Il est le premier pharmacien ayurvédique à Maurice. Ayant fait des recherches avancées sur le cannabis médical pendant ses études au Punjab, ce professionnel est d’avis que si Maurice souhaite l’introduire dans son système de santé, il faudra former les professionnels. Vu qu’il n’y a pas eu d’essais cliniques jusqu’à présent, les premiers patients traités au cannabis médical, dit-il, passeront par l’étape d’expérimentation, tout comme pour le vaccin Covid-19, souligne Arvinsingh Sahadey.
Vous êtes le premier pharmacien ayurvédique à Maurice ayant fait des études sur le cannabis médical.
Je détiens un Bachelor en pharmacie ayurvédique. Durant mes études en Inde, je me suis intéressé au cannabis médical quand j’ai commencé un cours dans le département de métallurgie. C’est là qu’on apprend les effets des métaux sur certaines maladies. Comment dans le cancer, même l’or peut servir dans des médicaments pour traiter certaines pathologies.
J’ai trouvé cela fascinant et je me suis spécialisé dans l’utilisation du cannabis médical dans le traitement des patients cancéreux. Mes recherches étaient basées sur l’étude des différents composants du cannabis pouvant servir dans le traitement des cancéreux.
C’est quoi le cannabis médical ?
Le cannabis médical peut être sous trois formes – solide, liquide ou gaz, donc en comprimés, huile ou inhalateur. À partir des plantes du cannabis, l’on essaie de dériver des composants qui serviront à des fins médicales. Il existe deux composants : le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Le cannabis médical met plus l’accent sur le CBD pour le traitement thérapeutique.
En quoi le CBD est-il différent des autres composants ?
Le cannabinoïde est différent car il contient un récepteur appelé l’endo cannabinoïde, qui se trouve déjà dans le système nerveux d’une personne. Ainsi, une personne qui prend du cannabinoïde comme médicament n’est pas vraiment en train d’introduire un corps étranger dans son système car son corps reconnaît ce composant. C’est pour cela que son métabolisme va l’accepter et va réagir.
Il faut faire la différence entre le THC et le cannabinoïde. Le THC c’est ce qui donne à une personne le high feeling, une sorte de paranoïa et d’angoisse car il agit directement sur le cerveau. Par contre, le cannabinoïde agit sur le système nerveux et c’est là qu’une personne qui le consomme sur prescription médicale obtient un soulagement pour des douleurs ou autres symptômes. Il est important de comprendre qu’avec le cannabis médical, c’est uniquement le composant cannabinoïde qui doit être utilisé dans la fabrication des médicaments.
Le traitement au cannabis médical sera bientôt une réalité à Maurice. En tant que chercheur qui a de l’expérience dans ce domaine, qu’avez-vous à dire?
Nous sommes déjà très en arrière car plusieurs pays l’ont déjà introduit. La demande est là car le cannabis médical peut aider à soulager plusieurs personnes. Ces pays qui ont introduit le cannabis médical n’ont pas arrêté jusqu’ici et même l’Organisation mondiale de la santé encourage des recherches en ce sens. Je pense que si tous les paramètres sont respectés, ce sera un plus pour notre système médical.
Il faut voir au-delà du traitement, car le secteur agricole et l’économie pourront aussi en bénéficier si Maurice produit son propre cannabis médical. On pourra ainsi attirer des patients d’autres pays et développer davantage de centres de recherches et intensifier ceux existants. Il y a le projet de construire un hôpital ayurvédique à Flacq. C’est le moment d’aller de l’avant avec ce projet pour développer les recherches sur l’aspect médical des plantes. Le gouvernement doit aussi contempler l’idée d’introduire un syllabus ayurvédique dans les cours de médecine car le traitement médical à base de plantes est de plus en plus prisé.
Comment évaluer l’efficacité du cannabis médical sur un patient ? Quels en sont les risques ?
Comme n’importe quel médicament, il y a des risques et effets secondaires à la longue. Si une personne se concentre sur les effets secondaires des médicaments, il n’en prendra jamais. Le Viagra avait été fabriqué pour être un antidouleur et aujourd’hui, il est utilisé comme stimulant. C’est là que les essais cliniques ont toute leur importance. Mes recherches portaient sur l’effet du cannabis médical sur des patients qui font la chimiothérapie et comment cela peut aider à atténuer la douleur et autres symptômes.
Les effets secondaires peuvent être la fatigue, un état de léthargie, des vomissements et la diarrhée. N’oublions pas que cette personne déjà sur un traitement va recevoir un deuxième traitement. Sur le long terme, on peut aussi devenir dépendant tout comme une personne qui prend du thé ou fume en devient dépendante à la longue. C’est pour cela que la prescription et le dosage sont très importants.
Le traitement au cannabis médical, c’est aussi adopter un lifestyle. Il faut un bon régime alimentaire. Il ne faut pas se retrouver dans une situation où il faudra trouver un autre traitement pour combattre la dépendance du cannabis médical. Un bon suivi du patient est primordial. Les données enregistrées serviront à une évaluation du rapport bénéfice/risque du cannabis dans les différentes indications choisies et apporteront aussi des précisions, notamment sur les risques d’interactions médicamenteuses, dont certaines sont connues avec des spécialités pharmaceutiques à base de cannabis.
Les pays qui ont autorisé le cannabis médical comme traitement sont passés par des étapes d’expérimentation et non uniquement le législatif. Pensez-vous que Maurice aurait dû faire pareil ?
Non parce que nous ne sommes pas des experts et Maurice n’entreprend pas vraiment de recherches. Donc, à ce stade, l’étape d’expérimentation est impensable. Cependant, en introduisant le cannabis médical dans notre système de santé, cela ouvre la porte à des recherches à tous les niveaux. Je remets l’accent sur l’importance d’un bon suivi des patients. Il y a des laboratoires publics et privés qui peuvent donner un coup de main dans ce sens. L’expérimentation va prendre du temps mais les responsables de ce département devront faire une évaluation régulière des effets du traitement sur les patients. L’expérimentation prévoit une personnalisation du traitement pour chaque patient, avec un ajustement des doses des deux principes actifs, le THC et le CBD, jusqu’à obtenir l’effet thérapeutique sans effet indésirable. C’est cela l’essai clinique. On peut dire que les premiers patients seront ceux qui passeront par l’étape d’expérimentation, tout comme quand on avait administré le vaccin Covid-19 aux premières personnes, c’était du clinical trial. Par ailleurs, sans des lois appropriées, la recherche et l’expérimentation deviennent difficiles.
Sommes-nous prêts et avons-nous l’expertise ?
Bien que les Mauriciens veuillent bien essayer ce traitement, je pense qu’ils ne sont pas assez informés. Les autorités devraient mettre en place des stratégies de communication et d’information sur ceux éligibles au traitement et comment il sera fait. Est-ce qu’il y aura un département spécifique pour ce traitement et les professionnels de santé sont-ils qualifiés dans ce domaine ? Maurice est un pays qui dépend beaucoup de la collaboration. Donc vu que nous n’avons pas l’expertise, il faut impérativement mettre en place un système de formation. Si le cannabis médical va faire partie de notre système de santé, il faut miser sur une formation universitaire des professionnels de santé. Peu importe votre niveau de connaissance du cannabis médical, un de vos patients vous posera des questions sur ce type de traitement.
Qu’en est-il de la sélection et la sécurisation des produits ?
Nous avons le système de Food and Drug Regulation aux États-Unis qui garantit les standards des médicaments. Il faut se baser sur ces directives. La sécurisation des médicaments devra être assurée par la sélection des producteurs et des distributeurs reconnus selon un cahier des charges précis. Chaque produit a des critères spécifiques.
Puisque Maurice veut créer son propre centre de vaccin, pourquoi ne pas aussi songer à produire localement le cannabis médical ? Il ne faut surtout pas le voir comme un traitement à base de comprimés car c’est thérapeutique et non chimique. Bien que le cannabis médical puisse se présenter sous trois formes pharmaceutiques, à savoir, des comprimés, granulés à vaporiser ou huiles, on peut aller au-delà et explorer le côté thérapeutique en fabriquant d’autres produits comme le beurre, des patchs ou des crèmes. Un patient du cancer qui prend déjà plusieurs comprimés par jour peut se sentir mieux en consommant du thé ou du beurre comme deuxième traitement. Il ne faut pas se limiter aux comprimés, inhalateurs et huiles. Il faut aussi prendre en considération l’aspect psychologique du traitement. Après tout, le traitement ayurvédique est un style de vie. La formation, la recherche et la production locale seront déterminantes. Enfin, aura-t-on un Ayurvedic Pharmacy Board ?