementaire d’Allen & Overy et spécialiste des enjeux juridiques du cannabis thérapeutique et bien-être.
Pour le CBD naturel, c’est une autre paire de manches. L’article R. 5132-86 du code de la santé publique et l’arrêté du 22 août 1990 autorisent la vente et l’achat d’un produit contenant du CBD extrait de plante s’il respecte plusieurs critères :
- La variété de chanvre utilisée figure dans la liste des 22 variétés de Cannabis sativa L. autorisées.
- Le CBD est extrait de graines ou de fibres uniquement. L’utilisation des fleurs ou des feuilles est interdite en France, mais autorisée par la réglementation européenne.
- La plante dont est extrait le CBD contenait du THC avec une teneur n’excédant pas 0,2 %. Le produit fini (crème, huile, aliment…) ne doit, lui, contenir aucune trace de THC.
Mais, en pratique, « il est très compliqué de fabriquer des produits à base de CBD dérivé de fibres ou de graines, tempère Me Van Keymeulen. Il y a en effet très peu de substance active dans ces parties de la plante. »
Vers une évolution de la réglementation
La qualité de ces produits, qu’ils soient à base de CBD naturel ou synthétique, n’en reste pas moins inconnue, faute d’encadrement par les autorités. Le consommateur s’expose donc, en plus des risques judiciaires – possession de stupéfiant si le produit contient du THC – à des risques sanitaires. « On fait du commerce de bien-être avec des substances psychoactives, ce n’est pas anodin, alerte le Dr Authier. On est plus motivé par l’appât du gain que par l’intérêt des personnes. L’usage du CBD doit être encadré dans un contexte médical. »
Cet encadrement passera nécessairement par un changement de la réglementation. Selon Me Van Keymeulen, « on va évoluer vers une législation adaptée aux types de produits à usage thérapeutique et de bien-être ».
Source : https://www.60millions-mag.com/2019/07/11/le-cannabis-therapeutique-en-5-questions-15147