Monde, vendredi 30 avril 2021
Reportage Le Mexique n’attend plus que le feu vert du Sénat pour légaliser le cannabis. Le pays espère voir baisser le nombre d’homicides – 35 000 par an – mais il n’est pas certain que la violence diminue.
Diego Calmard (à Mexico), le 30/04/2021
Un bruit d’effritement puis de papier mouillé résonne dans les enceintes de la chambre des députés. Hirepan Maya, élu du parti au pouvoir Morena (Mouvement de régénération nationale, gauche), termine de rouler son joint devant le micro : « C’est une loi historique qui marquera un tournant dans la réglementation internationale de la consommation de marijuana ». Après l’adoption du texte par les députés en mars, le Sénat doit encore discuter des derniers points, notamment la création d’un Institut mexicain de la marijuana, avant de le valider cet été.
Création d’un grand marché légal
Le Mexique rejoindrait ainsi le Canada, l’Uruguay et certains États des États-Unis. Posséder jusqu’à 28 grammes de cannabis et semer jusqu’à huit plants chez soi serait autorisé. Mais ce n’est pas tant la décriminalisation du consommateur que la création d’un grand marché légal, ainsi que le combat du crime organisé autrement que par les armes, qui motive les élus.
Arturo Hernández, membre de Morena, estime que la guerre militaire contre le trafic lancée par le président de droite Felipe Calderón (2006-2012) « a causé plus de dommages que les méfaits pour la santé ». Car le Mexique ne cesse de compter ses morts : l’Institut national de statistiques estime que le nombre des homicides a atteint en moyenne 35 000 morts par an sur les trois dernières années, contre 8 867 en 2007.
Une guerre sans bombardements ni obus, mais qui implique les cartels, la police et l’armée — parfois à la solde du crime organisé. Selon l’observatoire citoyen Semáforo Delictivo, 80 % des homicides sont imputables à la guerre contre la drogue. « Avec la légalisation, la violence pourrait baisser, juge Santiago Roel, directeur de Semáforo Delictivo. Le marché noir se combat sur des principes économiques. On retirera ce marché aux cartels par l’argent, pas par les balles ». En 2016, une étude du Sénat mexicain estimait entre un et deux milliards de dollars par an les revenus des groupes criminels tirés de la vente de marijuana aux États-Unis et prévoyait une baisse de 15 % à 26 % avec l’adoption du texte.
Pour une régulation de toutes les drogues
Mais les cartels de la drogue ont d’autres ressources. « Le crime organisé ne se limite pas au cannabis, objecte Lisa Sanchez, directrice de l’ONG Mexicains unis contre la délinquance. Les cartels ont diversifié leur économie. Leurs revenus et la criminalité ne vont pas forcément baisser. »
« La marijuana ne représente pas plus de 5 % de leur économie, assure pour sa part Romain Le Cour, chercheur à Noria, un organisme de recherche sur la violence au Mexique et en Amérique centrale. C’est désormais un enjeu bien moindre pour les trafiquants que les substances de synthèse. »
D’ailleurs certains élus ou organismes plaident aussi pour une régulation de toutes les drogues. « La dépénalisation de l’héroïne en Suisse est un bel exemple, avance Santiago Roel. La consommation n’a pas augmenté. » Selon lui, les habitants ne risquent pas de sombrer dans la surconsommation de ces substances de synthèse, plus chères et destinées aux pays les plus riches. « Il ne faut pas avoir peur. La politique du plomb est bien plus toxique que n’importe quelle drogue. »
Lutter contre la petite délinquance, un défi pour le Mexique
Le défi du Mexique réside plutôt dans sa capacité à faire évoluer la lutte contre la petite délinquance : autoriser le cannabis, c’est arrêter de distraire la police, les juges ou les enquêteurs, pour qu’ils concentrent leurs moyens dans la lutte contre les véritables délits. « Cela dit, il n’y a pas de réelle motivation des autorités pour réorienter le travail de la police ou pour décharger le système judiciaire », regrette Lisa Sanchez.
Cette loi ne devrait pas non plus profiter aux populations rurales, qui produisent la marijuana depuis soixante-dix ans. « La légalisation bénéficiera surtout aux gros exploitants, et non aux petits paysans qui ne seront pas inclus dans cette économie légale. Or, ils auraient pu, grâce cette réforme, sortir de la pauvreté », estime Romain Le Cour. Une occasion manquée du Mexique pour répondre aux inégalités qui touchent sa population rurale.
Le cannabis récréatif dans le monde
Décembre 2013. L’Uruguay devient le premier pays au monde à légaliser la consommation récréative, la production et la vente de cannabis. Le 17 octobre 2018, le Canada l’imite.
Novembre 2020. Plusieurs États américains ont légalisé la consommation récréative de cannabis pour les plus de 21 ans, portant à 15 leur nombre où le cannabis est légal.
Europe. Dans la plupart des pays, la dépénalisation de l’usage personnel du cannabis a cours.
France. Ni dépénalisation, ni légalisation. Le sujet est en débat.
Dans de nombreux pays d’Asie du sud-est et du Moyen-Orient, le cannabis est toujours considéré comme une drogue dure. Les condamnations peuvent être lourdes.
Source : La-croix.com