Alors que l’Allemagne veut autoriser la consommation, la production et la vente de cannabis, le maire EELV de Bègles (Gironde), Clément Rossignol-Puech, déplore le retard de la France et propose de mener une expérimentation dans sa ville. Auprès de « Marianne », il détaille les retombées positives d’un point de vue économique, judiciaire et sanitaire d’une légalisation encadrée.
La France emboîtera-t-elle le pas de l’Allemagne ? Annoncée par le gouvernement fédéral d’Olaf Scholz lors de son arrivée au pouvoir, la légalisation encadrée du cannabis avance outre-Rhin. Avant une réunion avec ses homologues européens le 14 mars dernier, le ministre de la Santé allemand, Karl Lauterbach, a assuré avoir reçu « un très bon accueil » de la part de la Commission européenne sur ce projet, qui pourrait être mis en place dès 2024. En autorisant la possession de 30 grammes de marijuana pour les personnes majeures, ainsi que deux plantes au maximum à leur domicile pour une production personnelle, l’objectif affiché est de réduire la criminalité et de rendre la consommation plus sûre. Les produits pourront être vendus dans des magasins et pharmacies agréés, qui devront toutefois être situés loin des établissements scolaires.
Alors que plusieurs pays optent pour une formule identique et que 21 des 27 membres de l’Union européenne autorisent, au moins, le cannabis à usage thérapeutique, le maire écologiste de Bègles (Gironde), Clément Rossignol-Puech, regrette que la France poursuive sa politique de répression.
Sa proposition adressée à Emmanuel Macron ? Mener une expérimentation de légalisation encadrée dans sa ville afin d’évaluer les avantages économiques, judiciaires, mais aussi sanitaires, d’une telle politique.
Marianne : À l’image de ce que l’Allemagne s’apprête à faire, vous appelez à une légalisation encadrée du cannabis. Pourquoi, selon vous, ce sujet reste encore tabou dans l’Hexagone ?
Clément Rossignol-Puech : Qui dit légalisation encadrée ne veut pas dire liberté absolue ou consommation dans les lieux publics, il faut tout de suite le souligner. La réalité, c’est que nous sommes à la traîne en comparaison à certains de nos voisins européens, alors que des travaux parlementaires, et plus récemment un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), préconisent de légaliser avec un contrôle étatique. La France va encore être le dernier pays à agir sur ce sujet de santé publique. Pour certains historiens et politistes, cette vision à contretemps remonte en fait à la période post-mai 68 et la volonté de l’État de contenir la révolte de la jeunesse.
Pas mal d’élus, de droite mais pas seulement, sont restés bloqués sur cette idée. Interdire la consommation de cannabis demeure un marqueur politique qui sert à se présenter comme « responsable » et « autoritaire ». Cette stratégie a conduit à un échec cuisant. Actuellement, la France est championne de la répression… et de la consommation, avec près d’un million de fumeurs quotidiens. Et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, se glorifie d’arrestations de petits consommateurs et vendeurs, non sans hypocrisie et démagogie. En réalité, des quartiers entiers croulent sous le trafic, alors qu’on pourrait casser ce dernier avec une légalisation encadrée. Et ainsi libérer la police et les tribunaux pour leur permettre de se concentrer sur des affaires autrement plus importantes.
Pour l’État, une légalisation encadrée permettrait d’enregistrer d’importantes rentrées d’argent. Quelles sont les projections ?
Grosso modo, dans l’Hexagone, on évalue le trafic de cannabis à plus de 2 milliards d’euros par an. Il est donc assez facile d’imaginer la manne financière que cela pourrait représenter pour les caisses de l’État. Au niveau de l’emploi, cela permettrait aussi de constituer une filière agricole, basée sur le bio et des circuits courts. Le département de la Creuse, que je connais bien, porte ce projet depuis plusieurs années déjà. C’était un des lieux de production de chanvre, qui est la même plante que celle du THC [NDLR : la substance psychotrope du cannabis]. En France, nous disposons d’un vrai savoir-faire en la matière. Pourquoi ne pas le préserver ?
Des psychiatres jugent que les effets les plus dommageables du cannabis sont sur les 16-21 ans. Est-ce que légaliser tout en fixant une limite d’âge à 21 ans serait une solution ?
C’est en effet une possibilité, pour laquelle le Canada a par exemple opté. Les fonctions cognitives ne sont pas totalement abouties chez les plus jeunes qui fument du cannabis. Mais la légalisation encadrée permettrait surtout de mener des politiques publiques de prévention, comme pour le tabac et l’alcool, dont l’on ne dispose pas aujourd’hui. Il y aurait une bonne partie des retombées économiques dédiées à cela. J’ai discuté avec des parents confrontés à une surconsommation de leurs enfants et un certain nombre d’entre eux déplorent un manque d’informations et de suivi, aussi bien chez les médecins que dans les établissements scolaires.
Les produits à la vente seraient de meilleure qualité que ceux qui circulent dans les trafics.
Mais certains estiment que les consommateurs se tourneraient tout de même vers le marché noir, pour se procurer des substances plus fortes. Qu’en pensez-vous ?
Il faut ouvrir les yeux et être pragmatique : aujourd’hui, les produits consommés ont des taux de THC qui explosent. Les gens qui achètent au marché noir ne savent en réalité pas ce qu’ils consomment. C’est dangereux. Avec une légalisation encadrée, il y aurait effectivement la possibilité d’avoir un produit de bien meilleure qualité, avec des normes, une traçabilité et une composition contrôlée. Ce qu’on observe dans les pays qui ont opté pour la légalisation encadrée, c’est que la grande partie des fumeurs préfèrent aller se fournir dans des lieux légaux. La grande majorité des consommateurs ne cherchent pas forcément à « se défoncer » avec des taux très forts de THC.
Il est vrai, cependant, qu’il y aura toujours une part de trafic, avec des produits moins chers, mais aussi pour les autres stupéfiants. Beaucoup prédisent effectivement une redirection des consommateurs vers des drogues dures, mais c’est un argument fallacieux qui dénote d’une méconnaissance totale des substances et des comportements de consommation. Ce n’est pas parce qu’un bar vend de l’alcool à 40° que les clients vont arrêter de boire de la bière.
En cas de légalisation contrôlée, que deviendraient les dealers ?
C’est un vrai sujet, parce que pas mal de familles, principalement dans les milliers populaires, vivent indirectement du trafic de cannabis. Aux États-Unis, l’État de New York est allé jusqu’à proposer de permettre à certains dealers, bénéficiant d’une expérience officielle dans le commerce, de devenir des vendeurs légaux. Mais c’est une vision très libérale de la légalisation, que je ne défends pas. Il faudra, en revanche, impérativement mener des actions spécifiques auprès des familles qui comptent des dealers, avec d’importantes politiques d’accompagnement et de suivi pour qu’ils s’en sortent.
Vous proposez donc à Emmanuel Macron de faire de Bègles une « ville test » pour la légalisation encadrée. Quelle forme cela prendrait-il ?
Nous construisons un scénario qui doit évidemment être validé par l’État. Nous n’allons pas nous mettre à produire du cannabis illégalement. Autour de Bègles, il y a des zones naturelles discrètes où l’on pourrait cultiver. L’idée est de nouer un partenariat avec des agriculteurs, il y en a qui sont intéressés dans la région, j’ai déjà été en contact avec eux. Pour que la vente soit encadrée, on pourrait partir d’un lieu référencé avec un suivi sanitaire, médicale et sociale et pas nécessairement des coffee-shops.
L’objectif n’est pas de transformer la commune en lieu touristique pour les fumeurs de cannabis, mais de démontrer qu’à terme, nous pourrions adopter le même modèle que celui défendu en Allemagne. D’ailleurs, dans le cadre de cette expérimentation, il n’y aurait que des habitants, sélectionnés sur la base du volontariat. Les Béglais voient cette proposition d’un bon œil, ils sont prêts. On va publier un manifeste, organiser des débats et des colloques avec des spécialistes, probablement début juin, pour défendre ce projet. Pour l’instant, je n’ai pas reçu de réponse du gouvernement. Mais je suis têtu, je vais insister.
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