Le maire écologiste de la ville de la région bordelaise, Clément Rossignol-Puech, cherche à en faire la première à légaliser le cannabis, malgré l’opposition ferme du ministère de l’Intérieur.
«Il ne s’agit pas de faire du buzz mais de prendre à bras-le-corps un vrai problème de santé publique», argue Clément Rossignol-Puech, le maire écologiste de Bègles.
A Bègles, en Gironde, le combat du maire écolo Clément Rossignol-Puech pour expérimenter localement un modèle de légalisation encadrée de production, vente et consommation de cannabis a pris l’allure d’un bras de fer avec le gouvernement. Il y a quinze jours – quatre mois après la publication d’une tribune cosignée par l’élu et une soixantaine d’autres personnalités dans le Journal du Dimanche –, un courrier avec en-tête du ministère de l’Intérieur a atterri sur son bureau. Le document, signé Gérald Darmanin, commence ainsi : «Vous avez souhaité attirer mon attention sur votre proposition d’expérimentation […] à laquelle je suis opposé.» Pour justifier sa position, le ministre argumente que la consommation de cannabis, même si elle est «encore très élevée», peut être réduite grâce «à une stratégie ferme de répression et de prévention». Sans surprise pour l’élu girondin. Gérald Darmanin avait annoncé la couleur à plusieurs reprises depuis 2020 : «Jamais on ne légalisera cette merde.»
Mais le Béglais, également vice-président de Bordeaux Métropole, n’entend rien lâcher, «plus déterminé que jamais» à faire de sa commune le premier territoire d’expérimentation pour légaliser le cannabis récréatif. «Il ne s’agit pas de faire du buzz mais de prendre à bras-le-corps un vrai problème de santé publique», argue l’édile. Vendredi 13 octobre, pour consolider sa demande et être en mesure de remettre au gouvernement, en janvier, une proposition en bonne et due forme – adressée conjointement aux ministères de l’Intérieur, de la Santé et de l’Agriculture –, il a réuni un conseil scientifique chargé de formuler des préconisations.
«Politique de l’autruche»
Autour de la table : des élus, des médecins, un avocat, des associations médico-sociales, des chercheurs, un représentant des associations de consommateurs… Durant plusieurs heures, une vingtaine de membres ont bûché sur l’élaboration de critères (modalités de consommation, âge des participants, durée de l’expérimentation…). Parmi eux, Christian Ben Lakhdar, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’économie des drogues et des conduites addictives, le professeur Marc Auriacombe, psychiatre et chercheur en addictologie à Bordeaux ou Françoise Jeanson, vice-présidente de la Nouvelle-Aquitaine en charge de la santé. Si la réflexion reste à peaufiner d’ici décembre, des tendances se sont dessinées. «On se tournerait vers des personnes déjà consommatrices, avec des profils variés – des femmes, des hommes de tous les âges, de toutes les catégories socioprofessionnelles – pour coller au plus près à la réalité. Car, contrairement aux idées reçues, les consommateurs de cannabis, c’est très souvent monsieur ou madame Tout-le-Monde», insiste le maire. La durée de l’expérimentation serait d’un an au minimum.
Sur le type de cannabis, les discussions ont été plus intenses et complexes : le même taux pour tous ? Chaque panéliste décide ? «On se dirigera sans doute vers le moins nocif, à savoir vapoter ou vaporiser la fleur de cannabis mais, là encore, rien n’est acté. Si on restreint trop, on n’aura pas assez de volontaires», analyse Clément Rossignol-Puech, qui précise que les experts recommandent une production locale. Dans tous les scénarios, si l’expérimentation voit le jour, le conseil préconise un suivi médical, avec la possibilité de parler à des psychologues ainsi qu’une multiplication des campagnes de prévention.
«Les avis étaient parfois partagés, mais tout le monde est à l’écoute pour construire la solution la plus intelligente possible», rembobine Philippe Dauzan, directeur régional de l’association Addictions France et membre du conseil. Fervent défenseur de la légalisation contrôlée du cannabis, il se dit effaré par la réponse du ministère : «Ce n’est pas en faisant la politique de l’autruche qu’on va avancer. On nous dit que la politique répressive porte ses fruits, mais monsieur le ministre, il y a encore eu 42 morts à Marseille liées au trafic de drogue depuis le début de l’année. La situation est ubuesque en France.» Cette législation permettrait selon lui une baisse de la consommation, un meilleur contrôle de la qualité des produits, le tarissement des économies parallèles et de la criminalité qui les accompagne – avec un marché potentiel de 3 milliards d’euros –, mais également le désengorgement des tribunaux et des prisons. «Je peux comprendre que le débat fasse peur, mais une société sans drogue ça n’existe pas. Nous avons tout intérêt à créer un cadre pour canaliser tout ça», prêche Philippe Dauzan.
«Vers une légalisation encadrée»
«La France a l’une des législations les plus répressives d’Europe tout en ayant le plus grand nombre de consommateurs de cannabis (1). On continue pourtant de s’enfermer dans toujours plus de répression alors qu’on voit bien que ça ne marche pas», déplore Clément Rossignol-Puech qui appelle le gouvernement à «sortir du tabou». Il s’appuie notamment sur les conclusions du Conseil économique, social et environnemental (Cese) rendues publiques en janvier. Cet organe consultatif de la société civile appelait à «sortir du statu quo» et à s’orienter «vers une légalisation encadrée».
Samedi 21 octobre, nouvelle étape dans le processus engagé par la ville de Bègles : les propositions du conseil seront présentées au comité local de suivi composé d’habitants tirés au sort, de médecins, de commerçants, d’associations locales… L’idée étant d’arriver à un consensus d’ici la fin de l’année. «Preuve que le sujet fédère et dépasse les clivages politiques, des élus LR à Reims ou Châteauroux défendent également la légalisation depuis des années, invoque le maire de Bègles. Certains de nos voisins européens, l’Allemagne par exemple, sont aussi très en avance. Je pense que la société est prête.»
(1) La France compte 5 millions d’usagers du cannabis dans l’année, sur 22 millions dans l’UE, selon le rapport 2022 de l’Observatoire français des drogues et tendances addictives.
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