Pour David A. Guba Jr, maître conférence au Bard Early College à Baltimore, « si un nombre croissant d’élus en France se sont ralliés à la légalisation du cannabis ces dernières années, c’est principalement pour des considérations économiques, sécuritaires et sanitaires ».
Le 18 janvier 2021
Dans les villes franciliennes et de l’Oise, classées en zone de sécurité prioritaire ou avec un quartier de reconquête républicaine, 50% des maires que nous avons interrogés sont favorables à la légalisation du cannabis, 22% sont contre et 28% ne se prononcent pas. Rencontre avec David A Guba Jr, maître de conférence au Bard Early College de Baltimore qui nous éclaire sur ce débat qui remonte au XVIIe siècle.
A quand remonte le débat sur la légalisation du cannabis ?
Les débats en France sur le cannabis se sont principalement déroulés dans des contextes coloniaux. Les premières lois remontent au moins aux années 1660, lorsque Jean-Baptiste Colbert a organisé un monopole du chanvre sous les auspices de la Compagnie française des Indes orientales, qui réglementait officiellement la culture du cannabis en France et dans ses colonies et en interdisait l’exportation vers des empires rivaux. En 1800, on trouve aussi trace de la première interdiction du haschich, pendant l’occupation française de l’Egypte. « L’usage de la liqueur forte, faite par quelques musulmans avec une certaine herbe nommé haschich… est prohibé dans toute l’Egypte». Cette interdiction, attribuée à tort à Napoléon, a en fait été créée par Jacques-François «Abdallah » Menou, alors général en chef de l’Armée d’Orient et converti à l’Islam, pour apaiser l’élite sunnite égyptienne, qui méprisait la consommation de haschich par les classes pauvres de la région.
Et depuis ?
On trouve trace ensuite de réglementation, allant du monopole à l’interdiction du Cannabis indica, ou de sous-produits enivrants en 1846 à Pondichéry, en 1857 à Alger _ suite aux meurtres très médiatisés de plusieurs Algériens juifs par un consommateur de haschich_ en Tunisie, en 1881, au Cambodge en 1907, en Cochinchine en 1910, puis au Maroc en 1914.
Comment cela se passait-il en Tunisie et au Maroc ?
Avant l’établissement des protectorats français en Tunisie (1881) et au Maroc (1912), les Beys ottomans qui contrôlaient les deux régions avaient réglementé la production, la vente et la consommation de substances enivrantes au cannabis, dans ces régions appelées kif, par un monopole, comme celui qu’opéraient les tribus du Rif au Maroc. Une fois installés, les Français ont permis à ces monopoles du tabac et du kif de poursuivre leur activités, tirant un revenu de la fiscalité comme leurs homologues l’ont fait de la culture et du commerce indigènes de l’opium en Indochine à la même époque.
L’expérimentation du cannabis thérapeutique marque-t-elle un tournant ?
Oui, c’est un tournant important dans l’histoire du cannabis en France. Cependant, historiquement, ce tournant peut aussi être interprété comme un retour. Dans les années 1840-1850, les médecins et pharmaciens en France saluaient les médicaments à base de haschich comme «remèdes-miracle». On pensait qu’il guérissait la peste et le choléra et il était utilisé pour traiter des milliers de patients à Paris pendant l’épidémie de choléra de 1848.
Que penser des élus de terrain qui changent d’avis en faveur de la légalisation ?
C’est un tournant politique, mais qui, à mon avis, n’est pas voué au succès dans l’immédiat. Si un nombre croissant d’élus en France se sont ralliés à la légalisation ces dernières années, c’est principalement pour des considérations économiques, sécuritaires et sanitaires.
Auteur de «Taming cannabis, Drugs and Empire in Nineteenth-Century France » (septembre 2020)
Source : Leparisien.fr