Pourquoi les pires techniques de marketing devraient-elles se cantonner aux marchands de fringues et aux opérateurs téléphoniques ? Les trafiquants de drogue sont des businessmen comme les autres. Le quartier Mistral est tenu par un des réseaux de deal les plus actifs de la cuvette, qui ne manque pas d’idées de « force de vente » : petits cadeaux, fidélisation, et promesse de discrétion. Jusqu’à utiliser massivement le réseau social Snapchat pour faire sa com’. Petite visite réelle et virtuelle.
Sur une table noire, un pack de bière est ouvert, des verres en plastique attendent d’être remplis d’un whisky bon marché et la bouteille d’Orangina n’est pas encore entamée. En surimpression, deux émoticônes « amoureux » concluent l’invitation à l’apéro : « Patientez quelques secondes en buvant quelque chose. » Issu du compte Snapchat des dealers mistraliens, cette publication promeut l’inauguration en grande pompe d’un nouveau point de vente, également dénommé « turf ».
Cette vidéo est un des multiples coups marketing virtuels du clan Mistral. Le réseau réalise depuis un moment sa réclame sur le réseau social Snapchat : recrutement de petites mains, pub de sachets de drogue et ticket de tombola offert avec une barrette. Cette dernière info a outré toute la presse française – 44 articles sont parus en avril. « mdr même Le Monde en parle, bien joué », se marrent les dealers sur Snap. Surtout, le réseau social permet d’indiquer précisément la position de la porte aux futurs clients un peu perdus – le spot de vente a déménagé depuis la fermeture de la barre Anatole France. Ainsi, un dealer anonyme détaille la transition en vidéo : « Ça, c’est la route principale, là, le bâtiment en travaux. » Il tourne sur sa gauche. « La tour du turf, c’est la première en face. » Dans une autre vidéo, on voit un homme prendre l’A480 en voiture, direction le turf, insistant sur la bonne sortie pour Mistral. Photo suivante : la porte brune du nouveau distributeur automa-shit (voir Le Postillon n°20) est encadrée en rouge, subtilement cachée derrière une haie en métal. Plus loin, cette légende : « Tout le monde a droit à son intimité. À la trappe, personne ne vous voit donc vos achats se font en toute discrétion et dans la sécurité la plus totale. » Un sans-faute. Les femmes sont accueillies avec respect, assure la réclame. Entre ces vidéos, les photos défilent en vrac sur la « story » Snap : des clients contents, des tickets de tombola offerts, des feuilles à rouler aussi, des sachets étiquetés « Mistral » disponible. Reste à passer de la vie numérique au réel.
Grand soleil et beau shit
En descendant l’avenue Rhin-et-Danube, le quartier est coupé en deux. La barre Anatole France et d’autres qui attendent leur destruction et la pépinière brûlée pendant les émeutes de mars, sa reconstruction. Le deal reste toujours actif. Un garçon, cheveux longs au vent, traverse le carrefour sur une moto-cross. Sur Snap, il sillonnait déjà le quartier sur un fond de PNL. En suivant les indications du réseau, la tour est facile à repérer. Tout juste rénovée – la Ville espérait « un projet d’animation au cœur du quartier » – le rez-de-chaussée arbore une entrée vitrée. Deux personnes en sortent, une jeune femme descend des sacs. Sur le flanc droit, deux portes blindées donnent accès au local poubelle, et à l’automa-shit. Dans un trou carré à hauteur d’homme, on distingue la bouche d’un visage imberbe à travers la fumée alourdie de shit. Une voix s’échappe « Combien ? », le bleu du billet s’engouffre, un sachet brun en sort. Rapide, discret, sécurisé mais pas de ticket de tombola. Frappé des armes vert, jaune et rouge du quartier, le sachet indique le grammage, que le produit « contient du THC » et qu’il vient du Maroc. Alors que la pression policière s’intensifie ailleurs, il n’a jamais été aussi facile d’acheter à Mistral. Et le réseau se permet de bichonner ses ien-cli a grand coup de « merci la fafa » ou « la famax » (la famille quoi). Une manière simple d’éloigner la réalité du deal et ses violences usuelles – jeunes enrôlés de force, brutalité des groupes mafieux, prison ou mort. Tout le monde veut être aimé.
Commerce de copains
À croire que le directeur commercial du turf de Mistral (si, si, ils en ont un) a lu le PowerPoint écrit par un startupper de San Francisco intitulé : « Les règles du marché de la drogue ». En sept points, celui-ci détaille les changements nécessaires pour vendre de la came au XXIe siècle. Tout d’abord, c’est fini le shit de merde. « Leur marketing, c’est leur produit », assure le document. Un spécialiste grenoblois confirme : « Le rapport qualité-prix de leur résine est très bon. » Plus loin, le San-Franciscain déroule : « Si tu donnes un peu, tu recevras beaucoup (en argent). » On repense à tous ces cadeaux innocents – tombola, feuille à rouler et jeu à gratter. Le document conclut : « Fais comme si ton client était ton meilleur ami. » Là-dessus, rien à dire. L’apéro a fait le taf, la « fafa » est heureuse. « Vous avez grave assuré » écrit un consommateur en message privé Snap. Et vous avez la carte du magasin ?