La légalisation du cannabis au Canada en 2018 a marqué un tournant dans la manière dont la société canadienne aborde cette substance. L’impact de cette décision sur la consommation de cannabis et la société en général a suscité de nombreuses discussions et débats. À cet égard, une récente étude de la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal a révélé des données fascinantes concernant la consommation de cannabis dans cette grande métropole québécoise depuis sa légalisation. Près d’un Montréalais sur quatre consomme du cannabis, selon ce rapport publié deux jours après le troisième anniversaire de la légalisation.
L’évolution de la consommation
En 2018, l’année de la légalisation, 17 % des Montréalais avaient affirmé avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente. Cette proportion a augmenté de manière significative pour atteindre 23 % en 2022. Cependant, cette augmentation n’a pas été uniforme. Elle a été principalement marquée chez les adultes de plus de 35 ans, tandis que la consommation chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est restée stable. De plus, la fréquence de consommation, qu’il s’agisse d’une consommation quotidienne, régulière, ou occasionnelle, n’a pas montré de changement substantiel au cours de cette période.
Diversification des modes de consommation
Les données de la DRSP de Montréal révèlent également une diversification des modes de consommation depuis la légalisation. Alors que fumer le cannabis demeure la méthode la plus populaire, cette tendance a connu une diminution, passant de 93 % en 2018 à 80 % en 2022. La consommation par voie orale, sous forme de produits comestibles, est devenue la deuxième méthode la plus populaire, choisie par 36 % des Montréalais en 2022, un chiffre similaire à celui de 2018 (38 %).
L’enquête met également en lumière une augmentation significative de la consommation de cannabis par gouttes orales (de 17 % en 2019 à 34 % en 2022), de boissons infusées au cannabis (de 6 % en 2018 à 21 % en 2022) et de capsules (de 5 % en 2018 à 17 % en 2022). En revanche, la consommation de cannabis par vaporisation ou à l’aide d’une vapoteuse n’a pas montré de changement significatif.
Un transfert du marché illégal au marché légal
Une évolution intéressante révélée par les données de la DRSP de Montréal est le transfert rapide des consommateurs du marché illégal vers le marché légal. En 2018, 28 % des consommateurs se procuraient leur cannabis sur le marché illicite. En 2022, cette proportion a chuté à seulement 7 %. Cette diminution significative s’accompagne d’une hausse notable des achats de cannabis à la Société québécoise du cannabis, passant de 46 % en 2019 à 68 % en 2022.
En 2022, 14 % des Montréalais achetaient du cannabis auprès de détaillants officiels d’autres provinces, tandis que 44 % se procuraient leur cannabis auprès de leur famille, d’amis ou de connaissances. Cela suggère que les Canadiens préfèrent de plus en plus se tourner vers des sources légales et réglementées pour leur approvisionnement en cannabis.
Acceptabilité sociale et préoccupations pour la santé
L’étude de la DRSP de Montréal indique également une augmentation significative de l’acceptabilité sociale de la consommation de cannabis. En 2022, 63 % des Montréalais ont déclaré qu’il était acceptable de consommer du cannabis à des fins récréatives, par opposition à médicales. En 2018, ce chiffre était de 47 %. Cependant, il est intéressant de noter que cette acceptabilité accrue s’accompagne également d’une prise de conscience accrue des risques pour la santé associés à la consommation de cannabis.
La légalisation du cannabis au Québec, avec son modèle de vente strictement réglementé, semble avoir réussi à transférer les consommateurs du marché noir au marché légal, tout en évitant une augmentation significative de la consommation chez les jeunes. Cela souligne l’efficacité d’une réglementation rigoureuse dans le contexte de la légalisation du cannabis.
La Direction régionale de santé publique de Montréal espère que la diffusion de ces résultats contribuera à une meilleure compréhension de la réalité montréalaise en matière de consommation de cannabis. Les données montrent une évolution significative de la consommation de cannabis depuis sa légalisation en 2018, avec une acceptabilité sociale en hausse, une diversification des modes de consommation, et un transfert marqué du marché illégal au marché légal. Cependant, cette croissance s’accompagne d’une conscience accrue des risques pour la santé, soulignant l’importance de l’éducation et de la prévention continues en matière de consommation de cannabis à Montréal et au Québec.
La société : Évolution des attitudes et des défis
Au premier semestre 2023, plus de 70% du cannabis consommé au Canada provenait de sources légales, une hausse significative par rapport aux 22% enregistrés au quatrième trimestre 2018, juste après la légalisation.
La légalisation du cannabis a ainsi considérablement réduit la stigmatisation associée au cannabis, sans être un appel d’air à sa consommation. La consommation reste la plus courante dans la tranche d’âge des 18-24 ans. Les rapports de Statistique Canada indiquent que la consommation chez les 15-17 ans n’a également pas augmenté depuis la légalisation, ce qui représentait l’une des principales préoccupations pour les détracteurs de la légalisation. Et l’âge moyen d’initiation a également légèrement augmenté au fil du temps.
Les provinces ne sont toutefois pas sur le même pied d’égalité. Au Manitoba et au Québec, il est par exemple toujours interdit de cultiver du cannabis à domicile à des fins non médicales. Le manque de diversité de produits légaux au Québec – par exemple sur les edibles sucrés ou les vape pen toujours interdits – laisse de nombreux consommateurs insatisfaits et cède cette catégorie de produits au marché illicite.
Justice : Diminution des affaires liées au cannabis
Assez mécaniquement, le nombre d’affaires judiciaires liées au cannabis a diminué de 73% pour les femmes et de 83% pour les hommes. Les infractions liées au cannabis signalées par la police sont passées de 99 pour 100 000 habitants en 2018, année de la légalisation, à 28 pour 100 000 habitants cinq ans plus tard.
Santé : Des résultats mitigés
Si la légalisation du cannabis a ouvert de nouvelles portes aux consommateurs récréatifs, elle a également soulevé des préoccupations en matière de santé.
Une étude menée en Ontario et en Alberta a fait état d’une augmentation inquiétante de 20% des cas d’empoisonnement et de troubles liés au cannabis. Une autre étude menée en Ontario a révélé que le nombre d’admissions aux urgences avait été multiplié par treize en raison du syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, souvent dû à des consommations importantes et répétées.
Le nombre de femmes enceintes exposant leur fœtus au cannabis pendant la grossesse a doublé, et les visites à l’hôpital pour des enfants ayant ingéré du cannabis ont triplé. En outre, l’incidence des victimes d’accidents de voiture ayant du THC dans le sang a doublé, passant de 3,8% à 8,6%.
Le consensus est que davantage de prévention et d’éducation sont nécessaires pour relever efficacement ces défis liés à la santé.
Accès légal et commerce : Impact économique et difficultés de l’industrie
D’un point de vue économique, le gouvernement fédéral du Canada est le principal bénéficiaire de la légalisation du cannabis. L’industrie légale du cannabis a contribué à hauteur de 30 milliards d’euros estimés au produit intérieur brut du Canada depuis la légalisation, le marché récréatif évoluant autour des 3 milliards d’euros annuels.
Néanmoins, les entreprises du cannabis peinent à être rentables. Seuls 20% environ des cultivateurs de cannabis auraient actuellement des flux de trésorerie positifs, ce qui témoigne des difficultés économiques du secteur. Bien que l’accès légal au cannabis soit répandu, le paysage commercial du cannabis n’est pas sans défis.
- La réglementation excessive de l’industrie du cannabis limite les produits, entraine des coûts réglementaires plus élevés et offre des possibilités de publicité limitées pour les entreprises.
- La forte taxation des entreprises du cannabis rogne les marges. Plusieurs mouvements d’entreprises appellent à une taxation raisonnable.
- Malgré le cadre juridique fédéral du Canada, les exportations des produits du cannabis récréatif sont pour l’instant interdites, ce qui a un impact sur le potentiel d’expansion mondiale de l’industrie.
Alors que le Canada célèbre les cinq ans de la légalisation du cannabis, la régulation est faite de réussite et de nouveaux défis. Elle a en tout cas inspiré un nombre croissant de pays qui ont franchi quelques marches depuis : Malte et l’Allemagne pour une légalisation autour des Cannabis Clubs, le Luxembourg sur l’autoculture, la Thaïlande sur une dépénalisation très large et la Suisse sur des expériences de légalisation ville par ville. Le début de l’effet domino ? Et pendant ce temps la France laisse les malades sur la touche !!
La situation en France : Un retard dans la légalisation du cannabis médical
Pendant que d’autres pays, dont le Canada, progressent dans la réglementation et la légalisation du cannabis, la France demeure en retard en ce qui concerne le cannabis médical. Alors que de plus en plus de pays reconnaissent les avantages médicaux du cannabis et mettent en place des cadres réglementaires pour permettre son utilisation à des fins thérapeutiques, la France tarde à suivre cette tendance.
Le cannabis médical est utilisé pour traiter un large éventail de conditions médicales, notamment la douleur chronique, les troubles neurologiques, la spasticité musculaire, et les nausées associées à la chimiothérapie. De nombreux patients en France pourraient potentiellement bénéficier de l’accès au cannabis médical, mais les barrières législatives actuelles les empêchent de le faire.
Il est important de noter que la légalisation du cannabis médical n’encourage pas la consommation récréative de cannabis. Au contraire, elle permet aux patients de bénéficier des propriétés médicales de cette plante, sous supervision médicale.
En conclusion, les données concernant la consommation de cannabis à Montréal depuis sa légalisation au Canada montrent une évolution significative des attitudes, des modes de consommation et des marchés. Cependant, elles soulignent également la nécessité d’une réglementation rigoureuse et d’une éducation continue pour minimiser les risques pour la santé. Pendant ce temps, la France semble faire peu de progrès en matière de cannabis médical, laissant de nombreux patients sans accès à un traitement potentiellement bénéfique. Il est peut-être temps pour la France de suivre l’exemple d’autres pays et d’envisager sérieusement la légalisation du cannabis médical.
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