Publié le 7 Septembre 2020 | Par Alexandre Léchenet Mathilde Elie
Après deux mois d’expérimentation, l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiant a été généralisée à compter du 1er septembre sur tout le territoire. Mais la mesure ne fait pas l’unanimité. Si les parquets se réjouissent d’un allègement des procédures, plusieurs voix déplorent une mesure répressive sans finalité sanitaire et vont même jusqu’à relancer le débat sur la légalisation du cannabis.
En plein cœur de l’été, lors d’une visite à Nice, le premier ministre a annoncé la généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants à l’ensemble de la France. Une décision prise rapidement, avant même qu’un bilan détaillé de l’expérimentation mise en place à la mi-juin soit présenté, et qui démontre l’intérêt du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour la lutte contre les trafics de drogue. Ce sujet devrait d’ailleurs figurer au cœur du séminaire gouvernemental de rentrée consacré à la sécurité, ce mercredi 9 septembre (lire encadré).
Fumer un joint ce n’est pas anodin. Derrière le dealer se cache le crime organisé, le financement du terrorisme et la délinquance du quotidien.
👉 L’amende forfaitaire pour consommation de drogue va permettre de responsabiliser le consommateur. pic.twitter.com/pbfDdUVRwh— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) September 5, 2020
Au total, ce sont 5 juridictions – Rennes, Reims, Créteil, Lille et Marseille – qui ont ainsi pu tester cette amende forfaitaire délivrée en cas de possession de faibles quantité de cannabis ou de cocaïne. A noter que c’est au niveau des parquets que sont précisées les modalités. Ainsi, à Reims, seul le cannabis est concerné, pour une quantité ne dépassant pas 20 grammes.
Alors, quel premier bilan tirer de cette mesure ?
« 558 amendes ont été adressées dans les cinq territoires. Cela a été très probant, juge le ministre de l’Intérieur dans un entretien paru le 6 septembre dans le quotidien le Parisien. Et, rien que sur la première journée de généralisation de cette amende, 200 verbalisations. Désormais, il n’y a plus besoin d’une pièce d’identité pour être verbalisé. »
Dans une circulaire diffusée aux procureurs et préfets le 31 août, les ministres de l’intérieur et de la justice soulignent que cette expérimentation a permis avant tout de mettre en œuvre des adaptations techniques, notamment dans le fonctionnement du procès-verbal électronique.
A Rennes, ce sont 172 amendes forfaitaires qui ont été émises. Dans cette ville, 166 des amendes délivrées portaient sur du cannabis et 7 sur de la cocaïne. « Il s’agit ainsi de pouvoir agir sur la “demande” en stupéfiants et de susciter une modifications des comportements en renforçant la probabilité de la sanction », se félicite Philippe Astruc, procureur de la République à Rennes, comparant l’effet de l’amende à celui des radars routiers.
A Lille, la procureure de la République Carole Etienne voit dans ce nouveau dispositif « une première réponse pénale immédiate plus ferme et plus dissuasive pour les personnes interpellées pour la première fois avec de petites quantités. Ça remplace (pour ces personnes) le rappel à la loi. »
Satisfaction également du procureur de la République de Reims, Mathieu Bourrette, selon lequel « la simple amende est une bonne mesure ». « Un vrai allègement procédural pour les forces de l’ordre, souligne-t-il dans un entretien à RTL. Cela permet aussi à certains parquets d’avoir un travail allégé pour pouvoir se concentrer sur des procédures qui sont beaucoup plus lourdes. »
Un sentiment que ne partage pas le maire de Reims, Arnaud Robinet, qui évoque un bilan « cosmétique ». « Sur 147 communes rattachées à la circonscription, on dénombre 51 amendes en cinq semaines d’expérimentation. C’est une mesure répressive supplémentaire qui n’aura aucun effet sur la lutte contre les trafics. La France a l’arsenal répressif le plus strict d’Europe et pourtant c’est le pays qui compte le plus de consommateurs : 11% des Français consomment chaque année, c’est trois fois plus qu’il y a 30 ans. »
Pas de finalité sanitaire
Pour leur part, les professionnels médico-sociaux sont unanimes à rejeter la mesure. Dans un communiqué daté du 30 juillet, intitulé « Amende forfaitaire pour usage de drogues : une illusoire fermeté pour de réels effets pervers », plusieurs associations dont la Fédération addiction, rappellent que « le nombre d’amendes prononcées entre 2007 et 2012 pour usage de stupéfiants a été multiplié par deux, sans avoir le moindre effet sur le niveau de consommation en France ni sur l’ampleur de la circulation des produits. » Elles s’inquiètent également de la disparition de toute prise en charge médico-sociale des personnes verbalisées.
Un constat partagé par Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal à l’Université de Nantes, spécialiste des luttes contre l’usage des stupéfiants : « L’amende forfaitaire est purement managériale – elle permet de réduire le nombre d’affaires dans les parquets – et ne poursuit aucune finalité sanitaire. » Elle souligne par ailleurs le manque d’égalité dans cette nouvelle mesure : l’amende n’est pas délivrée pour les mêmes quantités ou les mêmes drogues en fonction des parquets : « Une contravention fixée dès le départ aurait-été plus simple. Là, on retourne dans le flou total. »
L’utilisation d’une contravention en lieu et place d’une amende délictuelle, qui sanctionne donc un délit, avait été recommandée dans un rapport parlementaire présenté par les députés Eric Poulliat (LREM) et Robin Réda (LR) en janvier 2018. Les députés estimaient que la contravention « ne modifierait pas le type de sanction prononcée dans la très grande majorité des cas, alors que la procédure serait beaucoup moins chronophage ». L’amende forfaitaire délictuelle avait finalement été préférée et inscrite dans la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice.
Pour un certain nombre de détracteurs, cette priorité assignée à la lutte contre les stupéfiants doit permettre de relancer le débat sur la légalisation. Le maire de Reims a annoncé y être favorable. Cela permettrait selon lui de résorber les violences liées aux trafics, dont un épisode violent a marqué sa ville il y a quelques semaines. Un positionnement plutôt étonnant au regard de sa famille politique : « Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, c’est simplement une question de santé publique », estime-t-il.
Légalisation localisée
Le maire aimerait, à terme, mener une expérimentation locale « pour mesurer comparativement, sur un temps long, l’impact de cette mesure sur l’activité des trafiquants », explique-t-il, vantant la spécialisation de la métropole Rémoise dans l’agronomie pour justifier d’accueillir une telle légalisation localisée. Il souhaite également mener une réflexion à l’échelle territoriale, avec les associations et les habitants, à l’instar de la consultation lancée l’an dernier à Villeurbanne.
« Je souhaite qu’on réalise une étude sérieuse et complète sur la question d’un point de vue sanitaire et économique pour voir comment encadrer la consommation vis-à-vis des mineurs, contrôler et assurer la sécurité sanitaire des produits, permettre un meilleur traitement des addictions en considérant les consommateurs comme des malades, dédier les rentrées fiscales au renforcement de la prévention, détaille le maire de Reims. Il ne faut pas se priver du débat. »
Un débat que les élus du Forum français pour la sécurité urbaine appellent de leurs vœux depuis longtemps. Leur Livre blanc pour la sécurité des territoires préconise d’ailleurs de « mettre en place des expérimentations pour prévenir l’engagement des jeunes dans les trafics et favoriser la sortie des trafics » mais aussi de « faire étudier scientifiquement l’impact potentiel des différentes options sur les trafics et sur la qualité de vie dans les villes : contraventionnalisation, dépénalisation, légalisation, régulation de la consommation et de la vente de drogues. »
Si une légalisation localisée pourrait être législativement possible, puisque la loi a été adaptée pour les salles de consommation à moindre risques, cela poserait de nombreux problèmes estime Virginie Gautron, notamment en terme d’approvisionnement.
Elle considère néanmoins qu’une expérimentation au niveau national, dûment financée et étudiée, pourrait permettre de se faire une idée claire sur les bienfaits, ou les méfaits, d’une légalisation. « Si au terme de l’expérimentation nationale, après quelques années, on s’aperçoit que ça fait augmenter la consommation, ça aggrave la situation, que plus de jeunes fument, dans ce cas, on peut revenir en arrière. »
« On commence à avoir un frétillement politique sur le sujet, note la chercheuse, mais quand on voit de l’autre côté la communication de Gérald Darmanin, qui refait de la drogue un enjeu politique et de sécurité publique, j’ai de forts doutes sur la faisabilité d’une légalisation sur un temps bref. »
FOCUS
La lutte contre les stupéfiants, priorité du séminaire gouvernemental de rentrée
Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur a annoncé l’intensification des opérations de contrôle contre les trafics de stupéfiants sur tout le territoire. Puis dans une interview donnée au Parisien ce lundi 7 septembre, il a réaffirmé que ce sujet devait être « l’alpha et l’oméga de toutes nos interventions », avant de détailler : « A travers ce sujet, il y a la lutte contre le crime organisé, avec la traite des êtres humains et le financement du terrorisme, mais aussi une grande mesure de santé publique. Et, bien sûr, un lien avec la lutte contre l’insécurité du quotidien. » Cette question devrait donc être au cœur du séminaire gouvernemental de rentrée sur la sécurité prévu mercredi 9 septembre.