Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, entend démanteler les lieux de trafic de stupéfiants avec le concours d’un système d’alerte par les riverains. Cette initiative doit s’accompagner de moyens adaptés, insistent les syndicats.
Par Louise Couvelaire
Publié le 22 décembre 2020
Trois mille neuf cent cinquante-deux, c’est le nombre de points de vente de stupéfiants recensés en France métropolitaine et en outre-mer, a annoncé, dimanche 20 décembre sur Twitter, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Impossible de savoir si ce chiffre est exorbitant ou non, car il s’agit du premier recensement du genre. Dans les colonnes du Parisien, lundi, le locataire de la place Beauvau a par ailleurs fait part de sa volonté de créer une plate-forme, qui sera opérationnelle d’ici à la fin de l’année 2021, afin de permettre aux habitants de signaler les nouveaux lieux de deal.
Cette cartographie est la première traduction concrète des travaux des cellules départementales du renseignement opérationnel sur les stupéfiants, expérimentées à partir de 2015 à Marseille et généralisées dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants dévoilé en septembre 2019. Elles sont au nombre de 103 aujourd’hui. Leur objectif ? Mieux collecter, recouper, partager et analyser les informations relatives au trafic en réunissant les différents partenaires : police nationale et municipale, gendarmerie, douanes, police aux frontières, bailleurs… « L’objectif est de procéder à des démantèlements définitifs de lieux de deal et de libérer les espaces publics de leur emprise invivable pour les habitants », insiste-t-on place Beauvau.
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Un point de deal est défini par le ministère comme un lieu sur la voie publique où des trafiquants sont implantés et vendent quotidiennement des produits stupéfiants. Les départements qui comptent le plus de lieux de vente sont la Seine-Saint-Denis (276), le Rhône (255) et le Nord (251).
Avec 34 lieux de vente de drogue pour 100 000 habitants, la Guadeloupe est le département où la densité de points de deal est la plus importante.
Si les services de police ou de gendarmerie savent le plus souvent parfaitement où se situent les lieux de vente, en revanche, ils peuvent avoir un petit train de retard lorsqu’un nouveau point de vente s’installe. « Avec la plate-forme, notre but est de pouvoir identifier au plus vite la réinstallation d’un point de vente après un démantèlement pour pouvoir harceler les vendeurs, les prendre à la gorge et les étouffer avant même qu’ils aient pu reprendre des habitudes », explique-t-on au ministère de l’intérieur.
« Faire gonfler les camemberts »
La création de plates-formes est devenue une véritable marotte gouvernementale. Canicule, punaises de lit, suicides dans la police, étudiants précaires, prélèvement à la source, chevaux mutilés, confinement, personnes handicapées, discriminations… Une question, un numéro vert. « Une plate-forme pour signaler les points de deal n’a de sens que s’il y a les moyens humains et financiers pour les traiter, fait remarquer Thierry Clair, secrétaire général adjoint du syndicat de police UNSA. Les services de police et de gendarmerie sont déjà submergés de signalements émanant de gardiens d’immeubles, de policiers en patrouille, des petits indics… et ils n’ont déjà pas le temps ni les effectifs pour y donner systématiquement suite. S’il y a une plate-forme, il doit y avoir une réponse. »
En attendant sa mise en place, en 2021, les résidents sont appelés à remplir un formulaire de signalement mis à disposition sur les sites de la police nationale (Moncommissariat.fr) et de la gendarmerie (brigade numérique).
Aux yeux de nombre de policiers et de syndicats, ce recensement des points de deal vient confirmer leur crainte : Gérald Darmanin réinstaure la politique du chiffre. Au-delà de la communication des chiffres relatifs aux saisies et aux interpellations, le ministère veut ajouter celui des démantèlements. « On connaît les effets catastrophiques d’une telle politique : cela disperse les services, multiplie les petites affaires et les petites interpellations au détriment du travail de fond pour répondre aux exigences statistiques et faire gonfler les camemberts », rappelle Thierry Clair. Place Beauvau, on met en avant « une démarche de transparence » destinée à mesurer l’impact des politiques publiques.
Louise Couvelaire
Source : Lemonde.fr