Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a annoncé mardi la création d’un nouvel organisme, baptisé Ofast. La police nationale garde la main sur le dispositif.
Par Nicolas Chapuis
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Le nom est autant un clin d’œil qu’un pari. Christophe Castaner a annoncé mardi 17 septembre, lors d’un déplacement à Marseille, la création du nouvel organisme chargé de coordonner la lutte contre les trafics de drogue, baptisé Ofast. L’acronyme est à la fois la contraction d’« Office antistupéfiants » et une référence indirecte aux « go-fast », ces livraisons transfrontalières de marchandises à l’aide de grosses cylindrées, prisées par les réseaux criminels.
Les forces de l’ordre seront-elles capables de s’adapter à la vitesse à laquelle évoluent aujourd’hui les trafics de drogues ? C’est l’enjeu du plan « stup », qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux depuis mai 2018, et qui a été décliné par le ministre de l’intérieur en 55 mesures, mardi. Le défi paraît colossal face à « la menace mère », comme la qualifie Christophe Castaner, qui représente aujourd’hui en France, selon les autorités, un chiffre d’affaires d’environ 3,5 milliards d’euros par an et un « coût social » estimé à 8 milliards d’euros. Sans compter les nombreuses infractions et violences en tous genres que génèrent les luttes pour le contrôle du trafic.
En devenant l’unique chef de file de la lutte antidrogue, l’Ofast doit permettre de dépasser les querelles de chapelle entre les différents acteurs, que ce soit la direction centrale de la police judiciaire, les douanes, les gendarmes, les magistrats des juridictions interrégionales spécialisées ou encore les militaires. Cette nouvelle entité prendra, le 1er janvier 2020, la succession de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), dissous après soixante-six ans de bons et (dé)loyaux services. Ces dernières années ont été entachées par de nombreuses polémiques sur les pratiques de ses agents, en particulier sur la gestion des indics et des livraisons surveillées, ces importations de marchandises réalisées sous l’œil des forces de l’ordre. L’ancien patron de l’Ocrtis, François Thierry, a même été mis en examen pour « complicité de trafic de stupéfiants » après avoir été épinglé en 2015.
Réconciliation entre ministères
Malgré ces scandales, la police nationale garde néanmoins la haute main sur le dispositif, en plaçant la contrôleuse générale Stéphanie Cherbonnier à la tête de l’Ofast. Les magistrats obtiennent le poste d’adjoint, avec la nomination de Samuel Vuelta Simon, jusque-là procureur de Bayonne – une part importante des trafics se font aujourd’hui en provenance de l’Espagne. Le symbole est fort : il est censé marquer la réconciliation entre le ministère de l’intérieur et de la justice sur ces thématiques – Christophe Castaner et Nicole Belloubet ont d’ailleurs fait le voyage ensemble à Marseille, en compagnie également de Laurent Nunez, le secrétaire d’État, et Gérald Darmanin, le ministre des comptes publics.
Les différents services devront travailler ensemble sur le terrain, dans le cadre des Cross, les cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants, dont Le Monde avait annoncé la création en juin. Ce dispositif expérimenté à Marseille depuis 2015 doit permettre un meilleur partage de l’information. Le plan stups doit également s’articuler avec la police de sécurité du quotidien lancée en 2018 pour rapprocher les forces de l’ordre de la population. Une plate-forme permettant de signaler anonymement les points de vente sera mise en place. Des mesures d’éloignement pour les personnes condamnées doivent permettre de libérer certaines zones du joug de la drogue. « Il y a des quartiers où 100 % de l’économie réelle repose sur le trafic de stupéfiants, où la mère de famille fait ses courses en liquide avec l’argent qui en découle », explique un haut gradé.
Face à l’ampleur de la tâche, les fonctionnaires ne se font d’ailleurs pas trop d’illusion. « Rien ne permettra d’envisager un jour qu’il n’y ait plus de trafic de stupéfiants, il n’y a pas de recette miracle, mais la clé réside dans notre capacité à travailler tous ensemble », explique un membre de la police judiciaire, un brin fataliste. L’urgence semble réelle tant les indicateurs sont au rouge : prix bas, produits dont la pureté augmente, consommation qui s’étend… « On n’a jamais autant arrêté de trafiquants et il n’y a jamais eu autant de production », explique le même agent, qui résume modestement la mission de la police : « On doit être des empêcheurs de tourner en rond. » Seule petite source de satisfaction : les règlements de comptes sont en légère baisse, même s’ils s’étendent à des zones qui n’étaient jusque-là pas touchées. « Nous avons des difficultés liées à la dispersion des trafics, qui ont perfusé dans la profondeur des territoires », estime un haut gradé de la gendarmerie.
Depuis plusieurs années, les forces de l’ordre observent les évolutions inquiétantes de ce trafic, qui s’adapte notamment aux nouvelles technologies et diversifie ses méthodes, avec des circuits de blanchiment parfois très complexes. Une des approches nouvelles de ces dernières années consiste d’ailleurs à « taper au portefeuille », en s’en prenant aux collecteurs de fonds qui font sortir l’argent du pays. Des réseaux internationaux qui nécessitent une plus grande coopération avec nos voisins. « On a tendance à être pessimiste ici, mais les constats qu’on fait en France sont partagés par tous nos partenaires d’Europol », lâche un haut fonctionnaire. Se comparer pour se rassurer, l’espace d’un instant.
Un trafic international
Le cannabis représente aujourd’hui encore la majorité des importations (55 %) en France, selon les données de la direction centrale de la police judiciaire. Le principal producteur demeure le Maroc. La cocaïne (35 %) provient majoritairement de Colombie, du Pérou et de Bolivie. Le phénomène des mules, qui importent in corpore ou dans leurs bagages la drogue depuis la Guyane, demeure prégnant. Quant à l’héroïne (8 % des trafics en France), elle est essentiellement issue d’Afghanistan (87 % de la production mondiale) et transite par la Turquie et la route des Balkans.
Source : Le Monde