Illustration : Jeremy Rivera, fondateur de Kush Culture Industries, est sorti de prison en 2018.
(New York) Naiomy Guerrero a souvent vu son frère se faire arrêter par la police dans le Bronx. Un autre New-Yorkais, Jeremy Rivera, ne veut plus aller en prison pour trafic de drogue. Aujourd’hui, l’une et l’autre veulent ouvrir leur commerce légal de cannabis, un marché prometteur mais semé d’embûches.
Cette opportunité, « c’est un moment vraiment fort pour ma famille, surtout sachant d’où l’on vient, ce qu’on a traversé à cause des politiques discriminatoires de la ville », explique à l’AFP Naiomy, étudiante en histoire de l’art de 31 ans, dont les parents sont originaires de République dominicaine et qui a déjà une expérience professionnelle dans la culture.
Avec sa famille, elle fait partie des 28 premiers aspirants qui ont reçu le 21 novembre de l’État de New York une licence pour ouvrir une boutique officielle et vendre du cannabis local. Une nouvelle étape, plus d’un an après la légalisation de sa consommation pour les adultes, dans cette région de 20 millions d’habitants, qui s’étend au nord jusqu’au Canada.
À New York, sa ville phare, l’odeur d’herbe est devenue aussi caractéristique que les taxis jaunes ou les gratte-ciel pour touristes et habitants. La mairie compte sur 1,3 milliard de dollars de ventes dès 2023 et 19 000 à 24 000 créations d’emplois en trois ans.
« Quitter tout ça »
Depuis qu’il est sorti de prison en 2018, Jeremy Rivera s’est promis de ne plus jamais y retourner. Ses bras entièrement tatoués, son sens du commerce et ses connaissances dans le cannabis, ce père de famille de 36 ans veut les mettre à profit pour ouvrir une boutique plus à l’est, à Long Island.
L’entrepreneur, qui a grandi dans la criminalité dans le Queens, espère, « à 99 998 % », faire partie du prochain train de licences.
Je veux montrer aux gens que je l’ai fait, j’ai été membre d’un gang pendant 20 ans, j’ai vendu de la drogue, et j’ai décidé de quitter tout ça.
Jeremy Rivera
Dans ce chemin, sa condamnation, en 2016, « pour un délit non violent lié au cannabis », n’est pas un handicap.
Avoir été condamné, soi-même ou un proche, dans l’État de New York pour un délit lié au cannabis – y compris pour vente – et disposer d’un commerce, sont même deux conditions pour être éligible à l’une des 150 premières licences, qui précéderont l’ouverture totale du marché.
Réparation
Une philosophie assumée par l’État démocrate, pour réparer ce qu’il considère aujourd’hui comme l’impact injuste et disproportionné de décennies de prohibition du cannabis pour les communautés afro-américaines et hispaniques.
« La prohibition a privé les gens d’opportunités, elle a appauvri des communautés, brisé des familles », souligne auprès de l’AFP Tremaine Wright, présidente du conseil de contrôle de l’Office pour la gestion du cannabis (OCM) de l’État de New York.
En 2018, un rapport de l’État estimait qu’il y avait eu 800 000 arrestations pour détention de la substance en 20 ans, et les personnes arrêtées en 2017 étaient surtout noires (48 %) ou hispaniques (38 %).
Dans les années 2000, « on ne pouvait pas rester dehors sans se faire ramasser par la police […], c’était un état constant de surveillance et de harcèlement », se souvient Naiomy Guerrero.
Fragile
Mais si le programme est ambitieux, sa mise en œuvre promet des défis.
« Nous ne sommes qu’au début », car « il y a maintenant besoin de fonds et de formation », prévient Desmon Lewis, cofondateur de la Bronx Community Foundation, qui vient en aide aux candidats et leur a présenté la semaine dernière une boutique-témoin.
Ces derniers jours, des informations sur la fragilité du fonds public-privé de 200 millions de dollars que l’État a promis pour des prêts avantageux et la mise à disposition de boutiques clés en main ont fait l’effet d’une douche froide.
« Pour certains, c’est très déstabilisant. Ils comptaient sur cet emplacement et cette aide. Ils sont un peu sur des sables mouvants », ajoute Eli Northrup, de l’organisation Bronx Defenders.
Concurrence
Le tout dans un contexte de forte concurrence, car le marché est déjà occupé par la vente non officielle et suscite l’appétit de grands groupes.
Depuis que la consommation est légale, des vendeurs opèrent à ciel ouvert dans la rue, les parcs ou sur les réseaux sociaux, tout comme des boutiques « Smoke shop », qui proposent joints d’herbe et bonbons au THC en profitant du manque de contrôles.
Des produits évidemment non taxés, contrairement au marché légal.
Mais Jeremy Rivera voit les opportunités. « Il y aura aussi des gens qui n’ont jamais été à l’aise sur le marché illégal et qui voudront maintenant acheter auprès d’un vendeur agréé de bonne réputation », avec une garantie sur la provenance du produit, qui devra avoir poussé dans les frontières de l’État de New York, explique-t-il.
« C’est le début d’un marché qui s’ouvre pour 100 ans », ajoute-t-il, en tirant une bouffée sur un long joint.