Le parlementaire (LFI) de Seine-Saint-Denis compte construire avec les habitants une proposition de loi visant à «éradiquer le trafic de drogue», qui sera déposée en 2021. Parmi les mesures, la légalisation du cannabis sous contrôle d’État.
Par Anthony Lieures et Nathalie Revenu
Le 15 décembre 2020
C’est un débat qui commence à faire date, mais qui est régulièrement remis au menu, et le plus souvent par des élus des banlieues populaires, les plus touchées par les conséquences du trafic de drogue. Faut-il, oui ou non, légaliser le cannabis ? Le député (LFI) de la première circonscription de la Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, relance le débat. Il souhaite déposer en 2021 une proposition de loi construite avec les habitants, visant plus largement à « éradiquer le trafic de drogue ».
Sa démarche n’intervient pas n’importe quand. En septembre, deux jeunes habitants de sa circonscription, Sofiane Mjaiber, 25 ans, et Tidiane Bagayoko, 17 ans, sont morts sous les balles dans la cité Soubise, à Saint-Ouen. Tout l’été, des fusillades ont traumatisé la ville, en proie à une guerre de territoire.
Lors d’un conseil municipal extraordinaire sur la sécurité, en octobre, le député avait déjà évoqué la question de la légalisation.
« Ce qui pourrit le quotidien des gens dans nos quartiers… »
« Le premier fléau de départements comme le nôtre, c’est le trafic de drogue, explique le député. C’est le trafic qui pourrit le quotidien des gens dans nos quartiers. Certains n’osent plus entrer dans leurs cages d’escalier, n’osent pas parler… »
Pourtant, la crise du Covid-19 a engendré une diminution de la consommation de cannabis, et les routes internationales empruntées par le trafic ont également été perturbées. « L’offre s’est raréfiée, la demande également, mais c’est ce qui semble avoir créé des rivalités de marché, poursuit Éric Coquerel. Le trafic de drogue se plaque sur le modèle du capitalisme le plus sauvage. Sauf que là, ce ne sont pas des restructurations mais des conquêtes de territoire. Ce ne sont pas des licenciements mais des violences physiques. »
En engageant ce débat, le parlementaire compte aussi rappeler que l’essentiel de la manne financière engendrée par le trafic échappe largement aux jeunes habitants de ces quartiers. « D’après les spécialistes, on estime qu’un guetteur ou qu’un tout petit dealer gagne environ 100 euros par jour, rappelle-t-il. C’est un travail très précaire. Souvenez-vous, Macron disait : Il vaut mieux Uber que dealer. Mais en réalité, les dealers sont très ubérisés : c’est un travail précaire, dangereux et mal payé quand on regarde le nombre d’heures consacrées, dix ou douze heures d’affilée, le tout sans week-end… C’est souvent, pour eux, une illusion pour s’en sortir. »
Des débats sur Facebook
En légalisant le cannabis, le député ne croit pas que le trafic se déplacera vers d’autres substances. Elle reste, de très loin, la drogue la plus consommée en France. « On ne passe pas de consommateur de cannabis à consommateur de drogues dures comme cela, parce que quelqu’un déciderait de bouger le marché », estime-t-il. De même, il ne croit pas que la légalisation entraînerait une augmentation de la consommation, mais au contraire un « meilleur contrôle », notamment de sa qualité.
A partir de janvier, le député enchaînera des auditions publiques sur sa chaîne Facebook, avec des spécialistes mais aussi des habitants touchés par le trafic. Certaines se feront dans un cadre privé, pour préserver leur anonymat.
L’idée sera, ensuite, de déposer un projet de loi « transversal ». « La légalisation du cannabis n’est pas la seule solution. Il faudra être à la hauteur de l’enjeu, en associant mesures préventives et répressives », poursuit le député, qui compte déposer le projet avec des parlementaires de tous bords.
Les anciens maires de Saint-Ouen et de Sevran étaient déjà pour la légalisation
En Seine-Saint-Denis, élus de droite et de gauche se sont déjà engagés sur ce sujet ces dernières années. En 2016, alors maire (UDI) de Saint-Ouen, William Delannoy appelait à un débat national. « Est-ce qu’on est capable d’éradiquer le trafic avec une politique de répression? Si ce n’est pas le cas, si nous n’en avons pas les moyens, il faut chercher une autre méthode, expliquait-il. Personnellement, je suis pour la légalisation. »
En 2011, Stéphane Gatignon, à l’époque maire (EELV) de Sevran militait aussi en sa faveur dans l’ouvrage « Pour en finir avec les dealers » coécrit avec Serge Supersac, ancien flic de terrain en Seine-Saint-Denis.
Certains policiers ne voient d’ailleurs pas l’idée d’un mauvais œil, même s’ils doutent de sa réelle efficacité. « Si on légalise, ça n’aura pas un gros impact sur les flux de cannabis, sauf si la vente dans des commerces est autorisée, estime un policier bon connaisseur des réseaux de trafic de stupéfiants. Mais de toute façon, la criminalité va se déporter sur d’autres secteurs de l’économie souterraine, alimentés par des vols avec violences et des atteintes aux personnes. »
Selon le policier, les trafiquants se tourneront vers les drogues dures et d’autres trafics. Seul point réellement appréciable, cela épargnera « beaucoup de travail inutile » : « Le contrôle des consommateurs nous prend beaucoup trop de temps pour aboutir à un simple rappel à la loi. En ce sens, la mise en place d’un système d’amendes est une bonne chose. »
Source : Leparisien.fr