Des députés et maires LR soutiennent aussi la légalisation du chanvre récréatif, à rebours des leaders de leur parti. Un moyen selon eux de casser le trafic, dans un but sécuritaire.
Si un doute lui vient, Boris Ravignon s’ausculte et se rassure : « Clairement, je suis de droite. » Le maire Les Républicains (LR) de Charleville-Mézières, préfecture des Ardennes, l’atteste sur l’honneur : « Je n’ai pas de problème avec ça. Dans ma ville, j’ai installé près de 80 caméras de vidéosurveillance, j’ai doublé les effectifs de la police municipale. Le mot « incivilité », je ne l’utilise jamais, car il y a toujours quelque chose de plus grave en germe. » Ce qui le distingue de son camp, l’élu de 44 ans l’énonce en peu de mots : « La légalisation de la consommation récréative de cannabis est possible et souhaitable. »
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Le penser n’a rien d’évident, le dire encore moins. Bien tolérée à gauche, consensuelle chez les écologistes, l’idée est encore taboue à droite. Dans le parti de Boris Ravignon, l’intransigeance prévaut vis-à-vis des trafiquants comme des consommateurs. Voir les choses autrement y passe au mieux pour un aveu de faiblesse, au pire pour une suspecte complaisance. Du reste, telle est aussi l’attitude de l’exécutif : celui-ci vient de substituer une amende forfaitaire aux poursuites contre les usagers, mais le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a fermement exclu de « légaliser cette merde ».
A droite, pourtant, un petit groupe y songe. Trentenaires ou quadras, leur notoriété est surtout locale. De sensibilité modérée, ils ont parfois pris leurs distances avec LR. Mais cette situation est aussi un gage de liberté : « J’ai un statut de débutant qui me permet de poser le débat sans être trop exposé », explique le député Robin Reda, ex-maire de Juvisy-sur-Orge (Essonne), qui a quitté Les Républicains mais reste membre du groupe à l’Assemblée. L’élu de 29 ans préside actuellement une mission d’information parlementaire sur le cannabis. « Cela fait des années qu’on a la politique la plus sévère d’Europe et l’un des niveaux de consommation les plus élevés », constate-t-il, convaincu que le débat, « à terme, ne sera pas « pour ou contre la légalisation ? » mais « quelle légalisation voulons-nous ? » »
Comme lui, le maire divers droite de Ploemeur (Morbihan), Ronan Loas, 38 ans, juge que « la politique répressive n’a plus aucune efficacité ». Pour son collègue LR de Châteauroux (Indre), Gil Avérous, 47 ans, elle alimente « une économie souterraine qui va contre toutes nos valeurs de travail et de mérite ». Quant au maire LR de Reims, Arnaud Robinet, 45 ans, il a proposé au Premier ministre, Jean Castex, d’expérimenter dans sa ville une légalisation du cannabis. D’autres, assure-t-on, n’en penseraient pas moins, sans oser l’exprimer.
« Massif »
Ces élus se défendent de tout angélisme. Leur souci, insistent-ils, n’est pas la jouissance privée, mais la sécurité et la santé publiques. « Dans ma ville de 48 000 habitants, vous avez deux ou trois quartiers où le trafic est une évidence, raconte Boris Ravignon. Avec les types qui planquent en bagnole du matin au soir, talkies-walkies en main, les personnes âgées en difficulté utilisées comme « nourrices » [planques, ndlr], les gamins qui prennent des billets pour la « chouffe » [la surveillance]. Comment résister, quand on grandit dans un quartier pauvre et que l’argent semble tomber tout seul ? » Tous constatent aussi l’ampleur d’une consommation prétendument hors-la-loi. « C’est massif », résume Ronan Loas. Sa petite commune littorale est peu touchée par le trafic, « mais l’été, quand on se promène sur la plage, on sent bien qu’il n’y a pas que du tabac ». Et pour l’élu breton, « on refait le Chicago des années 20, avec des gens qui produisent chez eux ou consomment des saloperies ».
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Certains sont convaincus de longue date de la nécessité d’une légalisation, d’autres ont changé de pied à l’épreuve du terrain. « Quand j’étais député [entre 2008 et 2017], j’étais clairement sur une position idéologique, celle de mon groupe, reconnaît Arnaud Robinet. Puis, comme maire de Reims, j’ai vu les effets du trafic dans les quartiers. » Une expérience similaire à celle de Boris Ravignon, à Charleville : « Ce qui a compté, c’est la lecture des comptes rendus de police, qui parlent de gamins de 11 ou 12 ans les poches pleines de billets de 20 euros. C’est une corruption profonde des cœurs et des âmes. L’échec de la prohibition, je n’en parle pas tranquillement dans un bureau : je l’ai sous les yeux depuis 2014. »
Il ne sera pourtant pas simple, reconnaissent-ils, d’entraîner leur camp sur le même chemin. « Ma proposition a choqué des membres de la majorité municipale et des électeurs, même si certains ont évolué, rapporte Robinet. Dans les meetings, je serai moins applaudi que [la très répressive] Nadine Morano. Mais j’aimerais bien connaître ses arguments, au-delà de « la drogue, c’est mal ». »
« Symbole »
Pour défendre leur cause, ces élus se placent sur un terrain prisé des sympathisants de droite : celui de la morale et de l’autorité publique. « Ce qui va contre nos valeurs, ce n’est pas la légalisation, insiste Gil Avérous. C’est que de jeunes trafiquants ne respectent pas nos règles, manient des dizaines de milliers d’euros, roulent en grosses bagnoles et règlent leurs comptes au revolver. C’est ça qui va contre le travail et le mérite. » Robin Reda tient, lui, à distinguer « deux voies : la légalisation de gauche, libérale-libertaire, qui laisse chacun produire et consommer sans aucun contrôle ; et la nôtre, une légalisation sécuritaire, avec contrôle de toute la chaîne, de la production à la distribution ». Avec stricte réglementation de la culture, contrôle des commerces, suivi des consommateurs… et taxation du produit, au bénéfice d’une politique de prévention et d’accompagnement.
Pas de quoi convaincre leur camp. « Dans toute mesure, il y a 50 % d’opérationnel et 50 % de symbolique, juge le secrétaire général de LR, Aurélien Pradié. Même si la légalisation fonctionnait sur le plan opérationnel, ce qui reste à démontrer, il resterait le symbole, le message envoyé à la société. » Pour le député LR Julien Aubert, légaliser « revient à dire que, si les gens ne respectent pas les panneaux stop, on peut les enlever pour « libérer » les forces de police ». Position « idéologique », rétorquent les élus, qui songent à s’organiser en réseau et brandissent la réalité du terrain : « Si vous nous enlevez le trafic de drogue, vous nous enlevez la moitié de nos problèmes. »
Source : Libération.fr