Le cannabis à visée thérapeutique, déjà cultivé dans une bonne partie de l’Europe, pourrait bientôt être autorisé en France.
Un enjeu sanitaire sonnant et trébuchant. Voilà ce que représente l’autorisation du cannabis thérapeutique qui se profile lentement, mais sûrement, à l’horizon médical français. Investisseurs et entrepreneurs ne s’y trompent pas : un juteux marché est à prendre et mieux vaut se placer dès maintenant dans les starting-blocks. Tous les signaux sont au vert. En février, l’Union européenne a adopté une résolution visant à encourager les États à reconnaître et à encadrer le développement du cannabis médical. En France, Édouard Philippe a trouvé « absurde » de ne pas étudier la question, et la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est félicitée que s’engage un débat « dépassionné » sur ce sujet sensible.
Car l’on parle ici de cannabis délivré sur ordonnance à des fins médicinales. Son usage récréatif – la fumette – n’est pas à l’ordre du jour. Après un premier avis favorable rendu en décembre dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a mandaté un comité d’experts (CSST) pour une seconde étude qui devrait déboucher sur une expérimentation d’un ou deux ans, en conditions réelles, au plus tôt à la fin de l’année 2019. Objectif à terme : légaliser un marché contrôlé du cannabis thérapeutique.
Si les pathologies concernées sont déjà définies (dont épilepsie, oncologie, sclérose en plaques), nombre de conditions doivent encore être fixées. Qui distribuera, qui produira, sous quelles formes ? Le CSST doit rendre ses conclusions fin juin. « Une chose est sûre, vu le nombre d’investisseurs qui m’approchent, il y a un vrai enjeu économique », assure Jean- Baptiste Moreau. Le député (LREM) de la Creuse est à la tête du combat pour la légalisation de la plante à visée thérapeutique. S’il loue ses bienfaits sanitaires, il vante surtout ses avantages économiques. Tout particulièrement pour son département en crise.
Le filon attire déjà les convoitises
Dans la Creuse, on fait valoir un savoir-faire historique sur le chanvre, espèce cousine du cannabis. Et tout le monde est prêt. L’agriculteur Jouany Chatoux a par exemple déjà investi 35 000 euros pour accueillir des plantations sous serre de cannabis à visée thérapeutique. Il se fait déjà la main sur des espèces autorisées. « Si demain notre projet est accepté, je peux aller jusqu’à 3 000 mètres carrés de serres », dit-il. Un laboratoire creusois s’est également positionné sur le créneau. « On a une filière de A à Z pour proposer une solution clés en main », détaille M. Moreau, qui espère plusieurs centaines d’emplois.
On veut devenir le leader européen. Et on ne peut pas laisser passer un marché comme la France
Mais l’eldorado économique que l’on entrevoit en France attire les convoitises bien au-delà de la Creuse. Les poids lourds du secteur, Américains, Canadiens et Israéliens en tête, se pressent au portillon. Forts de leur expérience dans des pays où le cannabis est déjà légalisé, ils sont actuellement auditionnés par le CSST. « Pour l’expérimentation, il nous faut des producteurs ?capables de nous procurer de la matière première dès maintenant, explique le Dr Nicolas Authier, qui préside le CSST. En parallèle, on va réfléchir à une filière franco-française. » Mais sans clause d’exclusivité pour la Creuse, ni moyen d’empêcher les mastodontes internationaux de mordre dans le gâteau. Or les crocs sont déjà sortis.
En novembre 2018, Emmac Life Sciences, nouveau venu ambitieux dans l’industrie du cannabis, a ouvert un département français. Antonio Costanzo, son PDG, ne s’en cache pas : « On veut devenir le leader européen. Et on ne peut pas laisser passer un marché comme la France. » Déjà présente dans huit pays, la multinationale rachète à tour de bras laboratoires, distributeurs et producteurs du Vieux Continent et serait en pourparlers avec plusieurs territoires en France. S’il est compliqué d’estimer réellement la manne française du cannabis thérapeutique, M. Costanzo est l’un des rares à avancer une réponse prudente, calquée sur le marché allemand : environ 5 milliards d’euros.
Version moderne de l’herboristerie
De tels concurrents font craindre aux Creusois de se faire doubler sur ce marché prometteur mais pas infini. Ceux-ci voudraient faire évoluer un peu plus la législation. « Là où il y a vraiment de l’argent à se faire, c’est sur le cannabis bien-être », affirme Jouany Chatoux. On ne parle toujours pas d’usage récréatif : le « cannabis bien-être » se concentre sur le cannabidiol (CBD), une molécule de la plante aux propriétés relaxantes et non-psychotropes, contrairement au tétrahydrocannabinol (THC) accepté dans le cannabis thérapeutique. En France, la production est interdite, mais on peut se procurer des produits à base de CBD s’ils ne contiennent pas plus de 0,2% de THC. On les trouve sous de multiples formes, de l’huile aux produits cosmétiques.
Il faut préciser notre législation hypocrite. Les enjeux sont énormes : un hectare de blé, c’est 300 euros, quand un hectare de cannabis en rapporte 2.000
Une version moderne et sexy de l’herboristerie où les gammes de produits sont quasi illimitées. Et les retours sur investissement colossaux. Comme le montre la bonne fortune d’un entrepreneur français qui s’est lancé dans la distribution de cannabis bien-être. Mise de départ pour ouvrir une boutique dans le Colorado : 5.000 euros. Chiffre d’affaires net en 2018 : 300 000 euros. Aujourd’hui, il se verrait bien faire le match retour en France.
Jean-Baptiste Moreau en a fait son autre cheval de bataille et prépare une mission d’information parlementaire sur le sujet. « Il faut préciser notre législation hypocrite, martèle-t-il. Les enjeux sont énormes : un hectare de blé, c’est 300 euros, quand un hectare de cannabis en rapporte 2 000. » Pour le Dr Authier, mêler les deux sujets est une erreur : « Ça brouille le message du thérapeutique, qui présente un réel enjeu sanitaire. » L’horizon législatif du cannabis bien-être est de toute façon nettement plus lointain. Et la perspective économique moins ?dégagée : dans ce secteur ultra concurrentiel où les petits sont mangés par les gros, les majors internationales ont là aussi une longueur d’avance.
Source : https://www.lejdd.fr/Societe/cannabis-therapeutique-une-eldorado-economique-pour-la-france-3896962