Chaque matin, Béatrice inhale deux doses d’herbe qui l’aident à s’élancer dans un quotidien tolérable.
Publié le 8 Septembre 2020 | Par Florence Méréo
Seul le cannabis soulage les douleurs handicapantes de Béatrice, 59 ans. Des médecins et associations interpellent fermement le gouvernement dans une tribune que nous dévoilons.
Ce sont les réveils qui sont le plus douloureux. Quand ses chevilles se crispent, que la plante des pieds tiraille, que le bout des doigts s’électrise. Vingt-cinq ans de trithérapie ne laissent pas le corps indemne ni l’esprit. Béatrice, 59 ans et de grands yeux verts, en a pourtant terminé avec les antidouleurs et antidépresseurs avalés par plaquettes, à en devenir l’ombre d’elle-même.
A la place, deux doses d’herbe l’aident chaque matin à s’élancer dans un quotidien tolérable. « Le cannabis me tient debout et me permet d’avancer », résume l’ancienne commerciale. Lovée dans sa campagne angevine, Béatrice sait qu’elle le fait en toute illégalité. « Je risque une amende, voire plus. Je suis coupable d’être malade », lance-t-elle, voix aussi dynamique qu’assurée. Car aujourd’hui, le cannabis médical est devenu son cheval de bataille. « Je n’attends que cela », dit-elle, expérience des pays voisins en exemple.
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A l’image de cette mère de famille, ils sont des milliers de patients, avec un cancer, une sclérose en plaques, une neuropathie ou comme elle, le VIH, à espérer une reconnaissance thérapeutique des célèbres feuilles vertes controversées. Débattu depuis des années, voté à l’automne 2019, annoncé en ce mois de septembre, puis en janvier… le début de l’expérimentation, en France, du cannabis thérapeutique sur 3000 malades devrait encore être reporté. Le décret qui l’autorise n’est toujours pas paru et son budget est pour l’instant de… 0 euros!
Fait inédit, des médecins (dont son président) siégeant au Comité scientifique mis en place par l’Agence de médicament (ANSM) montent au créneau dans une tribune que nous dévoilons. Appuyés par les sociétés savantes et les associations de patients, ils couchent leur inquiétude et demandent au gouvernement le respect de son engagement. Une adresse particulière à Olivier Véran, ancien député fervent défenseur de l’expérimentation, devenu le ministre de la Santé.
L’impact du Covid-19
Son ministère, que nous avons joint, se défend de tout attentisme et plaide l’impact du Covid-19 sur le dossier cannabis médical. « L’expérimentation relative à (son) usage commencera en 2021 », nous assure-t-on, sans préciser la date. « Elle représente un enjeu important et répond à une attente forte pour la prise en charge de la douleur et de la spasticité », reprend la rue de Ségur.
« Depuis l’annonce de l’expérimentation, j’ai les warnings méfiance allumés et j’ai visiblement raison. Chaque report insulte les malades », souffle Béatrice. Et ne lui dites pas qu’elle fume, au risque d’être immédiatement corrigé : « J’inhale à l’aide d’un vaporisateur ! » Malgré la transplantation rénale, la fatigue, l’atrophie des muscles, la quinqua poursuit sa route. Déjà, en s’obligeant à son kilomètre quotidien pour promener Fakir, le cocker noir. Et en libérant la voix des malades : post sur des blogs ou témoignage à notre journal. « Ça fait trente ans que je me bats, je ne vais pas lâcher maintenant. »