Malgré son importance religieuse et médicinale, le cannabis continue d’être vilipendé en Inde. Il est grand temps de reconnaître l’herbe pour ce qu’elle est vraiment.
Vers une réappropriation du cannabis, entre traditions millénaires et enjeux contemporains.
Depuis des millénaires, le cannabis, ou chanvre indien, est intimement lié à la culture indienne. Il apparaît dans les récits mythologiques, notamment ceux de l’hindouisme, où il est décrit comme une plante sacrée associée au dieu Shiva et nommé vijaya (“victoire” ou “triomphe”). Pourtant, cette plante ancestrale, cultivée dans plus de 60 % des districts indiens, est aujourd’hui au cœur d’un paradoxe : interdite à des fins récréatives et psychoactives depuis 1985, elle fait néanmoins l’objet d’un usage médicinal et culturel répandu.
Face à ce décalage, un mouvement en faveur de la réhabilitation du cannabis gagne du terrain, porté par des arguments économiques, médicinaux et culturels. Des initiatives locales, comme au Himachal Pradesh, résonnent avec des débats mondiaux sur les bienfaits et les limites de cette plante.
Le poids des traditions : une plante sacrée et médicinale
L’histoire indienne regorge de références au cannabis. Les textes sacrés, les pratiques ayurvédiques et les cérémonies religieuses intègrent cette plante aux multiples vertus. Consommée sous forme de bhang – une pâte obtenue à partir des feuilles et tiges non psychoactives –, elle fait partie intégrante de certaines fêtes religieuses, comme Holi, où les fidèles célèbrent avec cette préparation à base de cannabis.
D’un point de vue médicinal, le cannabis est un pilier de l’Ayurveda, utilisé pour traiter divers maux tels que l’anémie, l’épilepsie, les douleurs menstruelles ou les troubles nerveux. Cette riche tradition, bien que toujours vivante, a été reléguée au second plan par la législation anti-cannabis adoptée au XXe siècle.
La diabolisation d’une plante millénaire
Le basculement s’opère au XXe siècle, sous l’influence des États-Unis. En 1937, le gouvernement américain adopte la Marijuana Tax Act, initiant un mouvement global de stigmatisation du cannabis. En Inde, cette dynamique aboutit à la loi de 1985 sur les stupéfiants, qui interdit la culture et la consommation des variétés psychoactives.
Cette interdiction s’appuie sur une vision importée, éloignée des pratiques culturelles et des connaissances locales. Le cannabis devient une drogue antisociale, bien qu’il continue d’être consommé largement, souvent sous une forme non psychoactive, et que ses propriétés curatives soient reconnues par une partie de la communauté scientifique.
Himachal Pradesh : le vent du changement ?
En 2023, l’État indien du Himachal Pradesh prend une décision audacieuse en adoptant une résolution légalisant la culture du cannabis à des fins médicinales et industrielles. Cette mesure est soutenue aussi bien par la majorité que par l’opposition, signe de l’évolution des mentalités sur la question.
Le potentiel économique de cette culture est immense. Le Himachal Pradesh, région montagneuse de l’Himalaya où la plante pousse naturellement, espère développer des filières de recherche, de production pharmaceutique et de textiles à base de chanvre. Ces projets s’inscrivent dans une volonté de valoriser une ressource locale et d’en faire un levier de développement pour les populations rurales.
Le paradoxe indien : entre prohibition et démocratisation
Le contraste est frappant : alors que des milliers d’Indiens en vacances en Thaïlande découvrent les bénéfices économiques d’une légalisation encadrée, leur propre pays reste empêtré dans des lois héritées de l’époque coloniale. En Thaïlande, la dépénalisation du cannabis a dynamisé le secteur touristique et créé de nouvelles opportunités économiques, même si certains courants politiques tentent de revenir à des interdictions plus strictes.
En Inde, la culture du cannabis reste clandestine dans de nombreux États, alimentant des réseaux illégaux et privant l’État d’importantes recettes fiscales. La régularisation de cette industrie pourrait non seulement réduire les activités criminelles mais aussi répondre aux besoins d’une population en quête d’alternatives naturelles en matière de santé.
Une réappropriation culturelle et économique
L’Inde se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, elle peut continuer à appliquer des lois restrictives issues d’un contexte étranger, au risque de passer à côté d’une opportunité unique. De l’autre, elle peut s’appuyer sur son riche patrimoine culturel pour réhabiliter le cannabis et en faire un atout économique, médical et scientifique.
Le Himachal Pradesh montre que le changement est possible. En réintroduisant le cannabis dans un cadre légal, l’Inde pourrait non seulement s’affranchir des tabous imposés par l’extérieur, mais aussi réaffirmer une part de son identité culturelle. Le cannabis, à la fois poison et panacée, pourrait bien redevenir l’un des cadeaux les plus précieux que l’Inde offre au monde.
Pour un dialogue mondial
À l’heure où de nombreux pays révisent leurs politiques sur le cannabis, l’exemple indien soulève des questions cruciales. Comment concilier traditions, santé publique et développement économique ? Et surtout, comment réparer l’injustice historique de la diabolisation d’une plante qui, dans de nombreuses cultures, symbolise guérison et spiritualité ?
En tant que militants du CIRC, nous devons suivre de près ces évolutions et soutenir une approche globale et respectueuse des spécificités culturelles. La lutte contre la prohibition passe aussi par la valorisation de modèles alternatifs comme celui que le Himachal Pradesh tente d’instaurer.
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