On attendait une nouvelle loi sur l’immigration au début de l’année 2025. Les parlementaires plancheront finalement, en janvier, sur une proposition de loi sur le narcotrafic, issue des travaux du Sénat. Le premier ministre, Michel Barnier, veut « une mobilisation générale contre la criminalité organisée », devenue « une menace contre les intérêts fondamentaux de la nation », a-t-il écrit, jeudi 7 novembre, sur le réseau social X, après avoir reçu Bruno Retailleau et Didier Migaud. Les ministres de l’intérieur et de la justice ont mis leurs divergences de côté pour présenter leur plan contre le « fléau » du narcotrafic en France, lors d’un déplacement conjoint à Marseille vendredi, érigeant cette lutte en « cause nationale ».
Ils ne sont pas les premiers responsables politiques à promettre une lutte sans merci contre le trafic de drogue, la criminalité organisée et l’économie souterraine qui « gangrènent nos territoires », selon la rhétorique consacrée. Les coups de menton sur le sujet sont même devenus un classique de la vie politique française. En 2005, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy voulait « nettoyer les cités au Kärcher ». « Nous avons besoin d’une guerre contre la drogue », décrétait son lointain successeur socialiste Place Beauvau Manuel Valls. « Il faut contenir la pieuvre. C’est la bataille de Stalingrad », assénait un Gérald Darmanin martial en septembre 2023. Dans le même temps, la consommation de drogue (5 millions de consommateurs en France, selon l’Office anti-stupéfiants) ne cessait d’augmenter, ainsi que le nombre de morts liés au trafic (85 en 2023).
Mais le seuil de tolérance semble avoir été franchi ces dernières semaines, avec une succession de faits divers tragiques liés au trafic de drogue – des fusillades sanglantes ont notamment eu lieu à Grenoble, Rennes et Poitiers. « La prise de conscience est récente », constate le sénateur socialiste Jérôme Durain, président de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France. « Quand on a rendu public notre rapport, en mai, certaines de nos affirmations paraissaient exagérées, se souvient l’élu de Saône-et-Loire. Aujourd’hui, plus personne ne doute de la réalité de la criminalité liée au trafic de drogue. On a passé un cap ».
« Désidéologiser le sujet »
Sur le terrain, « des maires de gauche évoluent sur le sujet, car la situation est en train de leur échapper », souligne-t-on Place Beauvau. Aussi la situation est-elle mûre, juge-t-on dans l’entourage du ministre de l’intérieur, pour « trouver un consensus politique » sur la lutte contre le narcotrafic. Au Sénat, les propositions de la commission d’enquête transpartisane mise en place par Bruno Retailleau en novembre 2023, alors qu’il présidait le groupe Les Républicains (LR), sont approuvées jusqu’aux bancs socialistes. « La gauche s’est toujours battue pour l’émancipation, et la drogue, ce n’est pas l’émancipation, affirmait jeudi au Sénat le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. La gauche, ce n’est pas le laxisme, mais la volonté de se battre. »
La proposition de loi, rédigée par les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain, doit être examinée le 27 janvier au Sénat. Elle prévoit notamment la création d’un parquet national antistupéfiants, à laquelle le garde des sceaux, Didier Migaud, était initialement défavorable. M. Retailleau s’est dit « certain », vendredi à Marseille, que « ce texte de loi trouvera une très large majorité ». « Autant on a des désaccords très profonds sur l’immigration, autant on peut rassembler le “socle commun” et LR sur le narcotrafic », veut également croire le président macroniste de la commission des lois à l’Assemblée nationale, Florent Boudié. Il faut « dépassionner le sujet, le désidéologiser », explique-t-on Place Beauvau.
Les récents propos polémiques du Vendéen sur les « narco-racailles » et la « mexicanisation » de la France n’ont pas toujours été jugés de nature à « dépassionner le sujet » au sein du « socle commun ». « C’est vrai, on n’est pas le Mexique, a nuancé le ministre de l’intérieur, lundi soir, au cours d’une rencontre avec les députés macronistes et LR de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Mais je ne veux pas que ça arrive… »
A défaut de résultat statistique à court terme, le ministre de l’intérieur, dont la stratégie est de montrer que la droite a des solutions pour répondre aux problèmes des Français, cherche à afficher un résultat politique. L’adoption de la loi contre le narcotrafic lui donnerait un avantage, avant d’affronter le « mur » du projet de loi sur l’immigration, contre lequel le « socle commun » menace de se fracasser.
L’inscription à l’ordre du jour du Parlement de la proposition de loi contre le narcotrafic permet aussi au locataire de la Place Beauvau de souligner l’inefficacité des politiques publiques conduites par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron depuis 2017. Car s’il a rapidement renoncé à la légalisation du cannabis, qu’il préconisait en septembre 2016, le chef de l’Etat affiche un maigre bilan en matière de politique antidrogue.
Il s’est d’abord attaqué aux consommateurs de cannabis, passibles d’une « amende forfaitaire délictuelle » de 200 euros depuis 2019. « On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité », justifiait M. Macron. Deux ans plus tard, une mission d’information de l’Assemblée sur le cannabis récréatif, présidée par le député Renaissance Robin Reda, soulignait une « banalisation de la consommationtelle, qu’elle aboutit à une dépénalisation de fait dans certains grands centres urbains ».
Quant à la « guerre à la drogue » décrétée par le chef de l’Etat avec les opérations « Place nette », « vendue au public comme un nécessaire sursaut moral, au détriment d’une approche réaliste susceptible d’améliorer la situation », selon le politologue Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, elle est « nécessaire mais non suffisante », tranche le rapport sénatorial. Car elle « n’a de sens que si elle est adossée à des investigations approfondies (…), visant à retracer les flux financiers pour venir “taper au portefeuille” les trafiquants ». « Les “Place nette”, ça ne marche pas », assénait Bruno Retailleau lundi devant les députés macronistes.
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