Député des Hauts-de-Seine de la majorité présidentielle, l’avocat Emmanuel Pellerin a consommé de la
cocaïne avant et après son élection à l’Assemblée en juin dernier, d’après une enquête de Mediapart.
Confronté à nos éléments, il a reconnu cet usage illégal. Saisie en septembre dernier, la justice n’avait
pourtant pas souhaité enquêter.
Peut-on siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale, en tant que membre d’une majorité au discours particulièrement répressif contre les drogues, tout en consommant soi-même des produits stupéfiants ? Le groupe Renaissance du président Emmanuel Macron va devoir répondre à cette question éminemment politique. Le député des Hauts-de-Seine Emmanuel Pellerin, qui entreprend son premier mandat au Parlement, a consommé et détenu des produits stupéfiants, notamment de la cocaïne, avant puis après son élection à l’Assemblée nationale en juin 2022, selon une enquête de Mediapart, basée sur des témoignages et documents (lire notre Boîte noire).
Selon la loi, l’usage de la cocaïne est en France un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
En rendez-vous avec Mediapart, Emmanuel Pellerin, avocat spécialisé en droit de la santé, a d’abord argué du fait qu’il avait consommé de la drogue – cannabis et cocaïne – à partir de juin 2020 mais s’était arrêté « concomitamment » à son entrée en politique fin 2021, « à quelques jours près ». Lors de l’entretien, le député a justifié cette consommation passée par des difficultés personnelles et familiales (que nous avons choisi de ne pas aborder par respect de la vie privée), en expliquant qu’il s’agissait de prises de drogues « occasionnelles », à l’occasion de dîners et de soirées.
À plusieurs reprises, Emmanuel Pellerin a insisté sur l’absence de toute consommation pendant ou après les élections législatives, au printemps dernier. « Les gens qui vous disent que je me suis drogué postérieurement à la campagne, c’est faux », a-t-il notamment affirmé. Et de répéter : « Je ne prends plus de drogue depuis ma campagne […] Je ne suis pas un élu de la République qui se drogue. »
Mais, confronté à nos éléments, le député a ensuite changé de version, reconnaissant avoir pris des substances après sa victoire au second tour des législatives, le 19 juin 2022. « J’ai repris de la drogue le week-end où on a fêté mon investiture au mois de juillet et après c’était terminé », a-t-il fini par admettre, affirmant avoir tout arrêté le « 23 juillet ».
« Est-ce que vous voulez que je vous dise que c’est mal ? Bien sûr, c’est mal ! », a ensuite lâché Emmanuel Pellerin. Il dit avoir commis la « plus grosse connerie de [sa] vie ». Mais tout, dans le ton de l’échange comme dans les justifications qu’il apporte, renvoie à cette question : parce qu’il gravite dans une forme d’élite politique et sociale, se pense-t-il autorisé à consommer de la cocaïne, et à en parler librement, en toute impunité, comme l’a d’ailleurs récemment montré l’affaire Bigorgne ?
La lutte contre les stupéfiants, l’autre grande cause du quinquennat
Issu de la « société civile », cet avocat de 52 ans, qui fut membre de la « commission affaires publiques » de l’Ordre des avocats de Paris en 2014, a fait une entrée inattendue sur la scène politique nationale en 2022 après avoir été adoubé par son prédécesseur et ami d’enfance, l’ex-député Thierry Solère, actuel conseiller du chef de l’État, multimis en examen dans une affaire de détournement de fonds publics et trafics d’influence présumés (lire notre enquête ici).
Craignant notamment d’être sanctionné par les électeurs à cause de ses affaires judiciaires, Thierry Solère a renoncé à se représenter au dernier moment, à la surprise générale, en imposant Emmanuel Pellerin, fils du promoteur immobilier Christian Pellerin, célèbre pour avoir construit le quartier de la Défense, comme successeur dans « sa » circonscription des Hauts-de-Seine, jugée imperdable par le parti présidentiel. Depuis, Emmanuel Pellerin siège au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Il a également été élu à la tête du groupe d’amitié entre la France et la Guinée équatoriale.
« Je connais plein d’endroits bourgeois où on consomme de la cocaïne. »
Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
Pour l’exécutif, la question de la drogue est un sujet prioritaire. En octobre 2022, Emmanuel Macron a même annoncé, dans une interview sur France 2, que la « lutte contre les stupéfiants » devait être l’un de ses « deux grands combats » des cinq années à venir, au même titre que la « lutte contre les violences faites aux femmes », qui était déjà la grande cause du quinquennat précédent.
Le sujet est également un moyen d’attaquer l’opposition. Régulièrement, le député Louis Boyard (La France insoumise) est critiqué pour avoir déclaré, en 2021, qu’il avait vendu du cannabis pour payer ses études. La députée Renaissance Prisca Thévenot, voisine de circonscription d’Emmanuel Pellerin, a ainsi taclé l’élu de gauche à la faveur du débat sur la réforme des retraites : « C’est Louis Boyard qui parle ? Celui qui préférait aller dealer plutôt que travailler ? », a-t-elle tweeté, samedi 21 janvier, en réponse à une interview de l’Insoumis.
L’autre voisin de circonscription d’Emmanuel Pellerin est le ministre des comptes publics, Gabriel Attal, aux positions également tranchées sur la question de la drogue. En avril 2021, interrogé en tant que porte-parole du gouvernement sur des déclarations d’Emmanuel Macron, qui avait pointé cinq ans plus tôt « l’intérêt » de la légalisation du cannabis, Gabriel Attal rejetait cette hypothèse sur France Inter en rappelant « que les trafics de drogue alimentent financièrement des réseaux responsables de crimes ».
La justice bien peu regardante sur un consommateur régulier
« La drogue, c’est de la merde, on ne va pas légaliser cette merde », a aussi coutume de dire Gérald Darmanin, refusant tout débat, y compris quand il est porté dans ses propres rangs, sur une légalisation de certaines substances. Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les images du ministre de l’intérieur annonçant le démantèlement de réseaux de drogue aux quatre coins du pays, souvent dans des quartiers défavorisés.
« Le premier responsable, c’est le consommateur. S’il n’y avait pas de consommateurs, il n’y aurait pas de trafics », a dénoncé le premier flic de France, sur le plateau de France 3 Provence-Alpes, en juin dernier, à l’occasion d’une visite à Marseille.
Un an plus tôt, Gérald Darmanin tenait sensiblement le même discours, sur BFMTV, en effleurant cette fois le sujet de la consommation de drogues dans les milieux aisés. « Je connais plein d’endroits bourgeois où on consomme du cannabis, où on consomme de la cocaïne. […] On se dit : “Pourquoi c’est le bordel à Marseille ?”, “pourquoi c’est difficile en région parisienne ?”. Les personnes qui sont de catégories sociales plus élevées font vivre ce trafic parfois », expliquait-il ainsi. Dans la même émission, le ministre indiquait avoir demandé au préfet de police de Paris et au directeur de la police nationale qu’ils mènent « aussi des contrôles contre la drogue dans les beaux quartiers pour éviter cette consommation ».
Que reste-t-il de cette déclaration d’intention ? Bien peu de choses dans le cas du député Emmanuel Pellerin. Alors même que des éléments avaient été transmis à la police et à la justice.
Une enquête judiciaire a en effet été ouverte par le parquet de Nanterre le 9 septembre 2022, sur la base notamment de déclarations du fils d’Emmanuel Pellerin, âgé de 11 ans, racontant que son père – élu à l’Assemblée nationale, donc – lui avait présenté, fin juillet, une boîte contenant des produits stupéfiants. Destinataire des déclarations de l’enfant, sa psychologue avait transmis une « information préoccupante » (dispositif d’alerte pour un mineur en danger) exposant cette situation.
« La psychologue m’a reçu pour m’informer qu’elle faisait un signalement, sans prendre en compte mes explications », dénonce Emmanuel Pellerin à Mediapart, dénigrant au passage le travail de cette « jeune psy ». Le député semble ignorer que la psychologue en question a justement travaillé, avant de s’installer en libéral, auprès d’un tribunal…
« Emmanuel Pellerin en février 2022 lors d’une soirée. Sur ses genoux, un plateau pour consommer de la cocaïne. © Document Mediapart »
ICI FIGURAIENT LES CLICHÉS DE M. EMMANUEL PELLERIN, EN PLEINE SÉANCE DE PRISE DE COCAÏNE. À LA DEMANDE MENAÇANTE DE SON AVOCAT, NOUS AVONS DU LES RETIRER DANS LE CADRE DE LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE. CELA NE RETIRE EN RIEN LES FAITS DÉCRITS DANS L’ARTICLE
Sur l’événement de la fin juillet, il précise qu’il a montré la boîte de produits stupéfiants à son enfant pour la détruire devant lui. « Brûler cette boîte devant lui, c’est symbolique, c’est dire : “C’est terminé, c’est le passé” », justifiet-il, en expliquant avoir voulu être « transparent » avec lui. « J’ai dit : “Tu vois, c’est la boîte dans laquelle il y avait de
la drogue.” » Que contenait réellement cette boîte le jour où son fils l’a vue ? « Il ne restait rien du tout, affirme Emmanuel Pellerin. Il y avait juste tous les trucs nécessaires pour se droguer. »
Le député en convient : « C’est peut-être une maladresse de ma part. » Mais il déplore surtout les proportions prises par cette histoire, avec la crainte de perdre la garde de l’enfant.
La mère du garçon, divorcée d’Emmanuel Pellerin, a également témoigné dans l’enquête, en indiquant sur procès verbal qu’elle disposait d’un échange de SMS dans lequel son ex-mari confirmait les faits. Sollicitée par l’intermédiaire de son avocate, M Julia Courvoisier, elle n’a pas souhaité nous répondre. Des mains courantes de voisins ont également été versées à la procédure. La psychologue n’a quant à elle pas été entendue, son signalement étant « suffisamment complet » aux yeux du parquet.
Le député n’a même pas été auditionné dans l’enquête
Le procureur de la République de Nanterre a toutefois décidé de classer l’enquête dès le 26 septembre, deux semaines après son ouverture, en considérant que « les éléments constitutifs d’une infraction pénale ne sont pas apparus comme établis ». Les enquêteurs ont considéré que la « provocation à l’usage de produits stupéfiants » réclame un « acte positif » que le dossier ne contenait pas.
Surtout, une particularité interroge dans le déroulé de l’enquête, conduite par la brigade territoriale de protection de la famille (BPF) des Hauts-de-Seine : le député mis en cause n’a même pas été auditionné. Questionné, le parquet de Nanterre n’a pas répondu sur cette absence.
Dans le prolongement de cette enquête classée, Mediapart a réuni des témoignages et documents attestant de la consommation de cocaïne d’Emmanuel Pellerin, et de l’existence de cette boîte contenant les produits, boîte qu’il a conservée après son élection à la députation.
Mais la justice n’a pas fait le choix d’aller sur ce terrain de la consommation du député, alors même que plusieurs éléments en procédure suggéraient un usage régulier.
Dans d’autres cas pourtant, la justice se montre beaucoup moins indulgente. Exemple en décembre 2022, quand le même parquet de Nanterre a décidé de placer en garde à vue, pendant près de 24 heures, Haiten, un jeune de 17 ans, contrôlé dans un quartier de Suresnes, pour « usage de stupéfiant ». Il avait en sa possession 0,55 gramme de cannabis. Contrôlé avec 3,25 grammes de shit, dans une cité de Clichy, Sofiane, 34 ans, sans profession, a lui écopé d’un rappel à la loi, décidé par le parquet de Nanterre également, en janvier 2021.
Questionné sur cette impression de « deux poids et deux mesures », Emmanuel Pellerin se veut philosophe : « Si on m’avait gaulé, j’aurais eu un rappel à la loi, et je me serais peut-être tout de suite arrêté d’ailleurs. »
Boîte noire
Notre enquête se base sur des témoignages et documents recueillis ces derniers mois. Nous avons échangé avec Emmanuel Pellerin, mardi 24 janvier. L’entretien a duré plus de deux heures. Face à nos questions relatives à la cohérence entre son appartenance à une majorité au discours particulièrement répressif sur l’usage de produits stupéfiants et sa propre consommation, le député a évoqué en détail l’évolution de sa situation personnelle et familiale ces dernières années. Nous avons fait le choix de ne pas évoquer ces éléments, par respect pour la vie privée.