Alors que la France, premier consommateur de cannabis de l’Union européenne, persiste à réprimer son usage, le marché noir, évalué à 1 milliard d’euros par an, irrigue l’ensemble du territoire. Une offre transitant par les cités urbaines, avec ses stratégies marketing et ses produits adaptés à la demande. Mais dont s’écartent de plus en plus d’usagers qui se tournent vers l’autoproduction.
« En matière de stupéfiants, c’est la demande qui crée l’offre, et non l’inverse », analyse M. Fabrice Olivet, directeur de l’association Auto-support des usagers de drogues (ASUD). La France, qui réprime depuis 1970 le simple usage de stupéfiants, est le plus important consommateur de cannabis de l’Union européenne : 41 % des adultes y ont fumé « au moins une fois du cannabis au cours de leur vie » (contre 27 % en Allemagne et 11 % au Portugal, où l’usage de tous les stupéfiants est pourtant dépénalisé) (1). Plus d’un jeune sur cinq (21 % des 15-34 ans) déclare avoir fumé « ces douze derniers mois » (contre 13 % des jeunes en Allemagne et 8 % au Portugal). Près d’un million et demi de Français disent fumer « régulièrement » et la moitié de ceux-ci, « tous les jours ». « Cette consommation est probablement sous-estimée, souligne M. Olivet, du fait de son illégalité : combien de gens n’osent pas avouer au sondeur qu’ils commettent un délit ? »
L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que près de 4 % de la population mondiale fume du cannabis (soit environ 292 millions de personnes). Il observe même une hausse de 16 % entre 2006 et 2016. Et, compte tenu du volume des saisies (1 600 tonnes en 2016), nos diverses sources estiment que, chaque jour en moyenne, une à deux tonnes de cannabis sont fumées dans l’Hexagone.
« Il existe au moins un “four” [point de vente] par ville d’Île-de-France, parfois indiqué par des affichettes dès la sortie du métro ou du RER »
Afin de satisfaire cette colossale demande s’est mise en place une offre, tout aussi illégale et tout aussi massive. Un trafic que Jules (2), officier de police judiciaire (OPJ) en Île-de-France, s’efforce de combattre. « Il existe au moins un “four” [point de vente] par ville d’Île-de-France, Ces fours sont parfois indiqués par des affichettes dès la sortie du métro ou de la gare RER. » À défaut, des rabatteurs guident le client égaré. « Certains fours sont même signalés par Google Maps, comme un temps celui de Bagatelle, à Toulouse. » Le marché n’est pas qu’urbain : la demande est telle que le trafic irrigue l’ensemble de l’Hexagone. Il n’existe guère de communes rurales sans dealer. Les clients sont issus de toutes les classes sociales : « Lors de planques autour de la Défense, raconte Jules, on voit des cadres en costume-cravate venir à la pause-déjeuner acheter leur barrette de shit » (environ 2 grammes de haschisch, vendus 10 euros). Ces privilégiés n’ont rien à craindre en se hasardant dans un « quartier sensible » : « Au contraire, signale l’OPJ, des représailles ultraviolentes attendent ceux qui oseraient dépouiller un client. » Le marché n’aime pas le désordre.
Livraison à domicile à scooter
Comme n’importe quelle boutique, le four dispose d’horaires (souvent de midi à minuit) et de congés (annoncés courtoisement par affichettes). Le client est choyé par des cadeaux : longues feuilles à rouler, grinders (machines à émietter l’herbe), blunts (feuilles à cigare utilisées pour rouler le joint), bonbons, jeux à gratter, etc. « J’ai même vu des cartes de fidélité ! poursuit Jules. Ce sont des commerçants. Avec des stratégies marketing. La dernière mode : la livraison à domicile à scooter. » Via l’application WhatsApp, les dealers envoient aux clients réguliers des publicités pour leurs produits : nouveautés, promotions…
« Aux quatre coins de la cité, poursuit Jules, des guetteurs alertent des descentes de police. » Afin d’éviter des saisies trop importantes, « un four ne contient en permanence que 100 ou 200 grammes ». Il est réalimenté par des coursiers. Les kilos sont entreposés dans des sacs — cadenassés — chez des « nourrices », souvent des mères célibataires, voire des retraités, qui arrondissent ainsi leurs fins de mois. Dans le hall d’immeuble où se déroulent les transactions, un portier filtre les entrées, parfois muni d’un détecteur de métaux. « Une capuche ou une cagoule sur la tête », le vendeur reçoit les clients. Dans la cité rôde le gérant. « La tête de réseau tire les ficelles, parfois depuis sa cellule, avec son téléphone portable. »
De grosses cylindrées — les fameux « go-fast » — ou des camions de fruits et légumes approvisionnent les villes en transportant jusqu’à des centaines de kilos de haschisch, produit au Maroc (lire « Le kif est dépassé ») et débarqué en Zodiac autour de Malaga. « Des semi-grossistes peuvent mutualiser leurs moyens pour acheter plusieurs tonnes, souligne Jules. Ils ont une logique d’entreprise : convoyer de grosses quantités permet de réduire les coûts. » Les douanes et la police interceptent régulièrement des chargements aux péages autoroutiers, « parfois grâce au tuyau d’un indic, lui-même trafiquant et soucieux de se débarrasser d’un concurrent ». Flic de terrain critique envers sa hiérarchie, Jules invite à « se méfier des saisies record » présentées comme des succès : « Les plus importantes ont lieu comme par hasard en décembre. Lorsque l’année se termine, ordre est donné de s’activer pour améliorer les chiffres ! »
Comme des semi- grossistes, « ils ont une logique d’entreprise : convoyer de grosses quantités permet de réduire les coûts »
L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estime le marché total des stupéfiants en France à 2,7 milliards d’euros, dont un « gros » milliard pour le cannabis. Des chiffres si importants que l’organisme les intègre depuis janvier 2018 dans le calcul du produit intérieur brut (PIB) (pour 0,1 %). Pour autant, quantifier l’économie d’un four n’est pas aisé. « Un kilo de shit est acheté 1 500 à 2 500 euros selon la qualité et revendu jusqu’à 5 000 euros, détaille Jules. Guetteurs et portiers sont payés 80 à 120 euros par jour. Le vendeur, 100 à 140. Le gérant, 150 à 200. Le conducteur de go-fast — très risqué — 2 000 à 5 000 euros. Le boss touche évidemment bien plus. Un four qu’on a démantelé engrangeait 10 000 euros par jour. » Saisie par la police à Marseille, la comptabilité d’un dealer faisait état d’un bénéfice net mensuel de plus de 100 000 euros (3).
Profits inégalement répartis
Attention, cependant, à ne pas extrapoler : « Les chiffres avancés par ce policier sont exacts, commente Christian Ben Lakhdar, professeur d’économie à l’université de Lille (4), mais précisons que les profits du cannabis sont très inégalement répartis. Les gains faramineux relèvent du mythe urbain. Car ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sont payés à la journée, ils travaillent douze heures par jour, sans bien sûr cotiser à la Sécurité sociale ou à la retraite. Le niveau de leurs gains montre une proximité assez troublante avec le salaire minimum légal. En clair, ce sont des smicards. »
« Plus le trafic est structuré, plus il est pyramidal, moins l’argent descend et plus les hauts revenus se concentrent en haut de l’échelle », relève à son tour M. Stéphane Gatignon, maire écologiste de Sevran de 2001 à 2018, une ville de Seine-Saint-Denis devenue un tel supermarché du cannabis qu’en 2011 l’édile en appela à l’intervention de l’armée (5). « C’est une économie de débrouille : des courses payées en liquide, plutôt que par carte bancaire, confie M. Gatignon. Des arriérés de loyer, parfois de 20 000, 30 000 euros, aussi payés en liquide ! Et les bailleurs ne bronchent pas… » Au contraire, confirme Jules : « Les bailleurs ne sont pas contents quand on démantèle un réseau : ils savent que les arriérés de loyer vont s’accumuler. »
La violence est omniprésente là où sévit le trafic : « Dans les années 2000, à Sevran, il y a eu sept ou huit règlements de comptes mortels », se souvient M. Gatignon. À Marseille, vingt-neuf meurtres liés au trafic ont été recensés en 2016, une vingtaine en 2018. « C’est souvent après le démantèlement d’un réseau qu’ont lieu les règlements de comptes », précise Jules. La nature a horreur du vide : « Comme la demande persiste, l’offre se recrée : le marché est à prendre… En fait, le trafic est une caricature du capitalisme le plus débridé », résume le policier.
Ainsi, poursuit-il, « une faute professionnelle est sanctionnée par des représailles violentes : perdre sa marchandise, c’est la torture (tabassage, brûlures de cigarette), puis l’esclavage pour dette… » Aux violences entre trafiquants s’ajoute l’intimidation du voisinage : « Les gens vivaient dans la terreur, se souvient l’ex-maire de Sevran. Les dealers contrôlaient les entrées de la cité, demandaient leurs papiers aux locataires, les fouillaient. » Le deal accentue la paupérisation du quartier, faisant fuir tous ceux qui ont les moyens de vivre ailleurs. À Sevran, les réseaux ont fini par être démantelés, « mais le problème n’a été que déplacé, précise M. Gatignon. Le deal a bougé vers des communes limitrophes de Paris. Ce qui est même plus pratique pour les consommateurs ».
« Les plus malins quittent à temps le business et s’embourgeoisent. Ils mettent leurs enfants en école privée »
Seuls les grossistes et les semi-grossistes tirent véritablement profit du trafic. « Les plus malins quittent à temps le business et s’embourgeoisent, témoigne M. Gatignon. D’anciens dealers ont investi dans des PME. Pères de famille, quadragénaires, ils aspirent à la respectabilité. Ils vivent en pavillon et mettent leurs enfants en école privée. » Et d’ajouter : « Ils auraient sans doute fait autre chose s’ils en avaient eu l’opportunité, s’ils n’avaient pas été privés de capital social, culturel et économique ».
Le blanchiment se professionnalise
L’argent du cannabis est transféré à l’étranger ou « blanchi », via des prête-noms, dans l’immobilier ou des commerces : « Le grand classique, explique Jules, est le petit resto vide. Ils truquent la comptabilité en gonflant le nombre de clients. » Cependant, depuis la loi dite Warsmann du 9 juillet 2010, qui permet de geler les biens mobiliers et immobiliers des personnes suspectées de trafic dès le début de l’instruction, le blanchiment se professionnalise. Les trafiquants font appel à des réseaux structurés impliquant des intervenants sociologiquement fort éloignés de la « banlieue » : en 2012, l’opération dite « Virus » — le démantèlement d’un réseau franco-suisse de blanchiment — a montré que l’argent du cannabis transitait par les sociétés-écrans et les comptes bancaires de fraudeurs fiscaux et de banquiers occultes (6) : le capitalisme débridé des quartiers sensibles rejoint alors celui des élites…
Le cannabis fumé dans l’Hexagone provient en grande majorité du Maroc, où les puissants plants hybrides ont remplacé le kif (lire « Le kif est dépassé »). Par conséquent, les taux de THC ont grimpé dans les échantillons de cannabis saisis en France et analysés en laboratoire. Alors qu’en 2009 les teneurs moyennes en THC tournaient autour de 10 %, elles atteignaient en 2017 des valeurs de 20 % à 30 %. Écoulés depuis peu à Toulouse, des moon rocks (de l’herbe qui a mariné dans de l’huile de cannabis) affichent même 70 % ! Cette hausse du THC n’est pas sans impact sanitaire. « On observe de nouveaux symptômes incluant des vomissements à répétition, incontrôlables », constate le docteur en pharmacie Grégory Pfau, qui travaille au service addictologie de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, ainsi qu’à l’association Charonne, qui accompagne les usagers de drogues. « Des fumeurs expérimentés arrivent aux urgences et expliquent n’avoir jamais enduré ça. Ils souffrent aussi parfois d’accidents psychiatriques aigus : impression de suffocation, bouffées délirantes. Ces accidents psychiatriques aigus semblent aller de pair avec la hausse du THC dans les résines de cannabis. » Et de préciser : « Tout comme face à l’alcool, les sujets ne sont pas égaux face aux drogues. Ces nouveaux symptômes complexifient le discours prohibition-légalisation en faveur d’une régulation du marché. Les autorités ont diabolisé le cannabis afin de protéger la jeunesse. Mais cela ne fonctionne pas, parce que c’est faux, dénué de sens : non, la consommation de cannabis ne pose aucun problème chez la plupart des usagers ; non, ils ne tombent pas mécaniquement dans l’héroïne. »
Graines de cannabis de… collection
Avant d’envahir le Rif, les variétés hybrides ont conquis nombre de fumeurs européens. Des entreprises, pour la plupart néerlandaises et espagnoles, vendent en ligne des dizaines de variétés de graines de cannabis et informent sur la teneur en THC des produits. Traduits en une demi-douzaine de langues, leurs sites internet s’adressent notamment aux résidents de pays où l’usage du cannabis est illicite. « Nous vendons de 600 000 à 700 000 paquets de graines par an », explique par courriel, depuis Amsterdam, M. David Duclos, directeur commercial de Sensi Seeds, qui propose en ligne « une soixantaine de variétés », auxquelles s’ajoutent « un total d’environ cinq cents dans notre banque génétique ». La France, confirme le Néerlandais, est « l’un de nos marchés les plus importants, avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ce n’est pas que le marché français ait grossi, précise-t-il, mais plutôt que l’hypocrisie du modèle prohibitionniste actuel encourage les gens à prendre leurs affaires en mains. »
À noter qu’en France quelques boutiques écoulent discrètement des « graines de collection », sous certaines conditions : l’acheteur est censé les « collectionner », non les faire germer. Nuance. « La vente de graines de cannabis ne peut être interdite, puisqu’elles ne contiennent pas de THC », précise le gérant d’une de ces échoppes parisiennes. La vitrine est explicite : vêtements et posters à l’effigie de Bob Marley ou de feuilles de cannabis, matériel à rouler, grinders, chiloms, pipes à eau… Dans son catalogue est présentée toute une gamme d’hybrides. Lorsque le chaland lui demande, faussement naïf, « les taux de THC des plants de cannabis issus de ces graines », le vendeur répond, gêné : « Pour ce genre d’infos, cherchez sur Internet. Je ne donne aucun conseil. C’est la loi. » D’aucuns, cependant, savoureront l’incohérence grotesque d’un cadre légal qui tolère la vente de graines de cannabis, mais interdit d’informer quant à leur potentiel psychotrope ! Avec un sourire complice, le vendeur nous confirme qu’« il y a de plus en plus de collectionneurs… ».
Étudiant en master 1 en anthropologie et ethnologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), M. Vivien Pierné prépare un mémoire universitaire sur « L’approche ethnologique des cultures matérielles et immatérielles du cannabis en France » : « Dans certaines localité du sud de la France, nous explique-t-il, on cultive le cannabis depuis des décennies pour sa consommation personnelle, celle de l’entourage, et éventuellement pour revendre à des connaissances, puisque la demande est constante. Les gens préfèrent fumer leur herbe plutôt que du haschisch douteux. L’autoculture en milieu urbain est un phénomène plus récent, rendu possible grâce à la diffusion des techniques de culture en intérieur, sous lampes UV, et dynamisé par l’apparition de graines génétiquement plus adaptées. » Ces cultivateurs urbains, observe M. Pierné, « sont généralement des consommateurs réguliers et avertis, qui préfèrent avoir un produit sûr et ne plus avoir de contacts avec des réseaux mafieux. Mais cela requiert un logement stable et un capital de départ pour l’achat du matériel ».
Jules, l’officier de police judiciaire, voit cette tendance à l’autoculture comme un moindre mal : « J’encourage les fumeurs de joints que j’interpelle à faire pousser chez eux, admet-il. Acheter le matériel et les graines est facile et légal, les risques de se faire attraper sont minimes. Qu’ils cessent de financer des réseaux criminels, ultraviolents et ultracapitalistes ! Quelqu’un qui fait pousser chez lui et fume chez lui ne pose aucun problème de sécurité publique. » Pourtant, les fumeurs de cannabis représentent l’écrasante majorité des personnes interpellées pour infraction aux stupéfiants, dont le nombre a quasiment triplé en deux décennies (7). « Chaque année, plus de 200 000 personnes sont interpellées pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), constatait, en 2015, l’OFDT (8). Dans neuf cas sur dix, cela concerne la consommation de cannabis. »
« J’encourage les fumeurs de joints que j’interpelle à faire pousser [du cannabis] chez eux » (Jules, policier)
Ouvert, le 4 septembre 2016 sur France Inter, à l’idée de légaliser le cannabis, alors qu’il était ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron, élu président, a finalement opté pour la répression : fumer un joint est désormais passible d’une amende forfaitaire de 200 euros. Quatorze associations dénoncent dans un Livre blanc (9) un « combat d’arrière-garde », voué à un « échec annoncé ». À l’opposé, le 17 octobre 2018, le Canada a opté pour la régulation de l’usage, de la vente et de la production du cannabis récréatif (10). L’Uruguay avait légiféré en ce sens en 2013, tout comme ces dernières années dix États américains, dont le Colorado, la Californie et — dernier en date — le Michigan. « La France est en position de citadelle assiégée en Europe », analyse M. Benjamin Jeanroy, ancien consultant de l’ONUDC au Laos et en Amérique centrale, cofondateur du lobby citoyen Expertises citoyennes horizontales (ECHO), qui entend faire avancer le débat sur la question. « Elle perpétue une politique répressive structurée par des forces présentes au sein des administrations et des milieux de santé. »
Expert en géopolitique des drogues, M. Michel Gandilhon distingue la mise en place des modèles uruguayen et américain : « Le Colorado a éludé les risques pour la santé publique. Des sociétés privées vendent des produits concentrate, avec des taux de THC pouvant atteindre 65 % ! Un lobby capitaliste du cannabis est né. Et ce ne sont pas des philanthropes… » Aux États-Unis, l’indice boursier qui rassemble les sociétés du secteur, The North American Marijuana Index, a triplé entre septembre 2017 et janvier 2018. Selon le cabinet spécialisé Arcview, le marché du cannabis devrait peser 40 milliards de dollars d’ici à 2021.
Reconversion dans la vente légale
Aux États-Unis, « cette légalisation libérale est différente de la légalisation uruguayenne pilotée par les pouvoirs publics, souligne M. Gandilhon. Là, seules deux entreprises sont autorisées à produire pour les pharmacies, et le taux de THC est fixé à 15 % ». Quels sont les impacts de la légalisation sur le crime organisé ? « Les cartels mexicains sont polycriminels et ont su amortir le choc, explique M. Gandilhon. Si les saisies de marijuana ont chuté de moitié à la frontière sud des États-Unis entre 2011 et 2016, la hausse récente de la consommation de cocaïne et d’héroïne dans ce pays, sur fond de crise des opioïdes, a compensé les pertes. » En France, qu’adviendrait-il des revendeurs du trafic ? M. Jeanroy invite à ne pas négliger la question : « Il faudrait envisager leur reconversion dans la vente légale, comme cela se fait à Oakland, en Californie. » Car, « si les petites mains du trafic, le lumpenprolétariat de ce marché illicite, se trouvent exclues de ce marché devenu légal, prévient-il, une explosion sociale de ces espaces sera prévisible ».
Cédric Gouverneur
(1) « Rapport européen sur les drogues. Tendances et évolutions 2018 » (PDF), Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Luxembourg, 2018.
(2) Le prénom a été modifié à la demande du fonctionnaire de police, tenu au devoir de réserve.
(3) « Les incroyables comptes d’un dealer marseillais », Le Figaro, Paris, 29 décembre 2011.
(4) Christian Ben Lakhdar, « Le trafic de cannabis en France : estimation des gains des dealers afin d’apprécier le potentiel de blanchiment » (PDF), Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, novembre 2007.
(5) M. Gatignon a préfacé la bande dessinée écrite par l’auteur. Plusieurs maires de villes touchées par le trafic de cannabis n’ont jamais donné suite à nos demandes d’entretien.
(6) Trente-cinq personnes ont été condamnées dans cette affaire en octobre 2018.
(7) « Interpellations et condamnations pour ILS. Évolution depuis 1995 », OFDT, actualisation juillet 2017.
(8) Ivana Obradovic, « Trente ans de réponse pénale à l’usage des stupéfiants » (PDF), OFDT, octobre 2015.
(9) Parmi ces associations, Aides, Médecins du monde, ASUD, la Ligue des droits de l’homme (LDH).
(10) Lire Ivana Obradovic, « La légalisation du cannabis au Canada : genèse et enjeux de la réforme » (PDF), OFDT, octobre 2018.
Source : Monde-diplomatique.fr