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Ce mercredi 5 mai, le député LREM Jean-Baptiste Moreau a présenté son rapport parlementaire concernant le cannabis « récréatif ». Il recommande une « légalisation régulée » afin de mieux lutter contre les trafics et protéger les mineurs.
La prohibition ne fonctionne pas : c’est le constat sans équivoque de Jean-Baptiste Moreau. Ce député LREM a rendu, ce mercredi 5 mai, un rapport parlementaire sur le cannabis récréatif. Un travail qui a pour but de « dépassionner » le débat. Pour l’élu de la Creuse, il est « indispensable » de relancer les discussions et de parvenir à une « légalisation régulée ». Un moyen, selon lui, de mieux protéger la jeunesse et de combattre les dealers.
En France, le débat revient régulièrement sur la table. Une consultation en ligne, lancée mi-janvier, montre que la légalisation est plébiscitée par 80% des 250.000 participants. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Emmanuel Macron se sont tous deux déclarés contre toute légalisation. Pourtant, le président a annoncé un grand débat national sur la consommation de drogue, sans donner de date. Le rapport de Jean-Baptiste Moreau pourrait-il faire pencher la balance ? Entretien avec le député devenu l’espoir des consommateurs de cannabis.
Marianne : Comment avez-vous procédé pour élaborer ce rapport et quelles sont vos conclusions ?
Jean-Baptiste Moreau : Nous avons auditionné plus de 100 personnes, des addictologues à des personnalités en passant par la police et les élus. La conclusion est simple, la politique publique de répression et de prohibition a échoué depuis 40 ans alors que la consommation explose dans le même temps. Il existe deux problématiques. La consommation des jeunes et l’ordre parallèle imposé dans certains quartiers par les dealers. Il faut trouver une solution pragmatique. Nous sommes pour une légalisation encadrée et contrôlée avec un État qui gère la production afin de garder la main sur le produit et sa concentration en THC. Rappelons que plus il augmente, plus les dégâts sont importants. Il faut une interdiction totale pour les mineurs avec une réelle politique de prévention financée par les gains opérés avec les taxes sur le produit.
Le produit serait encore plus accessible, l’interdiction de la vente de tabac ou d’alcool au mineur n’a pas empêché grand-chose.
Avec les différentes méthodes de prévention, on peut faire reculer la consommation. De toute façon, le cannabis a déjà pignon sur rue. Le risque est surtout de les laisser au contact des dealers qui ensuite, vont leur proposer des amphétamines ou du crack. Ils veulent rendre nos jeunes le plus addict possible. Si demain l’herbe se trouve en « canashop » avec des produits contrôlés et pas coupés, on aura grandement gagné en santé publique. Avec la prévention, le trafic peut diminuer de 60%, on l’a vu au Canada.
Comment imaginez-vous la prévention ?
C’est simple, il faut avertir des dangers et il existe beaucoup de moyens. On peut s’inspirer de ce qui est fait pour l’alcool et le tabac, diffuser des spots publicitaires, faire passer le message auprès des classes dans les écoles et les lycées. Les paquets de cigarettes sont accompagnés d’images terribles, dissuasives, on peut également en mettre sur les paquets de cannabis.
Ne risque-t-on pas de banaliser le produit ?
Au contraire. La question est d’être pragmatique. Il n’est jamais dit que le cannabis est inoffensif. De plus, on peut retourner l’argument, un ado en pleine construction va être attiré par l’interdit. En présentant le cannabis comme ce qu’il est via la prévention, la démarche est plus honnête. Le problème est que cette dernière est rendue impossible car le produit est illégal.
D’aucuns pensent que cela ne va rien changer pour le trafic, que les dealers passeront aux drogues dures, qu’en pensez-vous ?
C’est un argument contredit par tous les exemples mondiaux. Le risque de basculement est déjà présent. Les dealers n’ont pas que du cannabis dans leur poche. Si les consommateurs sont obligés de se fournir dans des « canashop », ils n’auront pas d’autres produits sous les yeux. C’est la situation actuelle qui pousse vers d’autres drogues. De plus, cela va faire gagner un temps considérable aux policiers qui pourront se concentrer sur les drogues dures.
Comment s’assurer qu’une personne contrôlée avec du cannabis l’aura bien acheté dans le circuit officiel ? Si le produit est légalisé, les consommateurs pourront continuer d’acheter aux dealers sans être inquiétés.
Avec le numérique, il y a beaucoup de moyens d’assurer la traçabilité. On peut penser notamment à un sceau spécifique sur les emballages. La police sera largement en mesure de s’assurer que le cannabis trouvé provient du circuit autorisé. Aussi, il faut assurer un prix en adéquation avec le marché. Ni trop élevé, pour que ce soit attractif, ni trop bas pour avoir des recettes à investir dans la prévention. Après, notre rapport donne des pistes. Nous avons également pensé à autoriser l’autoproduction, avec une limite de pieds par personne. La France peut aussi adopter un modèle où tout ne sera pas géré par l’État. Mais ce dernier contrôlerait et sanctionnerait les abus.
Vous avez déclaré à plusieurs reprises que la prohibition ne fonctionne pas. Pourtant, dans certains pays la consommation est sévèrement et systématiquement sanctionnée. De fait, la consommation de cannabis n’y est pas un fléau.
L’état d’esprit dans les différents pays du monde n’est pas le même. De plus, la consommation en France est réellement massive, avec un million de personnes qui disent fumer régulièrement. Aussi, la plupart fument chez eux, à l’abri, le tout répressif ne fera que s’attaquer au pauvre gars qui fume dehors dans un coin faute de mieux. Cela ne réglera en rien le problème général.
Dans vos interventions, vous pointez l’exemple du Portugal, là-bas les consommateurs de toute drogue sont envoyés chez le médecin plutôt qu’en prison. En cas de légalisation, avez-vous pensé au volet accompagnement pour les personnes addicts ?
Oui, il est important de proposer un accompagnement. Cela se fera à travers les campagnes de prévention. On peut aussi envisager des accès privilégiés à des addictologues à travers les « canashops ». Mais contrairement au Portugal, nous n’avons pas retenu la dépénalisation. Ce système ne règle pas la question de la production et du marché noir.
L’objectif est donc de proposer un produit « sain ». Pour autant, même non coupé, fumer du cannabis pose de réels problèmes pulmonaires. Quid des autres méthodes de consommation ?
C’est quelque chose que nous avions mis en avant avec la précédente mission sur le CBD [cannabis dit bien-être ; N.D.L.R]. Il est évident qu’il faudrait privilégier toutes les autres formes comme la vaporisation, les huiles ou l’ingestion.
En réalité, tous les arguments, sanitaires, économiques et sécuritaires, en faveur de la légalisation du cannabis s’appliquent aux autres drogues. Ne serait-ce pas une porte ouverte ?
Soyons clairs. Le cannabis, à part pour les mineurs, n’est pas plus dangereux que l’alcool ou le tabac. Si le taux de THC est maîtrisé, il a peu de pouvoir addictif chez les adultes. Les autres drogues provoquent des dégâts très importants, le niveau de dangerosité est sans commune mesure. En revanche, il est vrai que la situation actuelle avec les autres drogues n’est pas idéale. C’est là que nous pourrions envisager une approche comme au Portugal. La piste reste à explorer mais ce n’était pas le sujet de ce rapport.
Source : Marianne.net