01/06/2019
Alors que le débat organisé le 28 mai au Sénat s’est conclu à la quasi-unanimité des parlementaires en faveur de l’usage du cannabis médical, ce dernier sera expérimenté pendant « environ deux ans » dès que le ministère de la Santé l’aura validé.
Expérimentation imminente. L’usage thérapeutique du cannabis pourrait bientôt devenir une réalité légalement encadrée pour des centaines de milliers de patients français souffrant de fortes douleurs à cause d’une maladie. Selon les chiffres généralement avancés par les associations de patients, ils pourraient être entre 300 000 et 1 million dans ce cas.
« Il y aura environ deux ans d’expérimentation du cannabis à usage thérapeutique à partir du moment où on aura le feu vert et les financements du ministère de la Santé », explique le professeur Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale et du centre de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, contacté par France 24. Ce dernier préside depuis plusieurs mois le comité d’experts, créé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), chargé d’évaluer “les modalités de mise à disposition” du cannabis thérapeutique et dont le rapport est attendu le 26 juin.
Cette expérimentation « va être mise en place assez rapidement, dans les prochaines semaines », affirme Jean-Baptiste Moreau, député (LREM) de la Creuse contacté par France 24, qui voit d’un bon œil le cannabis à usage thérapeutique. Il explique : « L’enjeu, c’est d’arriver à ce que la production [de ces produits pharmaceutiques, NDLR] soit assurée par une filière franco-française ». De préférence dans son département, en quête d’un nouveau souffle économique, et dont certains élus ont déjà demandé, en 2018, au gouvernement l’autorisation d’y cultiver et d’y exploiter du cannabis à usage thérapeutique.
Une expérimentation sous conditions
Mais les conséquences économiques attendues d’une telle expérimentation ne sont pas encore à l’ordre du jour. « Pour l’instant, il n’y a pas d’autorisation de produire du cannabis thérapeutique en France », rappelle Nicolas Authier, qui poursuit : « [Les cultures] se feront en champ fermé, sous serre, et nécessiteront des investissements importants. De plus, il va falloir maîtriser leur température, leur humidité et leur ensoleillement, ce ne sera pas de l’agriculture conventionnelle ».
Pendant l’expérimentation, qui pourrait durer théoriquement jusqu’au deuxième trimestre 2021, « il est probable qu’on soit obligé d’importer des préparations pharmaceutiques [de pays où le cannabis thérapeutique est légalisé, NDLR] le temps que la filière franco-française se structure », explique le président du comité d’experts de l’ANSM.
Deux impératifs devront être respectés pour ces productions médicales : la maîtrise des cultures, d’abord, et le respect des règles européennes pour la production de médicaments à qualité constante ensuite.
L’usage de cannabis thérapeutique sera par ailleurs strictement encadré. Les médecins traitants ne le prescriront « qu’en dernière intention, quand les autres traitements thérapeutiques [à base d’antalgiques par exemple, NDLR] déjà disponibles auront été expérimentés », précise le Pr Authier. L’ANSM a aussi ciblé, dès décembre 2018, le public qui pourra recourir au cannabis thérapeutique : les personnes atteintes de cancers, de certaines formes d’épilepsie, de scléroses en plaque, en soins palliatifs ou encore « ayant des douleurs réfractaires aux thérapies accessibles ».
« Il faudrait probablement élargir par la suite le spectre des maladies ciblées », estime Esther Benbassa, sénatrice EELV à l’initiative du débat sur le cannabis thérapeutique cette semaine au Sénat, contactée par France 24. Mais augmenter le nombre de personnes pouvant expérimenter le cannabis thérapeutique pourrait-il avoir comme conséquence d’ouvrir la voie à un détournement de l’objectif initial ? « Le risque que le cannabis thérapeutique soit détourné pour un usage récréatif est extrêmement faible », estime Nicolas Authier, le chef de service du centre de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand.
Pas question de légaliser le cannabis à usage récréatif
Au-delà de soulager de leurs souffrances des personnes touchées par la maladie, le cannabis thérapeutique pourrait être la porte d’entrée, le « cheval de Troie » devant ensuite servir à la légalisation du cannabis à usage récréatif, comme s’en inquiétaient le 28 mai des sénateurs Les Républicains.
« Ce ne sont pas les mêmes usagers et pas les mêmes finalités. Ceux qui prennent de la codéine pour des douleurs, et ceux qui fument de l’opium consomment la même substance, mais n’en ont pas le même usage. Dans le même sens, la qualité du cannabis thérapeutique n’est pas la même que celle des personnes cherchant à avoir des effets psychoactifs », prévient le Pr Authier. Il y aura par exemple moins de THC [Tétrahydrocannabinol]– le cannabinoïde le plus abondant et le plus présent dans la plante de cannabis – dans le cannabis médical que dans celui qui est fumé régulièrement par 11 % des Français âgés de 18 à 64 ans, selon l’OFDT.
Les modifications réglementaires à venir – quand le ministère de la Santé aura donné le feu vert – ne permettront qu’une expérimentation médicale, qui n’a pas vocation à être généralisée à tous les usages. « Le cannabis thérapeutique n’est pas une drogue, ce sont des médicaments, précise Nicolas Authier. La question de sa légalisation ne se posera pas avant 2021, dans la continuité de cette expérimentation ».
Rien à voir, donc, avec une éventuelle légalisation du cannabis à usage récréatif, pour lequel le législateur gardera toute latitude. Le député Jean-Baptiste Moreau demandera « bientôt » une mission d’information sur les différents usages du cannabis en France. « On parle de cannabis thérapeutique pour le moment, mais à terme, il faudra aller vers le cannabis bien-être [des huiles, compléments alimentaires… avec un taux de THC très faible, NDLR]”, explique-t-il.
Source : https://www.france24.com/fr/20190601-france-cannabis-therapeutique-experimentation-prochaines-semaines-senat-thc