La députée Renaissance veut légaliser le cannabis médical et souhaite ouvrir le débat sur la marijuana récréative.
Le dieu Jah, figure tutélaire des rastafaris et des amoureux de la ganja, se serait-il penché au-dessus de la place 353 de l’Hémicycle pour y désigner sa prochaine disciple ? Depuis trois ans, la députée de la deuxième circonscription du Loiret, Caroline Janvier, fait figure d’experte reconnue en ce qui concerne la plante séculaire. Laquelle serait pourtant responsable de la majorité des maux du pays, si on écoute radio Place Beauvau. Rare élue de la majorité à se positionner en faveur de la marie-jeanne, soucieuse aussi de promouvoir le cannabis thérapeutique, la députée a sa liberté de pensée. Elle mélange positions libertaires et convictions plus autoritaires comme quand elle souhaite freiner l’usage des écrans chez les enfants. Elle peut aussi bien être favorable au voile pour les mères accompagnant les sorties scolaires que refuser l’aide médicalisée à mourir, préférant s’en tenir à l’actuelle loi Claeys-Leonetti.
Le rendez-vous est pris un mardi ensoleillé d’automne, à la brasserie le Bourbon, immuable lieu de rendez-vous entre journalistes et politiques. Le patron a l’habitude. On ne sera pas dérangé, ni abreuvé. Au sous-sol, la députée du Loiret est déjà présente, seule au milieu d’une rangée de tables. Devant l’objectif, elle se concentre pour la photo, pose, sourit. Rodée. Veste de costume noire passée sur un haut gris, Caroline Janvier, 40 ans, a un regard perçant. Les cheveux châtains qui tombent sur les épaules, elle fixe droit dans l’œil, répond aux questions d’une manière cadrée, réfléchie, pendant que le photographe de Libé s’affaire à disposer spots et réflecteurs en tout genre.
Réélue en juin dernier, la députée a dans le viseur l’usage des écrans chez les plus jeunes. Mère de trois enfants, elle prend pour exemple son expérience personnelle. D’emblée, elle martèle des chiffres : «Une exposition trop importante, c’est six fois plus de risques de troubles primaires du langage.» Elle construit sa loi avec l’aide des internautes. Elle a déjà reçu plus de 2 000 contributions. Il s’agit pour elle d’œuvrer pour la santé publique et de protéger la jeunesse. De la tablette à la fumette, elle estime être dans le même registre lorsqu’elle prône la légalisation contrôlée du cannabis : «On a des ados laissés à l’abandon, qui consomment des substances bien plus dangereuses que si le marché était encadré.»
La première fois qu’on a rencontré Caroline Janvier, c’était un après-midi de mai 2021, dans une salle de conférences de l’Assemblée nationale. A l’ordre du jour déjà, la légalisation du cannabis… Le contexte était alors plus favorable aux multiples usages du chanvre qu’aujourd’hui. Face à un parterre de journalistes, de parlementaires curieux et de professionnels de la santé, la quadragénaire présentait d’une voix forte et limpide, accompagné de ses collègues de la Creuse Jean-Baptiste Moreau et de la Moselle, Ludovic Mendes, le fruit de centaines d’auditions.
Condensé sous le bras de Janvier, le tout tenait dans un rapport de 281 pages censé démontrer l’inefficacité de la prohibition et délivrer les clés pour penser la régulation contrôlée du cannabis en France. Comme Robin Réda, le député LR de l’Essonne, ou encore Eric Coquerel, député Nupes de la Seine-Saint-Denis et de nombreux maires du pays, Caroline Janvier milite pour la légalisation de la plante. On sentait alors les élus combatifs, emplis d’espoir, prêts à «faire tomber les dogmes et à briser le tabou». Plus d’un an plus tard, toute raison d’y croire semble partie en fumée. Le rapport a fini dans un tiroir. Le précieux Jean-Baptiste Moreau, non réélu, est retourné à ses champs et à ses vaches. Et malgré l’Allemagne qui prépare sa légalisation et réfléchit à tirer le meilleur profit de l’or vert, la France a entamé son virage vers le tout répressif.
L’intérêt de Caroline Janvier pour la question ne date pas d’hier. «Ça fait partie des sujets que je considère comme des angles morts pour lesquels j’ai le sentiment qu’il n’y a pas de courage politique, tacle la députée. Pour le cannabis, l’Etat dépense un milliard d’euros par an dans la prohibition. Les infractions liées à l’herbe représentent plus d’un million d’heures de travail», police et justice confondues. «Et ça n’empêche pas de générer de la criminalité et de l’insécurité», remarque-t-elle. Celle qui confesse avoir déjà fumé dans sa jeunesse passée à Tours réprouve une politique répressive qui vise toujours plus «le consommateur» que les trafics et dénonce «cinquante années» à persévérer dans une même approche nocive, «avec les résultats qu’on connaît». Une consultation citoyenne qu’elle a initiée a récolté plus de 250 000 réponses, de quoi montrer que le sujet «intéresse». Elle en est sûre : «Au cours des cinq ans, on va forcément en reparler, et ce débat, on l’aura !» Même si elle admet qu’il n’y a pas une majorité de députés prêts à voter la légalisation.
Son attention, elle l’a reportée sur le volet médical du chanvre. Malgré le refus de son amendement qui demandait une généralisation de l’expérimentation commencée en 2020, celle qui pointe le revirement d’Emmanuel Macron autour de la question ne perd pas espoir. Avant la politique, pour Caroline Janvier, il y a eu le monde associatif, trois ans passés au Kenya où elle rencontre son mari, ingénieur agronome et père de ses trois enfants. Née à Nantes, elle et ses cinq sœurs sont élevées par un père pédiatre et une mère psychologue qui sont toujours en exercice, dans l’Aveyron. Petite, elle dévore des livres. Elle a un faible pour les Frères Karamazov, le premier Dostoïevski qu’elle achève, «un livre extraordinaire, qui reste, selon moi, son meilleur». L’auteur est pour elle «un monument» de la littérature.
Sa troisième année d’études à Sciences-Po Paris, elle la passe à l’université d’Etat de Moscou. Elle y rencontre «des amis», y retourne deux fois avec Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine et préside pendant cinq ans le groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée nationale, dissous suite à l’invasion russe en Ukraine. «Une situation terrible. Terrible pour les Ukrainiens. La Russie est un pays qui s’effondre», souffle la députée, le regard dans le vague. A Moscou, elle a gardé des liens datant de ses années étudiantes, des contacts devenus des proches. «Le peuple russe va être isolé de manière durable à cause des choix d’un dirigeant qui a vrillé», souffle-t-elle dans une bouffée de cigarette électronique, avant de revenir à la littérature. Dans un grand nuage de fumée, on préfère la voir sourire quand on disserte avec elle des frasques de Fiodor Pavlovitch et de la bonté d’Aliocha, plutôt que d’anticiper les prochaines frasques de l’autocrate du Kremlin.
9 mars 1982 Naissance à Nantes (Loire-Atlantique).
18 juin 2017 Députée du Loiret.
5 mai 2021 Présentation du rapport sur les différents usages du cannabis.
https://www2.assemblee-nationa
22 février 2022 Proposition de loi pour encadrer les écrans.
https://www.assemblee-national