Des règlements de compte entre bandes rivales ensanglantent la ville depuis une douzaine d’années.
Par Simon Piel et Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Publié le 16/12/20
Les faits datent du 10 novembre, en milieu de matinée, à l’heure où la cité Bassens vit encore tranquillement avant l’ouverture du « drive », l’un des plus importants points de vente de drogue de Marseille. Depuis un véhicule circulant lentement, des hommes vêtus de noir et cagoulés tirent à quarante reprises, en l’air mais pas seulement : un lycéen de 18 ans est touché à l’épaule.
Aussitôt pris en chasse par une patrouille de police secours présente dans le secteur, les occupants du véhicule ouvrent le feu sur les fonctionnaires qui les pourchassent sur plusieurs kilomètres. Le RAID les arrêtera deux heures plus tard, dans une villa isolée de Gignac-la-Nerthe (Bouches-du-Rhône) : quatre hommes âgés de 20 à 25 ans.
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D’autres cités marseillaises, comme la Busserine ou la Bricarde, ont connu ce type d’intimidations, en plein jour. Mais il est rarement arrivé que de si jeunes gens s’en prennent aux forces de l’ordre. Dans le réquisitoire qui a conduit à leur incarcération, le parquet de Marseille évoque « l’écho extraordinaire de ces faits dignes de figurer dans les annales policières ».
15 millions d’euros mensuels
Ces coups de force de plus en plus décomplexés composent, avec les règlements de comptes, la partie émergée des guerres de territoire entre bandes rivales dans l’agglomération marseillaise. Les chiffres donnent la mesure du phénomène. Depuis 2016, la police judiciaire (PJ) a déjoué vingt-quatre règlements de comptes, parfois juste avant le passage à l’acte. En moyenne, le bilan annuel des victimes s’élève tout de même à une vingtaine de morts.
Deux hommes doivent ainsi comparaître du 12 au 15 janvier devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, accusés de l’exécution, le 18 novembre 2016, d’un adolescent de 15 ans, très modeste « employé » d’un réseau de cité. Les mains ligotées, à genoux, il a été tué d’un tir dans le thorax et d’un second dans la tête une fois au sol, avant que son corps ne soit incendié.
Si la police continue de multiplier les offensives – 91 réseaux démantelés et 209 personnes écrouées en 2019 –, elle semble vider la mer avec une petite cuillère.
Le commerce de la drogue, que ce soit au détail – au bas des immeubles, dans des dizaines de cités marseillaises – ou en gros via des go-fast, ces convois chargés d’acheminer le cannabis par dizaines de kilos depuis l’Espagne, génère toujours plus d’argent. Le Sirasco, service d’analyse de la PJ, estime à 15 millions d’euros le chiffre d’affaires mensuel du trafic de drogue à Marseille.
Ces cinq dernières années, 10 tonnes de cannabis et 950 kilos de cocaïne ont été saisis dans le département des Bouches-du-Rhône. Si la police continue de multiplier les offensives – 91 réseaux démantelés et 209 personnes écrouées en 2019 –, elle semble vider la mer avec une petite cuillère. Les magistrats, eux, jugent à tour de bras ces affaires où les réseaux renaissent à peine interrompus. En presque dix ans, ce sont 8 500 personnes qui ont été mises en cause, dont 3 500 incarcérées.
« Un conflit à mort »
Rompus à la clandestinité, les trafiquants utilisent les nouvelles technologies pour communiquer discrètement ou élaborer des règlements de comptes. Depuis une douzaine d’années, beaucoup d’entre eux sont entrés dans un engrenage de vendetta, de haine et d’extermination. Deux clans rivaux se livrent ainsi « un conflit à mort », selon les termes d’un procureur de Marseille. D’après les enquêteurs, il y a d’un côté Mohamed Djeha (cité de la Castellane), associé aux Boughanemi ; et de l’autre les frères Djouhoud.
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A la cité Font-Vert, deux autres familles s’affrontent : les Tir et les Remadnia. Bilan : une vingtaine de morts depuis 2010. Hichem Tir, qui doit prochainement être jugé en appel après avoir été condamné, en octobre 2019, à quinze ans de prison pour complicité de meurtre en bande organisée et qui conteste les faits, avait expliqué en garde à vue, à propos de la victime, membre de la famille Remadnia : « J’en avais après lui, il venait de tuer mon frère, donc je ne vous cache pas que si j’avais su où il était, je serais descendu à Marseille car j’étais très remonté contre lui. Je ne dis pas que je n’avais pas envie de le tuer, j’aurais même aimé participer à cela, je venais de perdre mon frère, je venais de perdre ma vie, j’aurais pu le tuer. »
Simon Piel et Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Source : Lemonde.fr