Alors qu’un rapport prône la légalisation du cannabis en France, reportage sur un point de deal dans le quartier des Izards, à Toulouse, plaque tournante du trafic de drogue. Ici, les petites mains du trafic peuvent gagner plus de 100 € par jour.
Stockée dans des poches en plastique, l’herbe de cannabis arrive par dizaines de grammes. Le ravitailleur est un jeune efflanqué en survêt’ de foot. Dans un recoin de la cité des Izards, plaque tournante du trafic de drogue à Toulouse, ravitailleurs, « choufs » (Ndlr : les guetteurs) et petites mains du cannabis sont dans la place.
Une grappe de narcotrafiquants affairés à revendre à de jeunes acheteurs qui font déjà la queue comme au supermarché. La scène n’est pas inédite, ici, mais pourrait disparaître si le cannabis légalisé est désormais vendu dans le commerce, sous contrôle de l’état.
Alors que s’ouvre le grand débat sur la légalisation de cette drogue en France, pays où l’on compte le plus grand nombre de fumeurs de joints en Europe, les dealers des cités toulousaines n’ont qu’une obsession : continuer le business. « La légalisation ? Non, nous, on est contre ! », lâche un jeune trafiquant des Izards. Ici, l’argent circule de main en main sur les différents points de deal ravitaillés à toute heure autour de la rue des Chamois. Si vous n’êtes pas acheteur de produit stupéfiant, mieux vaut passer votre chemin. Le quidam qui s’intéresse d’un peu trop près au trafic est aussitôt fouillé. « Pas de micros ? Sors ton téléphone. Y a pas une appli en marche ? Tu vois, ici, on est plutôt cool, mais vaut mieux pas rester… » Bien plus que la crainte de voir un chiffre d’affaires en berne en cas de légalisation de l’herbe, les dealers protègent avant tout leurs arrières. Car sur le fond du sujet, c’est bouche cousue. Signe d’une réelle tension après les derniers règlements de comptes entre bandes rivales au gros calibre, ces derniers mois. Dans cette cité du nord de Toulouse, les petits revendeurs peuvent gagner jusqu’à 100 euros par jour. Un peu plus quand la pression policière est plus forte, car le job est plus risqué. Dans leur pochette en plastique, ils ont l’équivalent de 1 000 € en marchandise, herbe ou résine de cannabis et cocaïne. L’herbe se revend environ 40 € les 10 grammes. Sur ces points de deal, la question de la réorganisation du trafic en cas de légalisation n’est pas encore intégrée dans le business plan. «Mais ils s’adapteront, comme ils le font déjà sur des messageries Internet à coups d’innovations marketing, de ventes flash et de cartes de fidélité», décrypte un spécialiste du trafic de stupéfiants.
À Arnaud-Bernard, quartier du centre-ville et haut lieu de la contrebande organisée, les vendeurs de clopes et de paradis artificiel sont très vite repérés. « Cigarettes, chichon…», lance un vendeur, près d’un bar où tous ses acolytes sont attablés. « Légalisation ? Non… Y a rien à dire… » Deux véhicules de police arrivent sur la place et la ribambelle de trafiquants s’éloignent comme une volée de moineaux vers les ruelles adjacentes. À Toulouse, le business de la drogue génère des revenus considérables faisant vivre des familles entières dans les cités dites «en zone de reconquête républicaine». Dernièrement, la sûreté départementale a démantelé un point de deal, dans le quartier du Mirail, qui pouvait rapporter jusqu’à 20 000 € par jour, par la vente du cannabis et de la cocaïne. Vecteurs d’une criminalité qui monte en puissance avec des règlements de comptes récurrents et d’une délinquance qui se durcit, ces trafics irriguent toute une économie souterraine. Mais pour ce policier de terrain, « la légalisation du cannabis en France, reportage sur un point de deal dans le quartier des Izards, à Toulouse, plaque tournante du trafic de drogue. Ici, les petites mains du trafic peuvent gagner plus de 100 € par jour. est une fausse bonne idée. Elle va générer davantage de business puisque les dealers vont proposer leur marchandise à prix cassé comme cela se passe avec la revente illégale des cigarettes de contrebande ». Le trafic pourrait également se concentrer sur d’autres drogues comme la cocaïne ou l’héroïne. « Tous ces points de deal sont de toute façon beaucoup trop rentables aujourd’hui pour être abandonnés », conclut cet enquêteur.
Les nouveaux esclaves du trafic
La multiplicité des points de deals à Toulouse et le trafic de cigarettes de contrebande générant une quinzaine de convois par jour entre l’Andorre et la Ville rose accentuent le recrutement de «petites mains» prêtes à tout pour gagner quelques euros. Les trafiquants n’hésitent pas à exploiter des clandestins en situation de précarité ou de jeunes adolescents marginaux pour faire tourner leur business. Un système néoesclavagisme où ces convoyeurs sont placés littéralement sous la coupe de petits caïds.
Lorsqu’une de ces personnes est interpellée par les services d’enquête en possession de la marchandise, c’est une perte sèche pour les lieutenants de l’organisation et le début de gros déboires judiciaires pour le jeune dealer. Ce dernier perd la rémunération promise et doit rembourser la marchandise perdue. Le début d’un cycle infernal.
Source : https://www.ladepeche.fr/2019/06/23/legalisation-du-cannabis-les-dealers-nen-veulent-pas,8272839.php