Un employé ramasse des têtes de cannabis dans une ferme de Tala (Uruguay), le 13 août. MATILDE CAMPODONICO / AP
Publié le 8 Septembre 2020 | Par François Béguin
Une cinquantaine de médecins et responsables d’associations de patients dénoncent la non-parution du décret qui permettrait la mise en place de l’expérimentation, pourtant votée en décembre 2019.
Inquiets de l’inertie du gouvernement dans ce dossier, les promoteurs du cannabis thérapeutique ont décidé de donner de la voix. Dans une tribune publiée mardi 8 septembre sur le site du Parisien, une cinquantaine de médecins et responsables d’associations de patients, dont France Assos Santé, la plus importante d’entre elles, dénoncent la non-parution du décret qui permettrait la mise en place de l’expérimentation votée en décembre 2019 à l’Assemblée nationale.
« Le report répété du début de cette expérimentation, faute de décret d’application, suscite actuellement un questionnement sur la volonté politique de le mettre réellement en place », écrivent les signataires, pour qui un tel report « crée de l’anxiété voire de la colère chez des patients déjà en souffrance physique et psychique et en attente de solutions complémentaires ».
L’expérimentation est prévue pour durer deux ans et doit inclure au moins 3 000 patients présentant l’une de ces cinq indications : douleurs réfractaires, formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, soins de support en oncologie dans les situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central.
Les patients sélectionnés pourront bénéficier de cannabis médical sous forme de fleurs séchées à vaporiser, d’huiles à prendre par voie sublinguale ou via des capsules contenant de l’huile, la forme fumée ayant été proscrite en raison des « risques pour la santé » liés à la combustion. La publication d’un décret permettrait à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de produire un cahier des charges autorisant ces produits, aujourd’hui interdits et de sélectionner les futurs fournisseurs et distributeurs de médicaments à base de cannabis utilisés pour l’expérimentation.
« Promesses politiques non tenues »
Lorsque l’ANSM avait donné, en décembre 2018, son feu vert à une telle expérimentation, son directeur général, Dominique Martin, disait espérer « mettre celle-ci en place avant fin 2019 et avoir une généralisation en 2020 ». Le démarrage avait finalement été fixé à septembre 2020, puis reporté à janvier 2021, date toujours officiellement promise. Dans un communiqué commun publié début juin, l’ANSM et le ministère de la santé avaient justifié un tel retard par la « nécessaire mobilisation des autorités de santé sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 ».
« On ne comprend pas bien pourquoi il est si long de publier un décret qui n’a rien d’exceptionnel », estime le professeur Nicolas Authier, le président du comité scientifique qui supervise ce dossier à l’ANSM. « S’il ne se passe rien d’ici fin octobre, on se posera la question de savoir si l’on sert toujours à quelque chose », dit-il, assurant ne pas vouloir « faire de la figuration pour entretenir des promesses politiques non tenues ».
Autre motif d’inquiétude pour les promoteurs de l’expérimentation : l’absence de tout financement dédié, alors même que le dispositif nécessiterait de « 15 à 20 millions d’euros », selon les estimations de Nicolas Authier. « Cela met la France en situation de dépendance face à des acteurs privés étrangers et de leur volonté ou non de fournir gracieusement leurs produits et dispositifs médicaux », mettent en garde les signataires de la tribune publiée dans Le Parisien. « Si vous avez la gratuité sur le produit, quelles seront les contreparties exigées ? », interroge le juriste Yann Bisiou, président de L630, une association d’expertise juridique dans le domaine des drogues. « Payer, c’est garder son autonomie. Quand on paye, on décide » , souligne-t-il.
« A cause de l’absence de budget, nous ne sommes même pas sûrs que l’expérimentation se fasse », redoute pour sa part Béchir Saket, le porte-parole du Collectif Alternative pour le cannabis à visée thérapeutique, qui dit craindre une « expérimentation low cost » par manque de moyens pour former les médecins qui participeront au dispositif, alors même que le projet dispose d’« un soutien politique et gouvernemental » et d’un feu vert de l’ANSM.
Interrogé samedi 5 septembre sur BFM TV, le ministre de la santé, Olivier Véran – à l’origine d’un amendement sur ce sujet dans le dernier budget de la Sécurité sociale –, a déclaré qu’il ne souhaitait « surtout pas » que les Français considèrent le cannabis thérapeutique comme « un pied dans la porte » vers le cannabis récréatif et a assuré que l’expérimentation « qui verra le jour dans les prochaines semaines ou dans les tout prochains mois (…) permettra de soulager des milliers de malades qui ont des douleurs incurables ».
Si le cannabis thérapeutique devait être autorisé en France au terme des deux années de l’expérimentation, Nicolas Authier estime qu’« à court terme, ce sont rapidement entre 80 000 et 150 000 patients » qui pourraient demander à en bénéficier.